La lecture combinée, d’une part, du rapport récemment déposé par Jean-Claude Volot - médiateur des relations interentreprises industrielles et de la sous-traitance - et, d’autre part, de différents dossiers de consultation des entreprises (DCE) de collectivités locales avec les modèles annexés de sous-traitance, amène à poser une question aujourd’hui fondamentale : un marché public de services ou de fournitures peut-il être concerné par la réglementation sur la sous-traitance et cette sous-traitance bénéficie-t-elle de l’obligation de paiement direct ?
Une lecture stricte de l’enchaînement des textes (hormis les opérations de transport incorporées à la loi de 1975 par la loi dite « Gayssot » du 6 février 1998) laisse à penser que ce régime particulier de sous-traitance à paiement direct ne pourrait concerner, pour les services, que ceux en relation avec la construction d’un ouvrage, comme c’est le cas pour les services de maîtrise d’œuvre. Cependant, tous les marchés publics - y compris ceux de fournitures et de services - seraient concernés par des règles d’agrément de sous-traitant.
A la lecture du premier alinéa de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1975, qui concerne à la fois les contrats du secteur privé et du secteur public, une ambiguïté apparaît, dès que sont visés les rapports entre entrepreneur et maître d’ouvrage : « ... la sous-traitance est l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou partie (terme ajouté par la n° 2001-1168 du 11 décembre 2001) du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage. »
Un cadre très limité...
Selon la jurisprudence judiciaire, même si l’entreprise n’intervient pas sur le chantier, il y a un contrat d’entreprise et non un contrat de vente lorsque le professionnel réalise un travail spécifique en vertu d’indications particulières ; ou répond à une commande spéciale du maître de l’ouvrage ; ou exécute une prestation qui nécessite une conception. Le contrat d’entreprise se distingue alors du simple contrat de vente par approvisionnement de matériaux ou de produits finis standardisés.
Un contrat d’entreprise est la dénomination moderne du contrat de louage d’ouvrage, au sens des articles et du Code civil. Certes, en application du vocable désuet de l’article 1787, la notion d’ouvrage se rapproche de celle d’un contrat d’entreprise. Cependant, lorsque le contrat principal est un marché public, on trouve une définition du « maître de l’ouvrage » précise dans la , relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, à son article 2 : « Le maître de l’ouvrage est la personne morale, mentionnée à l’article premier, pour laquelle l’ouvrage est construit (…). »
Ainsi, lorsque le contrat principal est un marché public, on peut s’interroger sur le fait que la sous-traitance, au sens de la loi de 1975, ne puisse concerner qu’un contrat d’entreprise en relation avec un acte de construire.
... Mais un vaste champ débordant du cadre de la loi de 1975
La loi de 1975 n’a pas vocation à régir tous les cas de sous-contrat et rien n’indique que des sous-traitances ne pourraient pas exister en dehors du cadre de cette loi, mais sans droit à paiement direct ou en action directe du sous-traitant. C’est la pratique courante en matière de formation, et les personnes publiques érigent bien ce constat en pratique professionnelle. En effet, il ne vient à l’idée d’aucune d’entre elles d’organiser un paiement direct au profit de l’animateur qui ne serait pas salarié de l’organisme de formation.
Il faut donc distinguer parmi la sous-traitance qui recouvre tous les sous-contrats d’entreprise, celle de services et de travaux relative à la réalisation d’un ouvrage public avec l’ouverture spécifique des droits à paiement organisée par la loi de 1975. Même la sous-traitance industrielle citée à l’article 14-1 de la loi de 1975 n’apparaît qu’en relation avec des contrats de travaux de BTP.
Si l’on recherche une terminologie de « maître de l’ouvrage » en droit civil, on remarquera également au Code civil (articles , , , , à ) qu’elle n’est employée qu’en relation avec un acte de construire. Ainsi, sauf exception prévue par la loi de 1975 (comme celle du droit à paiement des transporteurs), il est possible que le juge, saisi d’un contentieux soulevant ce motif de la qualification du « maître de l’ouvrage », considère comme irrégulières des dispositions qui organiseraient une obligation de déclaration de sous-traitance dans des marchés n’ayant pas pour objet la réalisation d’un ouvrage, que ce soit au sein des pièces contractuelles ou du règlement de consultation.
Autrement dit, une décision d’agrément d’un sous-traitant n’emporte pas nécessairement l’acceptation des conditions de paiement avec droit à paiement direct au profit de ce dernier. En effet, cet agrément « simple » de la sous-traitance hors la loi de 1975 n’est pas étranger aux règles de la commande publique.
Lorsque le droit européen traitait par autant de directives séparées les fournitures, les services et les travaux, la sous-traitance existait déjà dans l’ancienne directive européenne 93/36/CEE du 14 juin 1993. Celle-ci organisait les marchés publics de fournitures, alors même que les différentes versions du Code des marchés publics - conformément à la loi de 1975 - excluaient le droit à paiement direct pour l’exécution d’un marché de fourniture. La vocation de ce texte (1) est de donner une reconnaissance aux entreprises qui interviennent dans la pose ou l’installation des fournitures (accessoires de voirie, mobiliers urbains, etc.). En retenant un fournisseur candidat présentant son sous-traitant d’installation ou de pose, l’autorité adjudicatrice agrée le sous-traitant sans que le droit européen ne lui ouvre un droit spécifique à paiement. Cette vocation est toujours présente dans la directive unifiée 2004/18/CE, mais sa rédaction est désormais noyée dans le « corpus » commun à toutes les natures de marchés. La notion de sous-traitance en marché public va donc bien au-delà du seul cadre fixé par la loi de 1975. Cette notion générique de sous-traitance a bien été intégrée au sein du CMP, mais de manière discrète par l’article 45, au seul titre de la justification de l’apport de capacités à un candidat conformément au droit européen précité.
Pour reprendre l’exemple de notre organisateur de formation, il pourra faire état de la compétence de son animateur sous-traitant pour appuyer sa candidature au marché public, sans que cette déclaration n’emporte de droit spécifique à paiement au profit de ce sous-traitant.
En outre, une obligation de déclaration de sous-traitance a forcément des conséquences sur l’organisation de la concurrence. Elle oblige les partenaires, qui ne souhaitent pas apparaître en groupement, à prendre une forme de sous-traitance dans leurs rapports contractuels et le litige pourrait même donner lieu à des contentieux via le référé précontractuel.
Sur le plan contentieux, la solution à dégager sur le droit, ou non, à la créance de ce sous-traitant à l’encontre de l’administration provien- dra probablement du juge civil.
Un nouveau type de contentieux ?
Dans un arrêt du 26 septembre 2007 (nº 255 993, « Département du Gard »), le Conseil d’Etat - outre qu’il affirme qu’il n’y a aucun paiement direct possible en dehors du cadre strict de la loi de 1975 - ne semble tirer sa compétence pour traiter du paiement direct des sous- traitants que lorsque ce paiement concerne l’exécution de marchés publics de travaux, du seul fait du caractère attractif du contentieux en matière de travaux publics. Il se restreint à l’application de l’article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII, qui attribue à la juridiction administrative la compétence pour connaître des torts et dommages résultant de l’exécution de travaux publics provenant du fait personnel des entrepreneurs et non du fait de l’administration.
A notre connaissance, aucun contentieux ne s’est développé sur cette notion de sous-traitance qui serait liée nécessairement à une maîtrise d’ouvrage, ou dans une problématique de marchés mixtes, mais le risque existe.
Même si le juge considère qu’un marché public, hors la réalisation d’un ouvrage, serait insusceptible de sous-traitance à paiement direct, on ignore s’il pourrait également considérer que l’irrégularité d’imposer aux candidats une déclaration de sous-traitance à paiement direct serait susceptible d’entacher la procédure d’un manquement de transparence ou d’égalité de traitement. Le juge pourrait, éventuellement, retenir l’intérêt à agir d’un candidat critiquant l’autorité adjudicatrice pour avoir retenu un concurrent avec acceptation irrégulière d’un sous-traitant à paiement direct.
En effet, on peut supposer que le paiement direct du sous-traitant, en tant que celui-ci dispose d’un avantage financier résultant de ce mode de paiement (et c’est bien la vocation protectrice de la loi de 1975), permettrait au candidat retenu par ricochet de disposer d’un avantage irrégulier sur le coût proposé de sa prestation.
Si ce risque contentieux en attribution de marchés publics n’est pas inexistant, celui en revendication de paiement paraît nettement plus dangereux pour les finances publiques. On imagine aisément qu’un représentant des créanciers d’une entreprise titulaire en liquidation exige, de la part de l’autorité adjudicatrice, le paiement de prestations déjà réglées indûment au sous-traitant. En effet, le juge administratif estime, qu’en matière de sous-traitance, qui paie au mauvais créancier doit payer une deuxième fois au bon.
Jusqu’alors, il a eu l’occasion d’appliquer cette règle au profit du sous-traitant qui aurait dû bénéficier du paiement direct (, « Commune de Chalabre ») et il pourrait aussi bien l’appliquer au profit du titulaire du marché (et donc à ses ayants droit en cas de procédure collective), qui aurait dû être le seul destinataire du paiement des prestations.
Le raisonnement serait alors le suivant : d’une part, le paiement au sous-traitant hors application de la loi de 1975 n’est pas libératoire de la créance publique à devoir au titulaire ; d’autre part, l’hypothétique action en répétition de l’indu au sous-traitant par l’autorité adjudicatrice est du seul ressort du juge civil, si l’on suit le raisonnement de l’arrêt du Conseil d’Etat précité du 26 septembre 2007.
