« Pour préserver la biodiversité sur les chantiers, chaque projet mérite une réflexion en amont entre l’architecte, l’écologue et le maître d’ouvrage. Tous les trois s’engagent alors dans une aventure souvent passionnante ».
Chiroptérolologue au bureau d’études Asellia Ecologie, Raphaël Colombo résume en ces termes les leçons de plusieurs dizaines de chantiers menés dans le sud de la France au cours des dernières années.
Les leçons de Sisteron
Le bilan en demi-teinte de la rénovation de la cité scolaire de Sisteron (Alpes-de-Haute Provence) s’explique largement par l’arrivée tardive de son expertise. Côté positif, Raphaël Colombo observe « la première réussite référencée en matière de création d’un habitat dédié aux molosses de Cestoni (une espèce de chauve-souris ndlr) ».
Mais alors que l’ancienne façade béton offrait des cavités adaptées sur des longueurs de 200 mètres et sur quatre étages, l’intégration des fissures dans le nouveau bardage bois, grâce à des plaques d’hydropanel, n’a porté que sur les deux niveaux supérieurs, dans des installations qui ont fragmenté la colonie, au détriment de sa vie sociale et de son potentiel de reproduction. Surtout, les molosses de Cestoni n’ont pas retrouvé le confort de l’inertie thermique apportée par l’ancienne paroi.
La gamme s’élargit
A Toulon (Var), quatre ans de recul donnent sa force au témoignage de Katherine Dubourg, administratrice régionale de la ligue pour la protection des oiseaux (LPO) : « Les professionnels du bâtiment n’éprouvent pas de difficultés à suivre les prescriptions imposées par la ville dans les campagnes de rénovation obligatoires ». Seul bémol : « Il faut surveiller le mille-feuille des entreprises, jusqu’aux titulaires des derniers lots, pas toujours informés de la raison d’être des trous qui donnent accès aux nids ».
A l’aval, la diversification de l’offre se traduit dans les nouveaux produits annoncés pour 2021 par Nat’H Nature Harmonie : la start-up provençale aligne les abris pour faucons crécerelle, rouge-queue, martin-pêcheur, molosses de Cestoni et bergeronnettes, après son décollage dans les nids de martinets, désormais équipés de couloirs d'accès à rupture de ponts thermiques,.
Sevran relève le défi
A l’amont des chantiers ce 7 décembre, les 26èmes rencontres du club urbanisme, bâtiment et biodiversité de la LPO ont remonté la trace des matériaux de construction, pour traquer les impacts du bâtiment sur la biodiversité dite Ex-Situ. Tout comme le bilan carbone, cette approche intègre l’ensemble des étapes, depuis l’extraction et la transformation jusqu’à la déconstruction.
Dans ce champ nouveau, la recherche d’une diminution de l’impact biodiversité trouve une traduction concrète dans l’unité de fabrication en chantier sous le nom de La Fabrique, à Sevran (Seine-Saint-Denis). Dès l’automne prochain, la manufacture proposera des produits de construction en terre crue issue du recyclage des déchets inertes du BTP : une ressource dont l’exploitation peut contribuer à diminuer l’artificialisation des sols.
Un matériau complice du vivant
« Produire plus de vivant qu’en détruire, c’est le seul challenge qui vaille le coup aujourd’hui dans la construction. Cela suppose, en aval, d’éviter de vendre des faire-valoir à des opérations destructrices de la biodiversité », proclame l’architecte Paul-Emmanuel Poirier, partie prenante du groupement de 13 acteurs réunis à Sevran par l’appel à projets du programme Urban innovative Actions de l’union européenne.
Des tests en cours au Centre scientifique et technique du bâtiment visent à l’assurabilité des constructions qui utiliseront les briques et enduits issus de La Fabrique, dans l’espoir d’une prise en compte dans la réglementation du bâtiment. Outre la coopérative de production qui emploiera 15 personnes, le site servira à la formation de la filière. La Fabrique programme l’équilibre de son exploitation dès son second exercice. En janvier 2021, un guide d’une centaine de pages familiarisera sa clientèle avec les usages de la terre crue.
L’œil perçant du hibou
Pour l’instant limitée aux parties non porteuses des bâtiments, les produits manufacturés à Sevran illustreront les progrès d’une vision globale de la biodiversité, sur le modèle de l’analyse du cycle de vie qui a inspiré les rédacteurs de la future réglementation environnementale 2020 (RE2020).
La similitude des méthodes a inspiré la thèse soutenue par Aline Brachet, ingénieure chercheuse au CSTB, en partenariat avec le Muséum national d’histoire naturelle et l’Etablissement public d’aménagement Epamarne, pour établir des évaluations Ex situ de la biodiversité des bâtiments.
Cette recherche se prolonge dans l’élaboration du modèle "Hibou", acronyme de "hybride des interactions entre biodiversité et systèmes urbains". « L’étape suivante vise à proposer aux aménageurs un outil de calcul de bilan biodiversité, pour les aider dans leurs choix techniques, par exemple dans l'arbitrage entre construction neuve et réhabilitation », annonce Aline Brachet.
Avec Agroparistech, les initiateurs de Hibou préparent l’enrichissement du modèle par l’intégration de la microfaune et de la microflore présentes dans le sol.
Biodiversité grise
Après l’énergie grise, l’analyse du cycle de vie met en lumière la biodiversité grise. « Comme la RE 2020, nous nous sommes appuyés sur la traçabilité offerte par les fiches de déclarations environnementale et sanitaires fournies par les industriels, même si ces documents n’intègrent pas la biodiversité », précise Aline Brachet.
Le parallélisme suggère une piste réglementaire en cours de réflexion au CSTB : conditionner les autorisations de construire à des seuils de destruction indépassables.