« Une pyramide de verre ! [...] M. Pei, diton, adore les Pyramides. C'est un sentiment assez généralement répandu, mais il ne nous paraît pas justifier que l'on traite la cour du Louvre en annexe de Disneyland ou en résurgence du défunt Luna-Park. » Le 26 janvier 1984, André Fermigier, critique d'art et défenseur du patrimoine impétueux, fulmine dans « Le Monde ». L'architecte Ieoh Ming Pei entend ficher une pointe de glaces dans le cœur de la cour Napoléon et la diatribe du chroniqueur, intitulée « La maison des morts », n'est qu'une des manifestations du déchaînement des passions autour de ce projet lancé par un François Mitterrand tout juste élu président de la République, en 1981.

L'idée lui a été soufflée par le ministre de la Culture, Jack Lang : « Le 27 juillet 1981, je lui ai adressé une lettre avec pour objet : le Grand Louvre, dans laquelle je disais simplement : "Et si nous décidions d'affecter la totalité du palais du Louvre, le palais des rois, au musée ? Nous en ferions le plus grand et le plus beau musée du monde. " Mitterrand m'a répondu : "Bonne idée, mais difficile à réaliser comme toutes les bonnes idées. " » En effet, il faudrait pour cela parvenir à chasser le ministère des Finances de l'aile Richelieu, qu'il occupe depuis la fin du XIXe siècle. L'idée n'est pas neuve mais même Clemenceau et Malraux s'y sont cassé les dents. Pourtant la décision est prise et annoncée dès septembre 1981. Elle fait assurément grogner les inspecteurs des finances, mais on ne parle pas, alors, de geste architectural et encore moins de pyramide. Il s'agit de mettre le musée décrépit au niveau des grandes institutions internationales. Justement, Lang comme Mitterrand ont apprécié le travail accompli par Ieoh Ming Pei à la National Gallery of Art de Washington. En 1983, l'architecte sino- américain se voit confier, sans concours, le sort du Louvre. Il s'y attelle avec son confrère français Michel Macary.

« L'entrée du Grand Louvre ». La difficulté n'est peut-être pas tant d'installer des œuvres dans les locaux libérés par le ministère que de doter le Louvre des structures d'accueil qui lui font défaut. Selon la doctrine en vogue, un musée moderne doit en effet proposer 60 % d'expositions pour 40 % de halls d'accès, de billetterie, de vestiaires, de toilettes… Au Louvre, ces commodités ne représentent que 10 % des surfaces.
Plutôt que de faire entrer tout cela au chausse-pied dans le vieux palais, Pei conçoit de tout loger sous la cour Napoléon, mais il rechigne à « s'en tenir au sous-sol, [ce qui] reviendrait à y aménager un couloir de métro […]. Il faut une superstructure contemporaine ayant valeur symbolique, qui dise de loin où se situe l'entrée du Grand Louvre ».
« Il faut une superstructure contemporaine ayant valeur symbolique. » Ieoh Ming Pei

Ainsi surgit l'idée de cette pyramide de verre au milieu d'un palais de pierre, à la fois porte limpide et subtile fenêtre qui déverse des flots de lumière sur les espaces en contrebas. Mitterrand valide le principe en février 1984 mais il se montrera très soucieux de la transparence du verre. Et pour donner des gages quant à l'encombrement de la future construction, une simulation est menée en 1985. Des câbles tendus dans la cour permettent aux Parisiens de prendre la mesure de la future pyramide. Ils attendent ensuite quatre ans et l'inauguration du 29 mars 1989 pour pénétrer sous cette pointe faite du verre extra-blanc « Diamant » mis au point par Saint-Gobain, soit 793 losanges et triangles montés sur un treillis de métal. Ce jour-là, la foule emprunte l'extraordinaire escalier hélicoïdal et descend vers les 60 000 m² de nouveaux espaces d'accueil du musée, aussi monumentaux que sobres, avec leurs murs en pierre de Bourgogne et leurs plafonds à caissons en béton architectonique.
L'architecte Jean-Michel Wilmotte, alors chargé des aménagements intérieurs, partage aujourd'hui encore son admiration pour Pei et pour « la façon qu'il avait de découper le verre et de cale piner la pierre. Le béton de ses plafonds aune matérialité formidable, qui accroche la lumière ». Lui qui poursuivra le chantier d'aménagement des galeries aux côtés de Pei évoque encore la personnalité « toujours souriante mais ferme » de l'architecte disparu le 16 mai dernier, peu après le trentième anniversaire de son diamant parisien.
