Vous avez été reconnue comme la 2e meilleure maire au monde par l'association britannique City Mayors Foundation. En cette période de crise de la représentation politique, comment avez-vous reçu cette distinction ?
Ça a été une jolie surprise mais je considère que c'est avant tout un bel éclairage sur Rennes, un territoire en pleine transformation et en même temps viscéralement attaché à des thèmes comme la justice sociale, la transition écologique ou le renouveau démocratique. A un moment où, à la faveur de la crise que nous traversons, l'exécutif gouvernemental redécouvre les corps intermédiaires, c'est aussi l'occasion de faire un zoom sur le rôle des maires et les responsabilités politiques particulières des élus locaux.
En quoi cette responsabilité est-elle particulière et comment y répondez-vous ?
Même si les maires s'en sortent un peu mieux du point de vue de l'acceptation collective, il n'empêche que l'on constate à la fois un désintérêt de la chose publique et des fractures de plus en plus grandes entre les citoyens et leurs responsables politiques. Je me suis emparée de cette question de la lutte contre la « fatigue politique » car quand vous êtes élue sur la base d'un corps électoral où il y a 50 % d'abstention, vous ne pouvez pas faire comme si ce problème n'existait pas.
Surtout que je me situais dans une certaine continuité en ayant participé aux précédentes équipes municipales. Dans notre programme, nous avons insisté sur l'ouverture de la gouvernance municipale à la participation citoyenne.
Cela passe par de multiples initiatives comme des votations, des conseils citoyens, des comités d'usagers, des formes de consultations nouvelles sur la totalité de nos aménagements, la révision du PLU Rennes 2030… ou encore un budget participatif que nous avons été parmi les premiers à mettre en place. Avec 18 M€ à l'échelle du mandat, soit 3,5 M€ par an, cela correspond à 5 % de notre budget d'investissement. Au fil du temps, cette implication citoyenne est devenue la marque de fabrique de l'équipe municipale.
Et que deviennent les décisions politiques ?
Aujourd'hui, on ne peut plus faire de l'action publique comme hier. Pour maintenir vivante et solide une démocratie, les élus ne doivent pas décider seuls dans leur bureau, mais au contraire, créer les conditions de la participation des citoyens. Je suis convaincue que le représentatif et le participatif, que l'on oppose parfois, se renforcent mutuellement.
« L'intégration de l'expertise citoyenne permet à la fois une décision pertinente et une adhésion »
Beaucoup de projets n'auraient pourtant jamais pu voir le jour sans des décisions politiques fortes…
Il peut y avoir une mythification de projets anciens ayant suscité de fortes oppositions et qui ont vu le jour.
Dans l'histoire rennaise, on évoque par exemple le métro ou l'extension du plateau piétonnier. Mais la société a beaucoup évolué et ce qu'on a pu faire à l'époque ne pourrait plus se faire dans les mêmes conditions aujourd'hui. Le rôle des associations, des corps intermédiaires a changé et nous devons aussi intégrer le fait qu'Internet est passé par là. On peut être tenté de se dire que c'était mieux avant, mais on peut surtout faire de cette évolution une opportunité. Dans les budgets participatifs, des projets formidables n'auraient jamais vu le jour si nous avions dû décider seuls.
La participation contribue-t-elle aussi à mieux faire accepter les projets, aujourd'hui de plus en plus contestés ?
Elle a plusieurs objectifs. D'abord, la démocratie locale permet de créer de la cohésion et du commun. Ensuite, elle rapproche le citoyen des décideurs publics. Alors qu'il y a de plus en plus de citoyens experts et que chacun se sent légitime d'exprimer un point de vue en considérant que sa propre expertise vaut vérité, elle crée les conditions d'une écoute, d'une prise en compte et d'une confiance retrouvée. Enfin, c'est aussi une garantie de l'efficacité de l'action publique. L'intégration de l'expertise citoyenne permet à la fois une décision pertinente et une adhésion.
S'il n'y a pas d'adhésion, on ne plus ni agir, ni décider.
Le risque n'est-il pas de tomber dans une forme de démagogie ?
La participation citoyenne n'est pas la dictature de l'opinion. Aujourd'hui, avec Internet, il est très facile de lancer une pétition et quatre riverains immédiats d'un projet peuvent très vite se retrouver avec 500 signatures, de toute la France d'ailleurs. Avec la force des réseaux sociaux et des médias susceptibles de relayer cette contestation, cela peut devenir non pas « quatre riverains opposés au projet » mais « les Rennais s'opposent au projet ». Les contestations existeront toujours mais elles n'auront pas la même portée si, par la participation, nous avons créé les conditions d'une compréhension commune et une adhésion à des grands objectifs.
Ainsi, notre grande concertation Rennes 2030 sur le PLU a permis de dégager des points de consensus très forts comme la question de la nature et de l'eau dans la ville, la préservation du patrimoine, une volonté de plus d'audace architecturale et la nécessité de construire pour accueillir, avec cette crainte que les prix de l'immobilier montent si on ne répond pas à la demande.
« Que le gouvernement nous fasse confiance et nous laisse faire ! »
Selon vous, quelles sont les principales qualités d'un maire ?
D'abord, chacun y met sa personnalité et tous les territoires ne se ressemblent pas. Pour ma part, je vois ma fonction comme celle d'un ensemblier. Mon rôle est de créer un cadre pour que tout le monde se parle, ait confiance et ose.
A Rennes, nous sommes dans une phase d'accélération où tous les clignotants sont au vert, comme le soulignent régulièrement les divers palmarès. Paradoxalement, ces périodes de croissance peuvent générer un risque de décrochage si certains ou certaines ont le sentiment de ne pas pouvoir en bénéficier. Selon moi, un maire doit faire en sorte que les projets naissent partout mais qu'ils ne laissent personne au bord du chemin, et que chacun puisse se dire que ce qui est en train de se jouer est aussi pour lui.
La crise des Gilets jaunes a également révélé une fracture territoriale avec le monde périurbain et rural, qui vous donne une responsabilité particulière…
Effectivement, notamment pour penser nos mobilités, mais aussi nos politiques de l'habitat. Quand on expérimente le loyer unique, pour que chacun, quels que soient ses revenus, puisse habiter en centre-ville, c'est une manière de répondre à ces questions. On entend aussi que les métropoles se développent au détriment de ceux qui sont autour.
Mais on est toujours le gros de quelqu'un et le petit d'un autre. C'est dans des dynamiques communes et partenariales qu'on avance vers un territoire équilibré, surtout que les attentes des habitants ne sont pas cantonnées dans des limites administratives. Le fait d'être désormais à 1 h 25 de Paris en TGV a généré 27 % de trafic ferroviaire supplémentaire entre Rennes et Paris, mais aussi 20 % en plus sur l'ensemble du réseau breton. J'ai toutefois un point de vue disruptif car je ne crois pas au concept d'égalité des territoires. Une université ne fonctionne qu'avec un écosystème qui suppose une forme de concentration.
En revanche, je suis très attachée à l'égalité dans les territoires. A savoir, comment rendre les services accessibles quel que soit le lieu où l'on habite.
Le gouvernement semble renouer avec les maires et les élus locaux. Qu'attendez-vous de lui ?
Qu'il nous fasse confiance et nous laisse faire ! Je suis engagée dans les politiques de l'habitat. Dans le cadre de la loi Elan, j'ai fait des propositions au nom du territoire sur la manière dont ces politiques doivent être totalement décentralisées et territorialisées dans un régime de contractualisation, avec des objectifs précis. On m'a écouté de façon polie, mais ces principes ne font guère partie des logiciels nationaux.
Derrière ces propositions, il y avait la capacité à endiguer les effets désastreux de la réduction du loyer de solidarité (RLS) et de la loi Elan. On a beaucoup alerté à l'époque et il se trouve que les chiffres de la construction nous donnent raison aujourd'hui.