Evénement

« Le compte pénibilité est un choc de complexité ! »

Bruno Cavagné, président de la Fédération nationale des travaux publics -

C’est dans un contexte économique peu propice que s’ouvrent les négociations par branche du « pacte de responsabilité ». Pour Bruno Cavagné, président de la FNTP, il est illusoire d’envisager des engagements significatifs alors que l’introduction du compte pénibilité va renchérir le coût du travail. Il fait d’ailleurs de l’aménagement du dispositif un préalable à l’entrée dans le pacte.

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Les élections municipales viennent d’installer de nombreuses équipes nouvelles. Quelle analyse faites-vous de ce scrutin ?

Je me garderai bien d’en faire une analyse politique globale. Ce que je sais, c’est que les projets qui intéressent nos entreprises n’ont pas de couleur politique. Les représentants de nos fédérations régionales sont allés à la rencontre des candidats ces dernières semaines et ils ont pu constater qu’ils étaient plutôt bien informés des problématiques d’infrastructures et de réseaux. Et l’immense majorité d’entre eux juge que cette question est importante, voire prioritaire. Reste à savoir si cela se traduira en dépenses d’investissement et d’entretien. Dans l’immédiat, les nouvelles équipes vont faire l’audit des projets lancés par leurs prédécesseurs, en stopper certains, en lancer de nouveaux… Sans oublier du changement du côté des intercommunalités : tout cela nous promet malheureusement une période d’attentisme.

Qu’attendez-vous du remaniement ministériel ?

J’attends une politique des infrastructures ambitieuse et des orientations claires. Il faudra faire mieux que ce qui s’est passé jusqu’à présent. Depuis juillet dernier, les annonces se sont succédé, parfois décevantes, souvent contradictoires. D’abord, la Commission 21 détermine un scénario « réaliste » des projets prioritaires, mettant l’accent notamment sur le traitement des nœuds ferroviaires et sur l’entretien des réseaux. Les grands projets passent à la trappe. Ensuite, l’écotaxe bat de l’aile jusqu’à être suspendue en attendant les conclusions de la commission parlementaire. Mais dans l’intervalle, des projets comme le Lyon-Turin ferroviaire ou le canal Seine-nord refont surface et on entend reparler de la LGV Bordeaux-Dax-Hendaye ou du Grand contournement de Strasbourg… Sans financement. Ce n’est ni normal ni responsable !

Croyez-vous au scénario d’une baisse accentuée des dotations aux collectivités ?

Je n’ose pas l’imaginer ! Les mesures actées (- 1,5 milliard en 2014, idem en 2015) sont déjà très lourdes de conséquences. Devant l’incapacité avouée des collectivités à agir dans ces délais sur leurs dépenses de fonctionnement, l’investissement risque de devenir la variable d’ajustement. L’analyse des premiers budgets primitifs pour 2014 va dans ce sens, qu’il s’agisse des départements ou des régions. Réduire encore les dotations aux collectivités serait catastrophique pour nos entreprises qui, faut-il le rappeler, dépendent à 70 % de la commande publique.

N’y a-t-il aucune raison d’espérer ?

Je ne dirais pas cela. Je suis entrepreneur, optimiste par nature. Mais force est de constater que les indicateurs ne nous sont pas favorables. L’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) est dans une impasse financière en attendant de trouver une solution à l’écotaxe. Les crédits de paiement sont en baisse de 20 % par rapport à l’an passé et les autorisations d’engagement de 90 % ! Sans visibilité, l’Afitf a suspendu ses nouveaux engagements et tout est décalé : l’appel à projets pour les transports collectifs en site propre, les futurs contrats de plan Etat-régions… Mécaniquement, nous pourrions perdre 40 000 emplois d’ici à 2017.

Le plan de relance autoroutier ne pourrait-il pas être une bouée de sauvetage ?

Nous nous réjouissons de cette initiative et nous verrions d’un bon œil se concrétiser les 3,5 milliards d’euros de travaux prévus dans ce plan. Mais pour 2014, c’est trop tard. Le dossier est toujours décortiqué par Bruxelles. Jusqu’à quand ?

La grogne monte chez les entrepreneurs de TP. Faut-il s’attendre à des manifestations ?

Si aucun signal positif n’est envoyé rapidement, si les pouvoirs publics persistent à ne pas nous entendre, ce n’est pas à exclure.

La négociation sur le pacte de responsabilité doit se faire par branche. Où en êtes-vous ?

Nous étudions la question avec nos partenaires de la FFB depuis quelques semaines. L’idée générale est bonne puisqu’elle remet l’entreprise au cœur de la compétitivité économique. Mais de quelles responsabilités parle-t-on ? En l’absence totale de visibilité sur leur activité, comment voulez-vous que les entrepreneurs de travaux publics prennent un quelconque engagement en termes de recrutement ? D’autant que, dans le même temps, l’introduction du compte personnel de pénibilité va alourdir le coût du travail. C’est d’ailleurs pourquoi nous faisons de l’aménagement de la loi pénibilité un préalable à l’entrée dans le pacte de responsabilité.

Pourquoi faire de l’aménagement de la loi pénibilité un préalable à la négociation du pacte de responsabilité ?

Parce qu’à l’heure où le gouvernement nous parle de choc de simplification, l’introduction d’un compte personnel de pénibilité est plutôt un choc de complexité. Et tandis qu’on nous parle de réduction du coût du travail, comment interpréter cette mesure qui crée un renchérissement pouvant aller jusqu’à 1,8 % ? C’est d’autant plus injuste que cela revient à méconnaître les efforts de prévention réalisés par les entreprises. J’ajoute que la sécurité juridique du dispositif est très fragile. Nous risquons une explosion des contestations sur l’effectivité des expositions.

Les entreprises de BTP ne parviennent pas à faire reconnaître leurs spécificités…

Sur un chantier de travaux publics, les situations et l’organisation changent d’une semaine sur l’autre. L’essence même de nos activités est pénalisante dans l’approche qui a été retenue dans la loi. Sur une ligne d’assemblage dans l’industrie, on peut admettre que les postes de travail et leurs risques associés soient moins compliqués à identifier. Mais sur un chantier, je vous laisse imaginer le casse-tête de la gestion des fiches !

Le gouvernement a confié à Michel de Virville une mission de facilitation et de concertation autour de la pénibilité. L’avez-vous rencontré ?

Nous avons été parmi les premiers à être auditionnés. D’abord le 27 janvier, en présence de plusieurs chefs d’entreprises, puis le 12 mars. A cette occasion, Michel de Virville nous a indiqué qu’il était impossible de supprimer les fiches de pénibilité prévues par la loi sans une nouvelle loi. Il recherche un système de traçabilité plus simple pour les entreprises de TP. Question de simplification également, les informations contenues dans les fiches de pénibilité pourraient provenir des documents collectifs de prévention comme le document unique et le plan de prévention en entreprise. Des fiches qui restent individualisées puisque telle est la loi. Michel de Virville fait ce qu’il peut dans un périmètre très contraint. Aussi, en attendant l’arbitrage du gouvernement début juin, nous continuerons à demander la suppression de la fiche individuelle d’exposition.

Le 15 mai sera organisé le 1 er  Forum des travaux publics, à la halle Freyssinet, à Paris. Qu’enverrez-vous comme message ?

Tout dépendra des annonces qui seront faites d’ici là. Notre ambition est de montrer à quel point les travaux publics sont un secteur d’avenir avec des entreprises innovantes. Au travers de nombreux ateliers et animations, nous montrerons aux donneurs d’ordre, aux pouvoirs publics, aux nouveaux élus que les TP font partie du quotidien des Français et qu’ils sont un pilier des économies locales et un relais de croissance. Surtout, nous montrerons aux jeunes qu’ils ont eu raison de choisir les travaux publics, que la voie sur laquelle ils se sont engagés est une voie d’avenir.

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