Le MGPE avec tiers-financement : qu’en pensent les acheteurs publics des collectivités ?

Pas l’outil miracle, mais un outil de plus, pour faire face au mur de la rénovation énergétique des bâtiments publics. C’est ainsi que l’Association des acheteurs publics (AAP), France urbaine ou encore la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) accueillent le marché public global de performance énergétique (MGPE) avec tiers-financement, autorisé par la loi n° 2023-222 du 30 mars 2023.

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Le marché public global de performance énergétique avec tiers-financement a été créé par une loi du 30 mars 2023.

Pour Christophe Amoretti-Hannequin, conseiller finance responsable et achats chez France urbaine, « ce n’est pas ça qui va faire tomber le mur [des investissements], ça va juste le déplacer de quelques mètres ». Il rappelle que selon l’étude réalisée par I4CE fin 2022, environ 5,5 Mds€ d’investissements climat sont réalisés aujourd’hui chaque année par les collectivités, et qu’il faudrait y ajouter environ 6,5 Mds€ par an d’ici à 2030 pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone. Le nouveau dispositif de marché public global de performance énergétique (MGPE) avec tiers-financement, « qui facilite le financement des travaux et permet de les payer au moment où l’on commence à faire des économies sur les consommations d’énergie », a sa place dans la panoplie d’outils mais ne fera pas des miracles, à l’en croire. 

Petites et moyennes collectivités

Même sentiment du côté de l’AAP. « Laissons sa chance à ce nouvel outil, encourage toutefois Alain Bénard, son président. C’est de l’artillerie lourde, mais dès lors que le projet est porté politiquement et administrativement, on peut s’en sortir ! Le MGPE avec tiers-financement peut être utile pour les petites et moyennes collectivités, qui se demandent comment mener à bien la remise à niveau de leurs écoles, crèches, etc. »

Son vice-président, Arnaud Latrèche, ajoute que « les grosses collectivités peuvent avoir des conditions d’emprunt plus intéressantes que le secteur privé », ce qui n’en fait pas, en effet, la cible privilégiée du tiers-financement. « Dans ma collectivité [le conseil départemental de la Côte-d’Or, NDLR] par exemple, la situation financière est assez saine, et nous avons une bonne capacité d’emprunt. Nous parvenons donc à financer des projets en maîtrise d’ouvrage classique. »

"C’est de l’artillerie lourde, mais dès lors que le projet est porté politiquement et administrativement, on peut s’en sortir !"

—  Alain Bénard, Association des acheteurs publics

Mutualisation

Plutôt pour les petites collectivités, donc, mais idéalement, pas seules. Car un maître d’ouvrage devra en général « se faire accompagner par un AMO, pour l’étude préalable obligatoire (1) et le suivi du projet, ce qui génère des coûts », avance Arnaud Latrèche. Cela « pose la question de la mutualisation de l’ingénierie pour les petites collectivités, complète Christophe Amoretti-Hannequin. Le tiers-financement suppose, pour être pertinent, des opérations atteignant une taille critique ». De plus, ajoute le représentant de France urbaine, « la mutualisation sera probablement nécessaire du point de vue des opérateurs qui vont se positionner : il y a un risque de goulot d’étranglement si les besoins ne sont pas coordonnés ».

Cela tombe bien, la loi du 30 mars 2023 (article 1er) qui a créé cette nouvelle forme de MGPE consacre expressément les possibilités de mutualisation via les EPCI ou les syndicats d’énergie. Une disposition saluée par la FNCCR, qui représente notamment beaucoup de syndicats de l’énergie : ces derniers « vont pouvoir lancer de façon plus sécurisée qu’avant des consultations en vue de travaux de rénovation énergétique pour leurs membres », pointe Cécile Fontaine, cheffe du service juridique de la fédération. Elle se réjouit également de l’article 2 de la loi, qui permet de passer un marché pour le compte d’autres pouvoirs adjudicateurs. « Cela représente une opportunité intéressante pour nos adhérents, pour conclure un marché sans que cela réponde à leurs besoins propres et sans être constitués en centrale d’achats ».

Maîtrise d'ouvrage conservée

Pour nombre de commentateurs, le nouveau montage contractuel est très proche du marché de partenariat, de par sa logique et au vu des études obligatoires à mener avant sa conclusion. « La seule vraie différence, c’est qui porte la maîtrise d’ouvrage », souligne Alain Bénard. En MGPE, la personne publique ; en marché de partenariat, le titulaire du contrat. « Cette loi pourra peut-être relancer un peu la machine, il est plus facile pour des élus de « vendre » à leur opposition ou à leurs citoyens un schéma dans lequel la collectivité conserve la maîtrise d’ouvrage ». En revanche, s’interroge Arnaud Latrèche, « les établissements de crédit ne préfèrent-ils pas financer un opérateur qui détient la maîtrise d’ouvrage ? ».

Autre sujet soulevé, la récupération de la TVA. Selon Christophe Amoretti-Hannequin, pas de doute, le remboursement du capital dans le cadre du tiers-financement relève de la section d’investissement, éligible au fonds de compensation de la TVA (FCTVA), mais pas le remboursement des intérêts, qui relève de la section de fonctionnement. Pour les consultants du cabinet Michel Klopfer, s’exprimant dans une tribune chez nos confrères de la « Gazette des communes », « si l’on ne veut pas tuer dans l’œuf le tiers-financement pour la rénovation énergétique, la solution s’impose d’elle-même, c’est de rendre éligible au FCTVA les intérêts acquittés sur ces montages». A défaut, les surcoûts pourraient être dissuasifs.

On aurait pu imaginer une étude préalable un peu allégée par rapport au marché de partenariat

—  Christophe Amoretti-Hannequin, France urbaine

Etude préalable

Concernant la lourdeur procédurale instaurée par le législateur, « on aurait pu imaginer une étude préalable un peu allégée par rapport au marché de partenariat, commente Christophe Amoretti-Hannequin. Mais je ne suis pas certain que cela va dissuader les collectivités, de toute façon un MGPE sans tiers-financement est déjà complexe à monter ! ». La FNCCR a bien tenté de faire valoir, avant l’adoption de la loi, que cette étude était un peu trop contraignante, « mais on a bien compris que ce n’était pas négociable avec FinInfra, et on partage ce souci de prévoir des garanties en matière de budget des collectivités territoriales », raconte Cécile Fontaine. Qui entend revenir avec des propositions d’assouplissement au moment des consultations sur le projet de décret attendu concernant l’étude préalable, par exemple, un allègement des études lorsque les travaux sont mutualisés entre plusieurs collectivités. « Un décret qu’il faudrait prendre vite, car l’expérimentation n’est prévue que pour cinq ans ! », conclut Cécile Fontaine.

Cinq ans

Une durée sans doute un peu courte, de l’avis de tous. Il y aura probablement une première phase d’attente avant que des pionniers ne se lancent, et que l’offre de tiers-financement ne se mette véritablement en place. Et puis, « pour une interco menant un projet, par exemple, il faut le temps que la prise de décision se fasse, le temps de mener à bien l’étude préalable coûts/avantage, l’étude de soutenabilité budgétaire… » énumère Alain Bénard. Le succès de l’outil pourrait dépendre de la pression mise sur les épaules des décideurs publics, « si par exemple un jour les sanctions tombent pour non-respect du décret tertiaire » avance Arnaud Latrèche…

(1) ayant pour objet de démontrer que le recours à ce type de contrat est plus favorable que le recours à d’autres véhicules de la commande publique.

Un accompagnement nécessaire de l’Etat


Selon l’exposé des motifs accompagnant le dépôt de la proposition de loi Tiers-financement fin 2022, « pour garantir la bonne appropriation de cet outil par les collectivités territoriales, et en particulier les plus petites, l’État devra […] porter une attention particulière à leur accompagnement ».
Les auteurs du texte estiment notamment que l’exécutif devra « rappeler les bonnes pratiques permettant d’éviter tout recours par les collectivités à des schémas de financement mal adaptés ».
Et soulignent, enfin, qu’ « afin de bénéficier d’un accompagnement plus personnalisé, les porteurs de projet pourront mobiliser le programme Action des collectivités territoriales pour l’efficacité énergétique (Actee), financé par les certificats d’économie d’énergie, ou la Mission d’appui au financement des infrastructures (Fin Infra). »
Le programme Actee, qui vise à « mettre à disposition et financer des outils d’aide à la décision pour aider les collectivités à développer des projets de rénovation énergétique des bâtiments publics », est porté par la FNCCR. « Nous allons pouvoir très rapidement proposer ce dispositif de tiers-financement dans le cadre d'Actee, annonce Cécile Fontaine, et faire de la pédagogie ».

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