La jurisprudence, confirmée par la circulaire du 7 mars 2005, avait mis un terme aux pratiques de maîtres d’ouvrage découpant opportunément leur zone de chalandise dans le seul but de faire baisser artificiellement le taux d’équipement commercial de la zone. Hiérarchisant les critères, le Conseil d’Etat privilégiait le critère objectif du temps d’accès au site (critère isochrone) par rapport aux autres critères de délimitation énumérés de façon non exhaustive par l’arrêté du 12 décembre 1997 fixant le contenu des demandes d’autorisation d’exploitation commerciale (concurrence, barrières géographiques…).
Les services instructeurs des commissions départementales et de la commission nationale d’équipement commercial ont donc donné systématiquement la priorité à ce critère. Or, plusieurs arrêts sont venus tempérer cette rigueur et il est intéressant de voir la latitude ainsi donnée aux promoteurs ou bureaux d’études.
L’existence d’un obstaclegéographique
Dans une première affaire concernant l’implantation d’un ensemble commercial de 23 225 m2 de surface de vente en zone frontalière, le pétitionnaire avait délimité une zone de chalandise sur la base d’un temps de trajet de 90 minutes dans la partie française et 75 minutes dans la partie allemande. Le Conseil d’Etat estime que « cette différence est en l’espèce justifiée par les difficultés de circulation sur le pont traversant le Rhin et par l’obstacle psychologique que peut constituer le franchissement d’une frontière » (1).
A propos du projet d’implantation d’un magasin d’une surface de vente de 990 m2 à Belley, établi sur la base d’un temps d’accès au site de 25 minutes, le Conseil d’Etat, sans préciser plus avant les adaptations du pétitionnaire, estime que « la délimitation de la zone de chalandise pouvait tenir compte des particularités naturelles conditionnant l’accès, constituées par le relief montagneux et le Rhône » (2). Dans cette dernière affaire, il semble que le juge n’apporte pas de véritable tempérament au critère du temps d’accès. Il admet seulement que les difficultés d’accès au projet allongent le temps de parcours, ce qui justifie que la zone soit plus étroite. Il n’y a donc pas dérogation au critère du temps d’accès au site.
Enfin, dans le cadre du transfert avec extension d’un magasin d’une surface de vente de 8 400 m2 sur le territoire de la commune d’Aubergenville, le juge administratif a refusé de considérer que la proximité de l’échangeur de l’autoroute A 13 permettait de restreindre la zone de chalandise, en ces termes :
« Si la zone de chalandise doit tenir compte des conditions de desserte du site projeté et en particulier des barrières géographiques ou psychologiques, les difficultés de circulation aux abords de l’échangeur de l’autoroute A 13, situé à proximité de la commune d’Orgeval, invoquées d’ailleurs dans le seul rapport d’inspection présenté devant la commission et non par la société Castorama France, qui a déterminé elle-même les temps d’accès qui viennent d’être cités, ne sont pas de nature, à elles seules, à justifier l’exclusion totale des deux communes susmentionnées » (3). Précisons que les deux communes en question comportaient des équipements commerciaux d’une surface de vente de 6 600 m2… Il semble que si la société pétitionnaire avait invoqué, dès le départ, dans son dossier de demande, l’existence de difficultés de circulation justifiant la délimitation de la zone et s’était bornée à exclure une partie des communes concernées, le juge, qui prend ici d’infinies précautions rédactionnelles, aurait admis cette justification.
Au regard de ces décisions, il est difficile de conclure à l’existence d’une véritable dérogation : le critère du temps d’accès au site n’est jamais abandonné par le juge mais seulement adapté en considération des obstacles, si ces derniers sont justifiés et invoqués dès le départ.
Adaptations du critèredu temps d’accès au regard de la concurrence
On pourrait croire que le juge est encore plus restrictif sur cette question dès lors que la circulaire du 7 mars 2005 a précisément eu pour objet de contraindre les pétitionnaires à intégrer dans la zone de chalandise l’ensemble des équipements commerciaux, y compris ceux qui exercent un effet d’attraction commerciale sur les habitants de la zone.
Pourtant, la haute juridiction a admis, avant l’adoption de la circulaire, que malgré la circonstance qu’une zone de chalandise avait été délimitée sur la base d’un temps de trajet de 30 minutes maximum, certains arrondissements situés à l’ouest de Paris, à moins de 30 minutes du projet, avaient régulièrement pu être exclus de la zone de chalandise, dès lors qu’il ressortait « notamment des études de clientèle effectuées par le pétitionnaire que le nouvel équipement n’est pas susceptible d’exercer une attraction sur la population résidant dans ces arrondissements et qu’ainsi leur exclusion de la zone était justifiée » (4).
Cette décision a été confirmée, après l’adoption de la circulaire, dans les termes suivants :
« Considérant qu’à l’appui de sa demande d’autorisation d’exploitation commerciale relative à l’extension d’un hypermarché et à la création d’une galerie marchande, à Uzès, la SAS immobilière Carrefour a délimité une zone de chalandise correspondant à un temps de desserte de 30 minutes environ, comprenant 57 communes ; que, compte tenu notamment des résultats de l’étude de clientèle effectuée par le demandeur, l’exclusion des communes de Nîmes, des Angles et d’Avignon, situées en périphérie de la zone de chalandise, n’entache pas, en l’espèce, d’irrégularité la délimitation de cette zone » (5).
L’utilisation de ce second critère alternatif semble donc plus aisée et plus sûre que celle du premier, par la production d’études de marché ou de clientèle justifiant l’exclusion de certaines parties limitées de la zone.
Mais la sécurité juridique des projets commande d’utiliser le critère du temps d’accès au site, dont l’utilisation ne requiert aucune justification particulière et qui présente un caractère incontestable.
