A partir de lundi 16 juin, la région Grand Est soumet pour trois mois à consultation publique la première modification de son Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, le Sraddet.
Par rapport au document d’origine de 2019, le nouveau texte ajoute des teintes de vert. Les zones d’activités économiques, qui étaient assez largement passées sous les radars, se voient attribuer une règle « attractivité et qualité environnementale », dont le second pan s’accompagne d’objectifs de sobriété énergétique, d’« insertion paysagère », de densité d’usage, de rejets d’eaux pluviales et de dessertes alternatives à la seule voiture, un point exigeant pour un certain nombre de sites périphérique hors des milieux urbains.
Par ailleurs, la préservation et la mise en valeur des paysages sont accentuées, tandis que la trame verte et bleue (TVB) suit une trajectoire d’harmonisation autour d’une cartographie commune. « Les pratiques étaient restées assez hétérogènes sur la TVB d’une ancienne région à une autre, la modification tend à les rapprocher », commente François Werner, vice-président de la région à la Transition écologique et énergétique. Quant à l’objectif d’une région à énergie positive en 2050, il est confirmé dans la nouvelle mouture du schéma. « Les grands principes ne changent pas, ils prennent en compte de façon encore plus appuyée l’adaptation du changement climatique », résume le vice-président de région.

François Werner, vice-président de la région à la transition écologique et énergétique. © Jean-Luc Stadler / Région Grand Est
Ce qui ne change pas non, plus d’une version à l’autre, c’est la nature de la question la plus épineuse : la mise en œuvre du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Le Sraddet de 2019 avait traité la sobriété par la règle de réduction, dans les documents de planification, de 50 % de la consommation foncière en 2030, taux que la loi Climat et Résilience de 2021 a eu pour effet de porter à 54,5 % en le mesurant par rapport à la consommation d’espaces naturels agricoles et forestiers (Enaf) de la décennie 2011-2020. La notion de territorialisation des enjeux, également introduite par Climat et Résilience, semble avoir éteint la grogne qui s’était exprimée par une série d’avis négatifs dans les territoires des « schémas de cohérence territoriale » (Scot) quant à l’uniformisation de la règle du Sraddet initial. « Restée dans un rapport de compatibilité, le Sraddet ne tient pas la plume des Scot », rappelle François Werner. Celui-ci concède l’identification, parmi les 60 Scot ou EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) dépourvus d’un tel schéma local, de deux zones encore en discussions plus « compliquées », le sud de l’Aube et le sud du Haut-Rhin (le Sundgau).
Garder les « hectares jokers »
Or, voilà que les allers-retours parlementaires des derniers mois et semaines sur le ZAN viennent se greffer sur le travail régional : en dernier lieu, par le biais de la proposition de loi du Sénat, dans le cadre du projet de loi « Simplification de la vie économique » (SVE), qui supprime l’échéance de 2031 pour l’atteinte d’objectif intermédiaire en direction du zéro artificialisation net en 2050 et qui fait grimper à 30 % la marge de dépassement d’artificialisation sans justification par rapport au cadre régional des Sraddet. Face au maelström, le Grand Est s’efforce de garder la tête froide, et son cap. « Nous sommes légalistes, et nous le resterons », expose d’abord François Werner.
Le postulat ainsi posé, la collectivité régionale entend jouer la souplesse, en veillant à ce que son vice-président désigne les « hectares joker » : les surfaces d’artificialisation à sanctuariser pour l’accueil de gros projets d’« impact régional » (implantation économique, équipements structurants, etc.) et la prise en compte des situations territoriales spécifiques, « notamment les zones frontalières adossées aux bassins voisins dynamiques, en croissance démographique et qui ne peuvent se contenter d’être des fournisseurs de force de travail ». Ce profil caractérise par exemple le nord de la Lorraine, face au Luxembourg, et le sud de l’Alsace, en périphérie de Bâle en Suisse. Cette « réserve » foncière est fixée par le Sraddet modifié à 1 000 hectares, représentant 10 % du volume d’artificialisation dans le Grand Est tel qu’il a été calculé sur les bases de la loi Climat et Résilience.
Frontières et équité, les attentes du Ceser
La question transfrontalière renvoie à l’une des priorités fixées par le Conseil économique, social et environnemental (Ceser) du Grand Est dans son travail préparatoire sur le schéma modifié. « Les 750 km de frontières que nous partageons avec les Etats voisins ne peuvent pas être ignorés, pas plus que les 210 000 travailleurs frontaliers au Luxembourg, en Allemagne, en Suisse et en Belgique. Une telle connexion doit constituer l’armature même d’un tel schéma », plaide la présidente du Ceser Marie-Claude Briet-Clémont. L’autre mot d’ordre de la représentation de la société civile est celui d’« équité », jugé par la présidente « plus adapté à l’hétérogénéité du Grand Est que celui d’égalité contenu dans le sigle Sraddet. Politique par politique, territoire par territoire, le document doit gagner à rendre possible les différenciations, en les faisant reposer sur des indicateurs plus systématiques, qui soient le résultat d’une évaluation, pas seulement technique, mais fruit de la participation citoyenne », selon Marie-Claude Briet-Clémont.
Garantie rurale mutualisée
Le conseil régional, par la voix de son vice-président, estime avoir entrepris les actions pour répondre à de telles attentes. Notamment sur l’application de l’équité à la sobriété foncière, pour tenter de ne frustrer aucun territoire…ni de le surestimer. Ainsi, la collectivité confirme sa modulation de la « garantie rurale », la disposition législative de 2023 qui octroie au moins un hectare d’artificialisation à chaque commune. Au risque d’un mitage qui serait élevé dans une région globalement peu dense comme le Grand Est. « Nous avons 500 communes. Si nous l’appliquons à chacune, cela fait 500 hectares déjà prélevés, c’est beaucoup », expose François Werner. Aussi a-t-il travaillé, dans les secteurs les plus ruraux, à « remonter » cet assouplissement à l’échelle du Scot, et ainsi à l’y mutualiser.