«Il n’est pas question ici de créer un quartier de plus à Caen mais de participer à l’invention de la ville du XXIe siècle. » Ainsi s’exprimait Philippe Duron à l’occasion de la première édition de « Caen Les Rencontres », colloque dédié à l’architecture, à l’urbanisme et au développement durable, organisé en octobre 2009. Depuis, le projet Caen-Presqu’île a été lancé. Une société publique locale d’aménagement (Spla) a été mise en place et, début 2011, trois équipes pluridisciplinaires seront désignées pour travailler durant quatre ans à la définition d’une stratégie.
La presqu’île, les Caennais en parlent depuis un quart de siècle. A l’époque, on disait « le port » car l’industrie dominait encore sur ce territoire, contenu entre l’Orne et le canal reliant Caen à la Manche, qui n’était nullement considéré comme une opportunité pour le développement de la ville. Le départ progressif des activités industrielles et l’emprise grandissante des friches ont inversé la vapeur : la presqu’île est devenue au fil des ans un espace de reconquête, rare, qui n’est pas sans point commun avec Lyon Confluence. Le cabinet Panerai avait été mandaté dès la fin des années 90 pour plancher sur son futur mais la trame new-yorkaise proposée a finalement été abandonnée : une complète remise à plat justifiée par une maîtrise foncière insuffisante, une concertation quasi inexistante et surtout le défaut de pertinence du périmètre de renouvellement urbain, jusqu’à présent limité à la seule commune de Caen. « Nous devons d’abord penser à la bonne échelle, explique Philippe Duron. Nous ne souhaitons pas faire de la presqu’île un terrain de jeu caenno-caennais. »
De 45 ha, la zone d’études a donc été portée à 300 ha, soit à peu de chose près la superficie de l’île de Nantes : elle déborde largement sur les communes d’Hérouville, au nord, et de Mondeville, au sud, et s’étend du bassin Saint-Pierre, au centre-ville de Caen, jusqu’au viaduc de Calix et au périphérique est. Un territoire qui inclut notamment l’emprise foncière du CHU, qui sera transféré plus au nord d’ici à quinze ans, le quartier de la gare, qui va devoir être totalement repensé avec l’arrivée de la LGV, et les deux principales entrées de ville depuis Paris.
Métropolisation
La Spla Caen Presqu’île est ainsi composée des Villes de Caen, qui en détient 53,33 % des parts, Hérouville-Saint-Clair et Mondeville, de la communauté d’agglomération Caen la mer, du conseil régional de Basse-Normandie et du syndicat mixte Ports normands associés (PNA). Mais le projet entend avoir une aire d’influence plus vaste encore, à l’échelle de l’agglomération tout entière. Les trois équipes retenues devront notamment conduire une réflexion sur les liens avec le centre historique, le Plateau Nord, le campus Effiscience à Colombelles et, bien sûr, la mer.
Des préconisations très précises ont été édictées quant à la composition de ces équipes, avec un accent mis sur la pluridisciplinarité et les sciences humaines, la notion de « vivre ensemble » apparaissant comme primordiale aux yeux du maître d’ouvrage. Parmi les compétences majeures souhaitées : l’architecture, l’urbanisme et le paysage (le mandataire de l’équipe), la sociologie urbaine (modes de vie, exclusion et pauvreté, besoins et usages, aménités urbaines, écodensité etc.), le développement territorial (stratégie urbaine, marketing territorial), et les domaines environnementaux (eau, déplacements, réseaux), chaque professionnel devant intégrer le développement durable dans sa démarche.
Les grandes orientations à suivre : la modernité, afin de passer à une nouvelle histoire qui change l’image de la ville ; la métropolisation, Caen devant se préparer à tenir son rôle dans la relation que la Région Ile-de-France a choisi d’établir avec la façade maritime normande ; et « l’urbanité en marche », ce qui passe par une refonte profonde des modes de déplacements et la création des conditions d’usage collectif en matière de chauffage urbain. Des orientations volontairement contrastées pour libérer la réflexion et ouvrir le champ d’étude à « une part d’utopie », l’idée étant de faire de la recherche sur le modèle social urbain qui pourrait être construit ici dans le futur.
Gratin des urbanistes
Un challenge très excitant qui a séduit le gratin des architectes urbanistes européens, pour la plus grande fierté de Philippe Duron. Sur 37 candidatures reçues, dix viennent d’être présélectionnées : Atelier Seraji, Xaveer de Geyter (Belgique), Tania Concko (Pays-Bas), MVRDV (Pays-Bas), Dominique Perrault, Saison Menu, AUC, Atelier Christian de Portzamparc, François Leclercq et Jean-Paul Viguier (mandataires). Et trois seront donc retenues début 2011. La Commission européenne ayant jugé non concurrentielle la procédure de marché de définition, Normandie Aménagement, mandataire pour organiser l’appel à candidatures, a bâti un projet d’accord-cadre multi-attributaire - de mission d’études urbaines et d’assistance à la maîtrise d’ouvrage concernant l’élaboration du projet et la mise au point, la coordination et l’exécution des différentes opérations qui le composeront. Cet accord-cadre permettra à la Spla Caen-Presqu’île de travailler durant quatre ans avec ses titulaires, mais il ne pourra en aucun cas déboucher sur une mission de maîtrise d’œuvre pour l’un d’entre eux.
« Nous devons nourrir pour la presqu’île une ambition à la hauteur de l’enjeu, notamment en terme architectural », avait également déclaré Philippe Duron, lors de « Caen Les Rencontres ». La barre a, de fait, été placée très haut avec le choix du projet de Rem Koolhaas pour la bibliothèque municipale multimédia à vocation régionale (BMVR), laquelle sera le Guggenheim de la nouvelle presqu’île.
