Le premier site naturel de compensation restaure une steppe méditerranéenne

Le premier site naturel de compensation a obtenu l’agrément des ministres Elisabeth Borne et Emmanuelle Wargon, le 24 avril. Cette nouvelle offre peut sécuriser les projets des aménageurs, grâce à une anticipation de leurs impacts sur les habitats, les milieux et les territoires.

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réserve cossouls
A Saint-Martin de Crau (Bouches-du-Rhône), le premier site naturel de compensation contribue à restaurer l'écosystème de la Crau sèche

48 000 euros pour une unité de compensation d’1 hectare : la comptabilité des actifs du premier site naturel de compensation manque singulièrement de poésie. Mais pour CDC Biodiversité, propriétaire et exploitant des 357 hectares du domaine de Cossure (Bouches-du-Rhône) agréé par l’Etat le 24 avril, la défense de la cause écologique passe par sa valorisation économique.

Sujet sensible

Le législateur suit ce raisonnement sans trop le claironner. Dans les dernières semaines du processus qui a conduit à la promulgation de la loi Biodiversité, le 8 août 2016, le déficit poétique n’a pas échappé aux rédacteurs du texte : voilà comment les « réserves d’actifs naturels » se sont transformées en « sites naturels de compensation », dans la formulation finale de l’article 69.

« Ca faisait trop comptable. Le ministère craignait les détracteurs, sur le thème du droit à détruire. Depuis le démarrage du projet à titre expérimental en 2008, on sent bien qu’on marche sur des œufs », observe Philippe Thievent, directeur de la filiale de la Caisse des Dépôts.

Trois cribles

Dans la décennie qui a précédé le 24 avril 2020, la prudence de l’Etat s’est aussi exprimée par l’accompagnement de trois autres projets expérimentaux, en Rhône-Alpes Auvergne, Bretagne et Ile-de-France, portés par un groupement d’intérêt public, un bureau d’études et une association impliquant EDF. Preuve de la rigueur de l’exercice qui aboutit à la valorisation des actifs naturels, aucun d’entre eux n’a recueilli l’agrément.

Après les services déconcentrés de l’Etat, le conseil national de la protection de la nature examine le potentiel de compensation à travers un triple crible : les espèces, les milieux et les territoires.

Pour pouvoir acheter des unités de compensation, les maîtres d’ouvrage doivent trouver une offre correspondant aux atteintes qu’ils portent à la nature, dans l’un de ces trois domaines. L’équivalence en hectares fait l’objet de calculs précis : le premier client du site en a acheté 44,12.

Lien économique et écologique

« Le domaine de Cossure offre un habitat adapté aux outardes méditerranéennes, qui subissent les impacts du projet d’un promoteur des costières de Nîmes. La logique économique et écologique tient dans ce lien entre le dommage et la compensation. A l’inverse, Cossure ne répondrait pas à des impacts sur la forêt méditerranéenne », commente Philippe Thievent.

Au moment de la signature de l’agrément par les ministres Elisabeth Borne et Emmanuelle Wargon, CdC Biodiversité avait commercialisé 55 % des unités de compensation auprès d’aménageurs de la région Paca. Le prix rémunère les investissements de restauration écologique réalisé de 2008 à 2010, ainsi que la gestion du site sur les 30 ans de validité de l’agrément, entre 2008 et 2038. La filiale de l'institution financière d'Etat y ajoute une marge qualifiée de « faible ».

Projet allégorique

Pour réconcilier les poètes avec les scientifiques et les économistes, l’histoire de la métamorphose de l’ancien verger industriel mérite le détour : longtemps dopés aux engrais de synthèse et autres produits phytopharmaceutiques, alimentés en eau par 1000 km de canalisations en plastique, les arbres fruitiers malades menaçaient de transmettre leur virus autour d’eux.

Face à cet héritage qui aboutit à la liquidation de l’ancienne exploitation, la restauration de l’écosystème de la Crau sèche donne au domaine de Cossure l’occasion de renouer avec son passé : celui des steppes semi-arides, imperméabilisés par la couche de poudingue produite au fil des siècles par l’interaction entre les moutons, les pierres et les plantes, dans la plaine de la Durance. Certes, « les 30 ans de l’agrément ne suffiront pas à retrouver le fonctionnement des coussouls de la Crau sèche, uniques dans l’Europe méditerranéenne », reconnaît Philippe Thievent.

2500 moutons

Le chemin tracé n’en sert pas moins cet objectif, auquel contribuent les deux gestionnaires : le conservatoire des espaces naturels pour le suivi écologique, la Chambre d’agriculture pour l'exploitation agro-pastorale. Cette dernière a sélectionné les deux bergers qui totalisent quelque 2500 bêtes présentes par intermittence sur le site, en fonction des besoins de pâturage. « L’intérêt du retour à l’élevage ovin dépasse le périmètre du site : mitoyen de la réserve naturelle des Coussouls, le domaine de Cossure contribue à redonner une continuité à l’écosystème fragmenté de la Crau sèche », souligne Philippe Thievent.

moutons
moutons moutons

La gestion écologique du site repose sur l'élevage ovin

Après l’étape du premier agrément, la preuve de l’efficacité du nouveau modèle repose sur sa reproductibilité. CdC Biodiversité a identifié quatre sites candidats. La filiale de la Caisse dépôts se tient prête à assister des conseils régionaux, dans la gestation d’autres projets dont certains combineraient compensation et désartificialisation. Aux calendriers aléatoires et aux dépenses imprévisibles d’une compensation a posteriori, la nouvelle offre oppose la sécurité de l’anticipation.

Un coup de pouce du Premier ministre pourrait accélérer la montée en puissance du nouveau marché : les sites naturels de compensation figurent parmi les pistes développées par le député Guillaume Kasparian, dans son rapport remis en septembre dernier à Edouard Philippe, sur « cinq chantiers pour simplifier et accélérer les installations industrielles ».

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