A 66 ans, Bernard Devert est un promoteur pressé. Son temps, il le consacre à trouver des solutions de logement aux personnes démunies. Mais pas seulement. Ordonné prêtre à 40 ans, il n’en oublie pas pour autant son sacerdoce. Rattaché au sanctuaire Saint-Bonaventure de Lyon, il y célèbre messes et mariages. Aîné d’une fratrie de cinq enfants, Bernard Devert a suivi des études de droit avant de démarrer sa carrière au sein d’une société de promotion et de gestion, dans laquelle il restera une dizaine d’années avant de créer sa propre entreprise. C’est à cette même époque qu’il démarre, en parallèle de son travail, des études de théologie. « J’ai répondu tardivement, mais je ne suis pas une vocation tardive », aime-t-il à dire. Des études de théologie qu’il suivra durant cinq années. « J’ai eu la chance de rencontrer le cardinal de Courtray qui m’a créé un parcours sur mesure, sans passer par le séminaire. »
Réconcilier l’humain et l’urbain
L’homme d’Eglise a, en effet, toujours souhaité garder un pied dans le monde économique, imaginant déjà les interactions entre ces deux univers. Et c’est bien là un des traits de caractère de Bernard Devert. « Il est superimaginatif. Toujours à la recherche de solutions originales pour mener à bien ses projets », indique Pierre Bazaille, notaire à Givors (Rhône), qui le connaît depuis une vingtaine d’années.
Le lien entre ses deux mondes, le père Devert l’a tissé en fondant l’association Habitat & Humanisme qui œuvre en faveur du logement et de l’insertion des personnes en difficulté. « Il y a trente ans, la création de notre mouvement relevait de l’utopie », se souvient-il. Aujourd’hui, il fait figure de modèle pour l’économie sociale et solidaire. « Nous travaillons sur une approche de la réconciliation. Réconciliation de l’économie et du social, de l’humain et de l’urbain ». Ce « mouvement », comme il le nomme, compte aujourd’hui 250 salariés et dix fois plus de bénévoles. Il comprend une foncière qui construit ou rénove des logements (3 000 sur le territoire français) et gère en location plus de 4 000 logements. Habitat & Humanisme, c’est aussi un réseau de maisons d’accueil et de soins (2 200 lits environ) pour personnes âgées démunies.
« La question de la vulnérabilité est essentielle dans ma vie. » Marchant dans les pas du philosophe Paul Ricœur, qui écrivait « l’objet de la responsabilité, c’est le fragile », Bernard Devert mise sur le « prendre soin ».
Créer des passerelles
Ainsi, lorsqu’il construit des logements, il prend soin de bien choisir les lieux. « L’important est de ne pas rajouter de la fragilité à la fragilité. Au travers de nos programmes immobiliers, nous essayons de créer des passerelles entre un quartier équilibré et les personnes fragilisées que nous logeons. » Tel fut le cas, lorsqu’Habitat & Humanisme implanta 80 logements, dont la moitié en accession à la propriété, en plein cœur du très chic 6 arrondissement de Lyon. Non sans mal. Maître Bazaille se souvient qu’Habitat & Humanisme eut des difficultés à « vendre » ses logements. « Nous avons, avec mon associé, décidé d’acheter un appartement dans ce programme. Une façon de montrer que nous y croyions ! » Une œuvre charitable qui se révéla être un bon investissement. Prendre soin, passe aussi, pour le promoteur, par le choix des programmes. L’architecte Marc Pescadère, qui construit actuellement 25 logements mixant logement social et accession à la propriété à Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, confirme le soin qu’il met dans le choix des programmes. « Il n’a pas les réflexes d’un promoteur classique. Il ne veut pas de boîtes ! Il défend avant tout les intérêts des bénéficiaires de ses logements même si ça doit lui coûter des travaux complémentaires. » Mais attention, l’homme reste un professionnel aguerri aux questions de financements des opérations, capable de discuter les prix avec les entreprises.
Infatigable, Bernard Devert sait que le développement de son activité ne pourra se faire sans l’appui de partenaires, grands groupes du BTP en tête. L’épargne salariale à vocation solidaire, proposée par certains d’entre eux, est un premier vecteur. « Aujourd’hui, le monde associatif n’a plus le monopole de l’insertion. Les entreprises sont de plus en plus concernées par cette question », souligne-t-il en imaginant déjà des synergies à venir.
