L'entreprise bénéficiaire peut-elle être poursuivie, même si elle n'a pas participé aux actes délictueux ?
Oui ! Selon les dispositions de l'article 321-1 du Code pénal définissant et réprimant le recel, les dirigeants de l'entreprise bénéficiaire d'un avantage injustifié peuvent être poursuivis pour recel mais aussi l'entreprise elle-même en tant que personne morale ().
Il a ainsi été jugé que le chef d'entreprise obtenant le marché, « qui savait qu'aucune mise en concurrence n'avait été effectuée, a profité sciemment du délit commis par son ami », en l'occurrence le maire de la commune ().
Mais il y a plus. En effet, non seulement les dirigeants de l'entreprise attributaire peuvent être poursuivis, mais aussi ceux de l'entreprise sous-traitante : « Attendu qu'en l'état de ces motifs, procédant d'une appréciation souveraine des faits, et dès lors que X [attributaire] et Y [sous-traitant] ont bénéficié, en connaissance de cause, du produit de l'attribution irrégulière du marché de maîtrise d'œuvre, la cour d'appel a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables. » (, Bull. crim. n° 139).
En revanche, en application de l', aux termes duquel nul n'est pénalement responsable que de son propre fait, une société absorbante n'est pas responsable des actes délictueux commis par la société absorbée (Crim., 20 juin 2000, « Société XY », n° 99-86 742, D. 2001, Jur. 853, note H. Matsopoulou).
Les personnes publiques peuvent-elles être poursuivies ?
Oui, sauf l'Etat (qui ne saurait se poursuivre lui-même). En vertu de l'article 121-2 du Code pénal, dans sa rédaction issue de la , « les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement (...) des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public. La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 ».
Il en résulte qu'une collectivité locale peut être poursuivie pour favoritisme, au même titre que les élus ou les fonctionnaires qui la dirigent. Les responsabilités ne s'excluent pas l'une l'autre. Le champ d'application de cette disposition est cependant limité aux activités susceptibles « de faire l'objet de conventions de délégation de service public ». Cela exclut donc, en principe, les marchés de travaux et de fournitures stricto sensu.
Quels sont les manquements punissables ?
Sous l'empire de la réglementation antérieure, le tribunal correctionnel d'Evry a condamné les membres d'une commission d'appel d'offres pour avoir truqué un tirage au sort destiné à la sélection des candidatures (tribunal corr. d'Evry, 1 juillet 1998). Celui de Quimper a condamné un maire, seize élus municipaux et le secrétaire de mairie pour fractionnement abusif et régularisation par délibération antidatée (tribunal corr. Quimper, 21 janvier 1999).
Ont été condamnés, à Saverne, des faits d'omission de publicité dans les publications habilitées à cet effet (tribunal corr. Saverne, 27 mars 1997). Sont aussi condamnées les déclarations abusives d'infructuosité pour mieux négocier avec les entreprises (tribunal corr. Quimper, 25 juillet 1995), la modification des offres (tribunal corr. Orléans, 14 mai 1997) ou celle de l'objet du marché (tribunal corr. Strasbourg, 19 janvier 1996).
Le manquement à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats peut être constaté, même lorsque le marché est inférieur aux seuils des procédures formalisées (CA Rouen, 27 janvier 1998 ; TGI Paris, 7 janvier 1998 ; CA Saint-Denis, 28 mai 1998, Circ. min. justice crim.-98.4/G3 du 2 juillet 1998) ou si, plus largement, les règles applicables aux seuils ont été méconnues (, Bull. crim. n° 93). Ainsi, la cour d'appel de Colmar juge-t-elle, s'agissant d'un marché de maîtrise d'œuvre, qu'il faut, « même en l'absence de recensement formel, disposer de plusieurs noms et connaître les compétences réelles ou supposées, les moyens d'éventuels candidats, (.) qu'en cette absence totale de concurrence réside la rupture du principe d'égalité de la commande publique constitutive de l'avantage injustifié » (CA Colmar, 12 décembre 1997, n° 1 387/97, 09 700 077).
Une affaire révèle les moyens qui ont pu être utilisés pour favoriser une entreprise : « (.) Les juges ajoutent, par motifs propres et adoptés, que, pour l'attribution du marché portant sur la construction d'une crèche, la procédure d'appel d'offres restreint, qui s'est révélée infructueuse, était totalement fictive, les entreprises ayant proposé, pour s'exclure, des prix anormalement élevés ; qu'après l'échec de cette procédure, le prévenu a sollicité de la société MZ sa participation à la phase négociée du marché, qu'il lui a été remis les plans, les cahiers des charges, des notes écrites et l'enveloppe financière et, qu'après avoir proposé un prix très proche de celui du maître de l'ouvrage, cette société a été déclarée bénéficiaire de ce marché ; que les juges retiennent encore que le prévenu, pendant la période préparatoire à l'attribution de ces marchés, a reçu à six reprises des représentants de la société MZ, ce qui n'avait été fait pour aucune entreprise similaire ; que les juges déduisent de l'ensemble de ces éléments que le prévenu a fait bénéficier cette société d'avantages injustifiés en lui procurant des renseignements confidentiels qui lui ont permis de soumissionner aux conditions fixées par le maître de l'ouvrage ; attendu qu'en l'état de ces énonciations qui caractérisent des actes contraires aux dispositions du Code des marchés publics alors applicable, ayant, notamment, pour objet de garantir l'égalité des candidats dans les marchés publics, la cour d'appel a justifié sa décision » ().
Dans le cadre d'une procédure négociée, le délit a pu être regardé comme constitué grâce à « un effort sur les prix » qui avait été obtenu par l'acheteur public de la part de l'entreprise désignée comme attributaire. Cette demande de rabais par l'acheteur public « heurtait le principe de mise en concurrence applicable aux contrats dont le seuil excédait le montant de 300 000 francs, les autres entreprises ayant répondu à la consultation n'ayant pas eu la possibilité de faire des efforts » sur un même pied d'égalité (Crim. 23 mai 2002, pourvoi n° 01-85 715).
De même, « une commission d'appel d'offres méconnaît le principe d'égalité entre les candidats en acceptant d'examiner une offre qui ne re?pond pas complètement à l'objet de l'appel d'offres défini par le règlement de consultation » (Crim. 19 mars 2008, pourvoi n° 07-83 979).
Une collectivité locale qui « a décidé, bien qu'elle n'y soit pas légalement tenue, de recourir à la procédure d'appel d'offres, doit se conformer aux règles imposées par cette dernière » (Crim. 15 mai 2008, pourvoi n° 07-88 369).
Caractérisent également le délit de favoritisme, la reconduction d'un marché attribué en violation du Code des marchés publics, ou le fait de persister à maintenir des marchés contraires aux dispositions légales ( : JCP A, 26 septembre 2005, p. 1 444, F. Linditch).
Le délit doit-il être intentionnel ?
Oui. Selon l'article 121-3 du Code pénal, il n'y a pas de délit sans intention de le commettre. En d'autres termes, le délit doit avoir été commis dans des circonstances telles que son auteur ne pouvait en ignorer les conséquences.
Pourtant, le favoritisme présente tous les traits d'un délit objectif comme l'est, par exemple le délit de grande vitesse sur la route. Dans son arrêt précité, la Cour de Colmar se borne à constater « qu'en ce qui concerne l'intention frauduleuse, tant R. que K., à la longue expérience municipale, connaissaient les règles des marchés publics pour avoir déjà eu recours à d'autres procédures que le marché négocié ». Cette circonstance n'établit pourtant pas que les prévenus aient eu, au moment des faits, l'intention ou seulement la conscience de violer la loi.
La Cour de cassation elle-même déduit l'intention assez facilement à partir des faits : « Les juges ajoutent qu'il ne résulte pas plus de ces circonstances l'intention pour Jean-Louis X de violer les dispositions réglementaires applicables. Mais attendu qu'en se prononçant ainsi, tout en relevant par ailleurs qu'un marché de régularisation contrevient, de par sa nature, aux dispositions d'ordre public du Code des marchés publics, la cour d'appel (...) ne pouvait, sans se contredire ou mieux s'en expliquer, énoncer que les prévenus n'avaient pas commis le délit prévu par l' » (Cass. crim., 2 avril 1998, « Gaz. Pal. », 25-26 février 2000).
Plus récemment, la Cour de cassation a jugé à nouveau que l'intention résulte suffisamment de la méconnaissance consciente de l'acte constituant l'élément matériel du délit : « La cour d'appel, après avoir relevé que la société N. avait fait des " propositions techniques répondant sensiblement aux données du CCTP ", énonce que son offre " répondait aux prescriptions techniques dans des conditions ne remettant pas en cause l'économie du projet et que la liberté d'accès et l'égalité des candidats étaient respectées " ; qu'elle ajoute que " la seule violation d'une règle de passation des marchés publics ne suffit pas à constituer le délit en l'absence d'élément intentionnel ", que les offres des candidats ont été examinées avec la même objectivité et " qu'il n'y a pas eu mise à l'écart arbitraire de l'une quelconque des sociétés soumissionnaires ". » Mais, ajoute la Cour de cassation, « attendu qu'en se déterminant ainsi, alors, d'une part, qu'il résulte de ses propres constatations qu'une variante avait été apportée au marché, d'autre part, que l'intention coupable est caractérisée du seul fait que l'auteur a accompli sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si cette variante avait été prévue dans l'appel d'offres, n'a pas donné de base légale à sa décision ; d'où il suit que la cassation est encourue » ().
De même, l'arrêt de cour d'appel qui constate que le prévenu n'a pas cherché à favoriser l'attributaire, tout en ayant relevé que celui-ci n'avait pas organisé de concours d'architecture pour le choix du maître d'œuvre, alors que le montant du marché était supérieur au seuil imposant l'organisation d'un tel concours, doit être cassé (Crim., 14 janvier 2004, pourvoi n° 03-83 396 : Bull. crim. n° 11 ; « Gaz. communes », 1 mars 2004, p. 50, F. Meyer). La conscience de l'illégalité commise suffit à caractériser l'intention coupable.
Peut-on obtenir la clémence des juges ?
Oui. En ce sens, il a été jugé « qu'il n'existe dans le dossier aucun élément qui permet de penser que les faits ont été inspirés par un motif bas et intéressé et que l'on ne peut que constater à la lecture du dossier que la hantise des problèmes de l'emploi semble avoir été le souci primordial qui a animé les protagonistes de cette affaire » (TGI Vannes, 4 décembre 1997). Les auteurs ont été condamnés à des peines légères.
En combien d'années le délit est-il prescrit ?
Le délit se prescrit par trois ans. C'est une « infraction instantanée qui se prescrit à compter du jour où les faits ont été commis », dit la Cour de cassation (Cass. crim., 27 octobre 1999, « Marcel G. », Bull. crim. n° 238 ; Dr. pénal, mars 2000, n° 27, p. 12).
Toutefois, « le délai de prescription court à compter du jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique » (Cass. crim., 27 octobre 1999, « Bernard G. et J.-F. Q. » : Bull. crim., n° 239). Si le délit a été dissimulé aux autorités de contrôle, et notamment au contrôle de légalité, la prescription ne courra pas.