La planification de l'eau se cogne contre un mur d'ignorance

Les 15 Mds € non investis depuis cinq ans ne suffisent pas à rendre compte de l’inquiétude de l’Union des industriels de l’eau (UIE), face à la dégradation du patrimoine. L’étude publiée le 3 octobre pointe un autre trou béant : l’information disponible sur les dépenses des maîtres d’ouvrage ne cesse de se dégrader.

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Mur de l'investissement
Pour maintenir le patrimoine depuis 2017, il aurait fallu investir 4,6 milliards d'euros de plus par an.

La politique de l’eau souffre d’une opacité croissante. Ce constat ressort de l’étude publiée le 3 octobre par l’Union des industriels de l’eau (UIE), qui dispose d’une preuve imparable : la comparaison avec un travail similaire réalisé en 2017, à l’occasion des Assises de l’eau.

Dégradation des sources publiques

Plusieurs facteurs s’additionnent : destinée à l’évaluation des besoins de renouvellement patrimonial nécessaire au bon état de l’eau, l’étude de récupération des coûts publiée en 2019 a dû s’appuyer sur celle de 2012, pour garantir la permanence de la méthode de calcul de durée de vie des équipements et infrastructures.

Depuis 2018, l’agrégation des données sur l’eau potable et l’assainissement, dans les rapports de la direction générale des finances publiques, aggrave la dégradation des sources disponibles. Plus récemment, deux autres faits ont confirmé la tendance : transformation des anciens « Comptes de l’environnement » en « Bilan environnemental de la France », et disparition de la distinction entre exploitation et investissement, dans les données disponibles sur la gestion des eaux usées.

Cerise sur le gâteau : « Le pluvial, c’est l’inconnue. La connaissance du patrimoine n'a pas enregistré le moindre progrès depuis 2012 », tempête l’économiste indépendante Maria Salvetti, autrice de l’étude de l’UIE et experte auprès de la Banque mondiale et de l’OCDE.

Ni transparence, ni volonté

Parmi les signes du défaut de pilotage national, l’absence de suivi du « décret fuite » de 2012 laisse rêveur : l’administration se révèle incapable de chiffrer les pénalités infligées aux collectivités propriétaires de réseaux dont le rendement n’atteint pas 85 %, assujetties par ce texte à un doublement de leur redevance. « Il n’y a ni transparence, ni même volonté d’appliquer la règlementation », fustige Maria Salvetti.

Sur le fonds et malgré ces trous, l’exploitation des données disponibles apporte son lot de révélations préoccupantes : pour maintenir le patrimoine dans son état de 2017, il aurait fallu investir 4,6 Mds€ de plus par an, soit 1,8 Md€ dans l’eau potable, 1,4 dans l’assainissement, 1 pour les eaux pluviales et 390 M€ pour les micropolluants.

Or, « plus on attend, plus ce sera dur », alerte Jean-Luc Ventura, président de l’UIE. Le spectre du mur de l’investissement inquiète d’autant plus que dans l’assainissement, les maîtres d’ouvrage donnent des signes de relâchement, depuis le pic de 2009 occasionné par la directive Eaux résiduaires urbaines de l’Union européenne.

Victimes rurales

Peu visibles, les victimes se trouvent essentiellement à la campagne, où les deux tiers des réseaux desservent le tiers de la population. En concédant aux communes rurales la pérennité de la maîtrise des équipements convoités par les intercommunalités, la loi 3DS n’accélère pas la réduction de cette fracture, estiment les industriels.

Le phénomène passe d’autant plus inaperçu que les principales communications, dans le domaine de la gestion de l’eau, émanent des métropoles qui, avec l’avantage de la densité démographique et des moyens apportés par de gros consommateurs privés, disposent des meilleures technologies, y compris pour éliminer les micropolluants. Financée grâce aux redevances de Coca-Cola, de Novartis et du marché de Rungis, l’usine de nano-filtration du syndicat des eaux d’Ile-de-France, à Méry-sur-Oise, illustre cet effet vitrine qui cache le décrochage rural.

Mixer le gris et le vert

Même s’il se réjouit de la montée en puissance des solutions fondées sur la nature, le président de l’UIE n’y voit pas une source d’allégement des investissements indispensables. L’exemple parisien étaye son argumentation : « Le traitement à la parcelle évacuera les pluies courantes. Mais les événements climatiques à venir nécessiteront une révision à la hausse des capacités de rétention », pronostique Jean-Luc Ventura.

Maria Salvetti abonde : « Les investissements verts présentent un bilan coût bénéfice imbattable. Mais leur mixage avec des infrastructures grises reste incontournable ».

Des lueurs d’espoir éclairent pourtant l’horizon : « Il y a de l’argent », déclare Jean-Luc Ventura, saluant la reconduction des aquaprêts de la Banque des territoires, destinés à financer des investissements amortis sur une très longue durée. L’UIE appelle à mettre fin à la thésaurisation des fonds des agences de l’eau, rappelant au passage leur effet multiplicateur, chiffré à trois euros investis pour un euro de subvention.

Un test pour la planification écologique

Une autre ressource potentielle proviendrait, selon Maria Salvetti, de la voie ouverte par le Danemark : celle du « consentement à payer » à solliciter auprès des utilisateurs les plus dépendants.

Dans l’attente de la seconde étude prospective Explore qui mettra à plat les besoins en eau des décennies à venir, et au moment où démarrent les concertations sur la planification écologique, Jean-Luc Ventura résume les conditions de la sécurité hydrique : « Une trajectoire irrévocable vers un nouveau modèle économique de l’eau, incluant le renouvellement ».

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