Ce lundi 27 février 2023, la rentrée à l’Ecole nationale supérieure d’architecture (Ensa) de Normandie, à Rouen, doit commencer par une assemblée générale. Après une semaine de congés, étudiants, enseignants et personnels administratifs ont à se prononcer sur la poursuite du mouvement entamé le 6 février pour dénoncer le manque de moyens alloués à l’établissement.
La mèche avait été allumée une semaine auparavant quand la direction de l’école avait décidé de repousser d’une semaine la réouverture de l’école, prévue le 30 janvier à l’issue d’une autre période de congés. Ce délai avait été jugé indispensable pour permettre d’accueillir les étudiants dans des conditions correctes.
«Bouts de ficelle»
En effet, le service scolarité, confronté à des arrêts pour congés maternité ou maladie et des absences de remplacement, n’était plus en mesure d’assurer les inscriptions pédagogiques ou, tout bonnement, le planning de répartition des salles de cours.
«Toute l’administration est surchargée, mais cela se répercute aussi sur les enseignants, soulignait alors un représentant de ces derniers. Cela fait des années que cette école tourne avec des bouts de ficelles en raison d’un plafond d’emplois et de financement trop bas. Notre budget 2023 est déficitaire, ce qui se traduit par zéro achat de matériel et zéro visite organisée pour les étudiants.»
En France, l’enseignement de l’architecture est sous la co-tutelle des ministères de la Culture et de l’Enseignement supérieur et de la recherche, mais le fonctionnement des 20 Ensa sous la seule tutelle de la Culture. Si les situations de ces établissements sont très variables et un bilan général complexe à établir, les arguments de Rouen trouvent un écho un peu partout. Ces derniers jours, des motions de soutien au mouvement normand, doublées d’appels à la mobilisation, ont été émises par Paris-Malaquais, Paris-Belleville, Nancy. La liste est non exhaustive.
«Impact sur la qualité des enseignements»
Les courriers et les communiqués se sont aussi multipliés. Un texte rendu public le 13 février par le Conseil national des enseignants chercheurs des écoles nationales supérieures d'architecture (Cnecea) prévient : «la pénurie de personnel et la faiblesse des rémunérations auront, tôt ou tard, à l’instar de la situation que connaît l’Ensa de Normandie, un impact sur la qualité des enseignements [...]. A terme, c’est l’intérêt public de l’architecture tel qu’il est prévu dans la Loi qui est menacé.»
Dans une longue lettre, très détaillée, adressée à la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, le conseil d’administration de l’école Paris-La Villette insiste, lui aussi, sur «la faiblesse des moyens humains» et le fait que la réforme lancée en 2018 «n’a pas été accompagnée de moyens appropriées pour la mettre en œuvre.» Le courrier précise ainsi que «l’engagement en 2017 des deux ministères de tutelle [...] de créer 150 postes équivalents temps plein d’enseignants-chercheurs […] n’a pas été respecté. A ce jour, 80 postes ont été créés.»
«Plan de rattrapage»
Ce dernier chiffre est confirmé par le ministère de la Culture qui parle de «83 titularisations et créations de postes entre 2019 et 2023» et surtout rappelle le temps long nécessaire à la mise en place de la réforme. Alors qu’il s’agissait, en 2018, de caler le modèle de fonctionnement des Ensa, jugé ancien, sur celui de l’université et notamment d’adapter le cursus au dispositif européen LMD (Licence, Master, Doctorat), les services du ministère estiment que «cela nécessitait une augmentation des moyens. Le plan de rattrapage établi sur cinq ans a été réalisé en grande partie. Mais aujourd’hui, les écoles se focalisent sur la petite partie restante.»
En réalité, dans les Ensa, certains efforts sont salués, comme la revalorisation de la rémunération des enseignants contractuels, qui a été décidée par les parlementaires au cours de la discussion sur le projet de la Loi de finances (PLF) 2023. Un membre du corps enseignant de Lille admet aussi que la dotation particulière accordée pour faire face à l’augmentation du coût de l’énergie était bienvenue.
Il n’empêche, «nous essayons d’élaborer des stratégies budgétaires mais nous sommes bloqués de toutes parts», poursuit-il. Alors à Lille aussi, au deuxième semestre 2022, les étudiants ont été privés de visites de terrain, ce moyen pourtant essentiel d’étudier l’architecture dans son contexte.
Comparaison caduque
Entre écoles et ministère de la Culture, le sujet tourne à la bataille de chiffres. Ainsi pour souligner la médiocrité du sort réservé aux élèves, nombre de professeurs brandissent les données mentionnées dans un avis de la sénatrice Sylvie Robert en 2020 : «la dépense moyenne par étudiant en Ensa est de 7 597 euros par an, contre 11 670 euros par an en moyenne dans l’ensemble de l’enseignement supérieur.» Mais pour le ministère de la Culture, cette comparaison serait caduque : «cette dépense annuelle est désormais de 11 300 euros par étudiant. En 2023, l’Etat investit 222 millions d’euros dans les Ensa.»
Pour prouver «l’importance de l’engagement du ministère de la Culture» sont aussi mis en avant les postes qui, dans les dotations des écoles, sont en augmentation par rapport à 2022. Ainsi les subventions d’investissement courant sont en hausse de 29%.
La semaine dernière, une enseignante prédisait en tout cas une montée en puissance du mouvement de grogne. De nouvelles réunions d’assemblée générale ou de conseils d’administrations devraient avoir lieu au gré des retours de vacances.
Le ministère de la Culture prévoit, lui, de recevoir divers représentants des écoles de Paris-La Villette ou de Rouen ou encore du Cnecea. Et précisait sa volonté de «réindividualiser les situations, tant les cas des écoles sont différents.»