"Le Moniteur" du 18 juin consacre son dossier à la libéralisation de l'énergie: "Choisir son fournisseur de gaz et d'électricité" est le titre de cette série d'articles consacrée à ce qui change le 1er juillet 2004. Jean Syrota, président de la commission de régulation de l'énergie (CRE) y est interrogé. Voici le texte intégral de cet entretien.
L’échéance du 1er juillet devient proche. Constatez-vous une dérive par rapport aux objectifs de la libéralisation du marché de l’énergie ?
Non, la CRE ne constate pas de dérive. L’objectif n’a pas changé. Il concerne tous les professionnels. En dehors des réseaux qui demeurent un monopole naturel, il s’agit de passer du monopole à la concurrence. La qualité du gaz et de l’électricité livrés ne changera pas puisqu’elle est assurée par les réseaux ; l’accès à ceux-ci est régulé, transparent et non discriminatoire.
Où en est la France par rapport au processus d’ouverture de ses marchés énergétiques ?
La France a pris la décision d’ouvrir son marché au rythme minimal prévu par les directives, sans anticiper, mais en ouvrant de manière effective le marché à chaque fois, alors que d’autres États ont préféré ouvrir juridiquement à 100% très rapidement, sans pour autant apporter toutes les garanties de bon fonctionnement du marché : en Allemagne par exemple, l’absence de régulateur et le fait que les tarifs de réseaux soient négociés et non régulés ont rendu l’ouverture à 100% tout à fait virtuelle.
Comment allez-vous informer le public des professionnels ?
La CRE a publié récemment à leur intention un « guide du consommateur », disponible sur son site Internet (www.cre.fr). La plupart des professionnels (artisans, professions libérales, petites entreprises) n’ont pas des équipes spécialisées d’acheteurs et de juristes. C’est pourquoi, l’objectif a été de leur faciliter l’existence autant que possible. Ce guide a donc été voulu simple et concret.
Ainsi, le changement de fournisseur de gaz ou d’électricité n’a pas de raison d’être beaucoup plus compliqué que le changement de boulanger. Le client aura un contrat unique avec son fournisseur. Celui-ci gérera pour son compte l’accès au réseau et la relation avec le gestionnaire du réseau de distribution (il y aura donc un contrat spécifique, entre professionnels, liant le fournisseur et le gestionnaire de réseau). Tout ce que le client doit savoir pour mettre en jeu la concurrence, c’est ce qu’il consomme. Tout se fait donc à partir des indications figurant sur sa facture d’électricité ou de gaz. Mais quel que soit le fournisseur, et j’insiste sur ce point, car des publicités prêtant à confusion commencent à apparaître, la qualité de l’électricité ou du gaz livré sera la même, car elle dépend seulement du réseau.
Concrètement, comment cela va-t-il se passer ?
Le consommateur signe un nouveau contrat avec le fournisseur de son choix et résilie le contrat avec son ancien fournisseur (dans le cas de la sortie des contrats historiques, il peut résilier sans frais, à tout moment). On peut imaginer que les fournisseurs offriront au client de faire la démarche de résiliation pour son compte. Le consommateur n’a pas d’autres formalités à accomplir : le nouveau fournisseur avertit le gestionnaire de réseau du changement et, dans le mois qui suit, il sert son nouveau client. Il n’y a pas besoin d’une intervention technique chez le client (mis à part, dans certains cas, une simple relève du compteur). C’est donc extrêmement simple. Le fournisseur obtient les informations techniques nécessaires à la gestion de son client, comme le profil, auprès du gestionnaire de réseau.
Le consommateur peut-il intervenir sur le profilage ?
Non, il n’a même pas à s’en préoccuper. Le profil, qui représente la consommation moyenne d’une catégorie de client, sert avant tout au gestionnaire de réseau et au fournisseur : c’est en effet le moyen de s’assurer qu’un fournisseur a injecté dans le réseau autant d’énergie que ses clients en ont consommé. Les profils sont attribués par les gestionnaires de réseaux, suivant des critères objectifs (type de compteur et de consommation) et, en tout état de cause, le client est toujours facturé sur la base de la relève de son compteur, qui a lieu, suivant les cas, entre tous les mois et tous les six mois.
Un point important : la CRE a demandé que, dès juillet prochain, sur toutes les factures d’électricité, apparaisse une ligne « acheminement », qui correspond au prix de l’acheminement de l’électricité, reversé au gestionnaire du réseau ; cette ligne aura le même montant quel que soit le fournisseur : en effet, seule la partie « fourniture » est soumise à la concurrence, c’est-à-dire, pour les « petits consommateurs », très grossièrement, la moitié de leur facture totale hors taxe.
La hausse des prix de l’électricité ne constitue-t-elle pas un frein à la libéralisation ?
Plus que la hausse des prix sur le marché de gros, intervenue en 2003, ce sont les tarifs intégrés réglementés qui posent problème ! Le client ne changera de fournisseur que s’il y a intérêt. Il va comparer le prix qu’il paie aujourd’hui avec ceux qui lui seront proposés par différents fournisseurs, dans le cadre de la concurrence. Il essaiera d’imaginer comment ces prix évolueront dans les temps à venir. S’il pense y gagner durablement, il fera jouer son éligibilité, c’est à dire son droit de changer de fournisseur ou de négocier les prix avec son fournisseur actuel. Sinon, il gardera son fournisseur actuel et son tarif intégré réglementé.
Or, les prix de fourniture ont augmenté sur le marché en 2003. Dans le même temps, les tarifs réglementés n’ont pas suivi cette évolution. Au contraire, leur dernière variation a été une baisse pour compenser une hausse des charges de service public. Cela ne va donc pas pousser à exercer l’éligibilité, d’autant que passer dans le monde concurrentiel est irréversible.
Et qui fixe le tarif réglementé ?
Le gouvernement, après avis de la CRE. Je le répète, le problème est davantage l’existence d’un tarif réglementé, qui ne reflète pas la réalité des coûts, que la hausse des prix. Cette situation n’est pas forcément éternelle : le prix de l’électricité peut aussi bien baisser que monter, et le gouvernement peut vouloir que les tarifs réglementés reflètent les coûts, comme, d’ailleurs, le prévoit la loi.
Le tarif réglementé va-t-il être aboli ?
Deux solutions opposées ont été exprimées pour sortir de la situation actuelle : l’une est de permettre à ceux qui ont choisi de faire jouer leur éligibilité de revenir au tarif réglementé s’ils le souhaitent ; l’autre, c’est de supprimer les tarifs réglementés dans un délai raisonnable.
Dans les deux cas, il faut changer la loi. La CRE est, clairement, en faveur de la deuxième solution, la seule qui va dans le sens de l’histoire, celui de l’ouverture des marchés à la concurrence.
Revenons aux profils, sur quels profils s’appuieront les futurs concurrents ?
Les profils concernent tous les fournisseurs, y compris les fournisseurs historiques. La CRE a fait le choix du profilage total, c’est-à-dire que tous les clients, éligibles comme non éligibles, dont les consommations ne sont pas télérelevées, sont profilés. Les gestionnaires de réseaux d’EDF et de Gaz de France ont publié récemment les profils qui vont être utilisés au moment de l’ouverture. Dans le cas de l’électricité, chaque profil représente 17 000 coefficients ! La CRE a demandé que soit mise en place une structure qui associe tous les acteurs intéressés afin de faire évoluer dans le temps ces profils.
En effet, même s’il s’agit d’une affaire de spécialiste, il faut savoir que le profilage n’est jamais qu’une technique pour représenter statistiquement la consommation d’une catégorie de clients : un profil ne correspond jamais à la consommation exacte d’un client, mais il représente correctement un ensemble de clients d’une même catégorie. Les profils permettent d’estimer ce que l’ensemble des clients d’un fournisseur donné a consommé à chaque instant (la demi-heure pour l’électricité, la journée pour le gaz), et donc de vérifier que le fournisseur a injecté suffisamment d’énergie au même moment. En cas de différence, il y a une compensation financière entre le fournisseur et le gestionnaire du réseau de transport. Les profils ont donc un impact sur les coûts d’approvisionnement des fournisseurs. Mais, ensuite, le fournisseur fixe librement ses prix pour ses clients.
Y a-t-il une spécificité des clients collectivités locales ?
Les collectivités locales sont soumises au code des marchés publics et devront donc utiliser les procédures prévues (éventuellement l’appel d’offres) pour exercer leur éligibilité. Notre opinion est que, dans l’état actuel du droit, les collectivités locales seront tenues d’exercer leur éligibilité, au plus tard aux dates d’échéance de leurs contrats actuels. En outre, les collectivités locales peuvent avoir de très nombreux points de livraison (écoles, bâtiments administratifs, équipements sportifs, éclairage public …).
Certaines veulent se constituer en groupement, qu’en pensez-vous ?
J’y vois des avantages. Cela peut sans doute simplifier la vie des collectivités locales : consacrer chacune moins de moyens sur ce dossier ; augmenter le pouvoir de négociations face aux fournisseurs. Les collectivités locales, comme les autres consommateurs, se détermineront en fonction de leur intérêt bien compris.