Le ciel est bas, presque noir, voilé par une pluie battante. Depuis ce matin, la cour est comme gorgée d’eau. Les clients sont rares. Vraiment, il y a des jours où tout va de travers, et Frédéric Chareton tire sa tête des mauvais jours.
Alors Frédéric, où en es-tu de l’achat de ta nouvelle voiture de fonction ? lui lance amicalement Jacques André. - Oh ! Je crains le pire ! Jacques André et Gérard Marsala se regardent, surpris par le ton défaitiste du plus performant des chefs d’agence. Frédéric Chareton poursuit : - Cette fois, j’ai bien l’impression que la direction veut me virer. Une fois de plus, le responsable du marketing achats et celui de la logistique s’exclament d’une même voix : - Mais, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? - Ce matin, je suis allé voir Sylvie, la secrétaire du patron, pour confirmer mon désir de changer de voiture de fonction qui affiche cent mille kilomètres au compteur. - Et alors, qu’est-ce que tu as obtenu ? Un petit vélo ? ironise Jacques. - Ne plaisante pas, s’il te plaît. J’aurai bien une nouvelle voiture, mais d’un modèle deux portes, aux couleurs des Négociants Réunis. Me voilà transformé en homme-sandwich. Michel Degrelle m’a expliqué rapidement qu’il fallait qu’il réduise les frais de fonctionnement, ainsi que le parc automobile des commerciaux. Je vais être la risée de mes clients. Ils ne me prendront plus au sérieux. Jouant les bons Samaritains, Jacques tente de lui remonter le moral. - Allons… Ne dramatise pas ! Ce n’est pas si grave et cela ne t’est pas destiné. Si l’objectif est de réaliser des économies, on y passera tous au fur et à mesure du renouvellement des voitures de l’entreprise. Frédéric regarde le responsable des achats d’un air dubitatif : - Comment expliquer alors que Serge Boutemy vient juste d’obtenir une superbe 3008 avec toutes les options possibles et imaginables ? - Tu sais bien que la direction a un faible pour son directeur commercial. Et il a peut-être pris la décision après coup. - En tous les cas, les choses ne vont pas en rester là ! Je vais demander une compensation financière. Avec une si petite voiture, je ne pourrai plus partir en vacances avec mes enfants. Il faudra que j’en loue une plus grande, c’est un comble ! Devant tant de candeur, Gérard intervient en souriant : Je te signale que Serge Boutemy est logé à la même enseigne, la seule différence est qu’il a payé la différence de sa poche pour avoir une voiture plus grande. Quant à moi, simple responsable du service logistique, je n’ai jamais eu droit à autre chose qu’une voiture de service. Alors, bienvenue aux clubs des véhicules deux portes, bariolés aux couleurs de l’entreprise.
