Quels sont les atouts de la nouvelle région que vous souhaitez développer en priorité ?
Alain Rousset : La première richesse de la région c’est sa diversité. A la fois l’océan, la campagne, les grande filières aéronautique, agroalimentaire, nautique, le bois, le tourisme et aussi des filières émergentes. Nous avons eu cette capacité à anticiper l’avenir, notamment avec le numérique -il y a 50% de l’e-santé française dans la région Aquitaine-, la silver économie, l’optique et le laser, que nous avons développés avec le CEA, qui est au XXIe siècle ce que l’électronique était au XXe. Sans compter une agriculture de qualité, une diversité en matière de recherche, des domaines d’excellence. Et puis des sites touristiques de premier ordre, Hossegor, Biarritz, le bassin d’Arcachon, mais la nouvelle région, c’est aussi Lascaux -avec son projet de Lascaux IV, qui sera livré cette année-, le marais poitevin et le lac de Vassivière, entre Creuse et Haute-Vienne. Une diversité humaine du pays basque à la Saintonge, de la Corrèze au Périgord, qui nous pose également un vrai défi d’unité et d’identité régionale. Une région que j’arpente jour et nuit.
Vous avez fait de la formation, notamment dans le BTP, un enjeu de votre mandat.
A. R.: Le vice-président chargé de la formation est allé au lycée des métiers du bâtiment de Felletin (Creuse). Le lycée de TP d’Egletons, celui de Blanquefort, le lycée Cantau sont des établissements géniaux pour le BTP. Le constat est qu’il faut travailler davantage avec la profession, élaborer en co-construction une stratégie de formation. Dans le cadre du plan 500 000 formations, notre région doit former 24 000 demandeurs d’emploi supplémentaires. Il nous faut un plan utile pour les demandeurs d’emploi et les entreprises, distinguer quels sont les métiers en tension, ceux pour lesquels la revalorisation de l’image est importante. Certains secteurs industriels ont aussi à faire le travail qu’a fait le BTP en matière de revalorisation, de conditions de travail, de rémunération.
Je pense surtout à la métallurgie, aux industries du bois, aux entreprises de charpente. Il faut aussi réflécchir à l’éducation avec les méthodes modernes de simulation, le numérique, la réalité augmentée. Sur, l’Aérocampus de Latresne par exemple, on apprend la soudure avec un simulateur. La formation est également un élément d’attractivité des entreprises : si Dassault, Thalès se développent dans la région, c’est parce qu’ils y trouvent réunies les conditions d’attractivité des entreprises.
Rappelons qu’aujourd’hui nous avons en France les mêmes taux d’accès aux emplois qualifiés que l’Allemagne. Une qualification reste le plus sûr sésame pour un emploi. Il existe également un aspect culturel dans l’orientation: une formation choisie, c’est une formation réussie, c’est un emploi tout trouvé. Tout le travail à faire dans ces 24 000 formations en Aquitaine va être de ne pas faire des formations de temps court, mais qualifiantes. Pour cela, il serait intéressant de reconstituer le pôle des conseillers de l’Afpa, avec des agents qualifiés en matière d’orientation. La formation ne doit pas être un choix par défaut pour le demandeur d’emploi, elle constitue un élément moteur du développement économique.
Je rappelle que Poitou-Charentes détient le record de France du nombre d’apprentis. Mon premier acte en tant que président de Poitou-Charentes a été de poser la première pierre de l’Eco CFA à Chasseneuil qui regroupe trois CFA, et j’ai donné le feu vert pour un autre CFA à Poitiers.
L’usine du futur est un de vos credo. Quelle est votre ambition dans ce domaine ?
A. R.: Nous sommes partis en Aquitaine d’un constat: l’un des critères sur lesquels une région peut agir est la compétitivité des entreprises grâce à la productivité. Sur la base d’un cas concret, l’usine Turboméca de Bordes, que nous avons reconstruite, qui a investi et s’est développée. L’usine du futur, ce n’est pas seulement un bâtiment, c’est une communauté d’hommes et de femmes. Peut-être y suis-je plus sensible comme fils d’ouvrier ? Je veux briser cette notion de France sans usines. L’industrie du futur, elle doit être en France, pas en Chine. Parce qu’elle est modernisée, numérisée, robotisée, parce qu’on a réfléchi au process, que les conditions de travail sont améliorées, la productivité explose. Notre région a été le berceau du programme national d’usine du futur. Nous avons dégagé 20 millions d’euros et déjà aidé 220 usines du futur. Nous en sommes au 3e appel à manifestation d’intérêt. La région finance l’audit de l’entreprise à 100%, puis celle-ci entre dans un processus de décisions stratégiques du chef d’entreprise et des investissements sur lesquels nous intervenons également financièrement. Tout le monde est preneur. Et cela règle la contradiction actuelle de taux d’intérêt historiquement bas et d’un très bas niveau d’investissement dans les entreprises. L’Aquitaine est sur un volume de placement de prêts bancaires à l’investissement des PME trois fois supérieur à la moyenne nationale. Cette région a un avenir industriel.
La région Poitou-Charentes a connu quelques soucis budgétaires. Quelle conclusion tirez-vous de l’audit financier qui vous a été remis ?
A. R.: L’audit confirme le constat de mes équipes: 132 millions de factures impayées, qui ont à ce jour été réglées, la présence de prêts structurés, qu’il va falloir très vite renégocier avec l’aide Bercy. Je n’ai pas encore audité le crédit-bail sur les TER, mais tel que j’ai lu le rapport, il ne me paraît pas extrêmement dangereux. Tout est problème d’accumulation. L’accumulation de politiques volontaristes, séparément intéressantes, a produit une bulle non finançable. Par ailleurs, la croissance des frais de fonctionnement internes a privé la région Poitou-Charentes de sa capacité d’autofinancer l’investissement. Elle a dû recourir à l’emprunt pour continuer d’investir. Si bien que sa capacité de désendettement s’est envolée: en Aquitaine, nous étions à 3 ans, et depuis 2 ans, nous avons franchi des seuils de désendettement qui se sont emballés.
Quelles solutions pour l’avenir ?
A. R.: D’abord, il y a continuité républicaine, de payer les engagements pris. Je l’avais fait en 1998 en arrivant à la tête de la région Aquitaine, fortement endettée. Puis nous allons arrêter un certain nombre de politiques qui mettent en cause la survie des finances régionales. Ce sont des choix à faire très vite sur les politiques spécifiques de Poitou-Charentes qui ne sont plus soutenables. Comme par exemple le programme «10 000 toitures» (passé à 19 000) ou la politique d’accompagnement de la Région aux petites communes confrontées à la baisse des dotations de l’Etat. Mais la Région aussi est touchée par cette baisse. Ce sont des politiques qui ne sont plus dans les compétences de la loi Notre, comme le fonds d’initiative locale d’aide aux petites communes, qui est passé de 9,3 millions d’euros, en 2014 à 25 millions en 2015, qui ne sont pas financés.
Est-ce qu’en 2016 votre capacité d’investissement diminue ?
A. R.: Notre budget 2016 recourt à un peu plus à l’emprunt que ce que nous avions prévu initialement. Mais nous avions un airbag d’autofinancement et une capacité de désendettement de 3 ans en Aquitaine. En absorbant la dette poitevine, même si sa capacité de désendettement est montée à près de vingt ans, notre capacité de désendettement régionale passe à 4,5 années. Notre airbag est un fusil à un coup. Je ne suis pas bien sûr que les élus poitevins et le président Jean-François Macaire aient eu toute l’information sur cette dérive.
Courant 2016, nous aurons élaboré un plan pluriannuel d’investissement et d’ici à 2017 nous aurons reconstitué une capacité d’épargne et donc de financement de l’investissement. Les lycéens, les apprentis en CFA, les stagiaires de la formation professionnelle restent une priorité pour nous. Mais la région ne financera plus ce qui est hors compétence: des voyages de classe, des réverbères au-dessus des ronds-points.
Comment s’organisent les futurs grands pôles administratifs de la région ?
A. R.: Il nous faut mettre en place dès cette année l’administration du futur. Les trois capitales régionales Bordeaux, Limoges et Poitiers garderont une fonction généraliste, donc une administration de mission, avec une capacité d’expertise et d’innovation dans nos domaines d’intervention. Avec des particularités: Poitiers a développé un centre d’appel destiné aux usagers de la région. Cette plateforme va fonctionner depuis Poitiers sur l’ensemble de la région. En Aquitaine, nous avons créé une structure d’aide aux devoirs avec des étudiants de master ou des thésards. Ce dispositif qui lutte contre l’échec scolaire des lycéens, nous allons l’étendre à toute la grande région. Il existe également un dispositif de Poitou-Charentes de tiers-financeur pour la réhabilitation thermique des bâtiments. Il sera lui aussi étendu à toute la région.
Qu’en est-il de votre programme Aquitaine Start-Up et plus généralement du soutien à l’innovation des entreprises ?
A. R.: Depuis 1998, quand j’arrive à la présidence de la Région, le seul mot d’ordre qu’il faut retenir, c’est l’innovation. Dans les entreprises, l’agriculture, la recherche, on nous reconnaît les résultats de cette action. Si nos entreprises investissent plus que la moyenne nationale, c’est qu’elles ont innové. L’innovation c’est la confiance, la gaîté dans les équipes, un état d’esprit qui donne le moral. C’est pourquoi, notre accompagnement des entreprises se fait toujours autour de l’innovation. D’où cette idée d’Aquitaine Start-up, qui soutient directement la création d’entreprise. Notre région est devenue celle où la croissance de la création d’entreprise est la plus forte de France. Il nous faut désormais avoir l’ambition de devenir la première région de création d’entreprises. Nous comptons beaucoup sur l’excellence des écoles d’ingénieurs, sur l’appétence des jeunes à la création d’entreprise et sur les dispositifs d’accompagnement technologique et financier personnalisés. J’insiste particulièrement sur le terme d’accélération: comment aller plus vite sur le marché, avec mes produits innovants, dans une compétition internationale qui pourrait me voler mon innovation. L’autre mot d’ordre est la croissance: dans start-up, il y a «up» : comment passer de la jeune pousse à l’ETI, à la PME ? Il nous faut définir quels outils fonctionnent le mieux pour permettre la maturation des start-up.
Quelle est votre politique d’innovation dans la construction et de commande publique ?
A. R.: En matière de commande publique, il doit y avoir une manière d’exemplarité dans la construction que nous menons en maîtrise d’ouvrage directe, pour faire monter en gamme la filière de construction. Nous avons eu beaucoup de retard d’innovation dans certains secteurs. D’où notre soutien à Nobatek, ce centre technologique dédié au bâtiment basé à Anglet et à son son programme Inef 4 sur la performance des bâtiments. Je visitais récemment le lycée Cantau à Anglet, d’où sont issus de nombreux ingénieurs du bâtiment, et je me souvenais avec son directeur que c’est là, lors d’une discussion, qu’est née l’idée de Nobatek, il y a quinze ans. Souvent, l’innovation naît d’un échange humain, autour d’un café, et pas d’un dossier.
En matière de marchés publics, nous pratiquons la commande en lots séparés. Sinon, nous ne nous adressons qu’aux grands groupes. Et le risque des PPP, de ces grands appels d’offres sur des macrolots, c’est de tuer toutes les ETI du bâtiment. Or, elles constituent des entreprises essentielles, non délocalisables, avec des compétences et une capacité d’innovation. Derrière l’exigence environnementale et de bien-être, vous avez l’utilisation de technologies qui forment les entreprises aux métiers de demain: comment éclairer au mieux une salle de classe, en utilisant le principe de la lentille de Fresnel... Ajoutons le côté exemplaire, avec le premier lycée à énergie positive de France, Hélène Duc à Bergerac, suivi du lycée Vaclav Havel de Bègles.
Une idée pour le nom de la grande région ?
A. R.: Mon souci est de ne pas brutaliser le choix du nom. Prenons le temps, j’ai mis en place un groupe indépendant d’élus, de communicants, d’enseignants, présidé par une historienne, Anne-Marie Cocula, pour aller sur le terrain, consulter, apporter quelque chose de logique. L’histoire de cette région, c’est le périmètre du duché d’Aliénor d’Aquitaine. Il est vrai que dans les milliers de réponses au questionnaire sur le site que nous avions créé, le nom d’Aquitaine revient le plus souvent. Ce sera difficile de faire sans.