La question de la qualification des contrats d'eau en concession a évolué avec les textes et a donné lieu à une abondante jurisprudence. Celle-ci permet de dresser une cartographie des éléments retenus pour caractériser le transfert d'un risque d'exploitation aux opérateurs. Ceux relevant du risque de dépense semblent minoritaires, la jurisprudence s'appuyant davantage sur le risque de résultat pour identifier un contrat de concession.
Transfert d'un « risque lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service »
- Avant 2016, en droit interne, les contrats de concession ne constituaient pas une catégorie juridique identifiée. S'agissant des délégations de service public (DSP), jusqu'en 2008, elles étaient légalement définies comme le contrat aux termes duquel la rémunération du délégataire est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation. C'est seulement en 2008 que le Conseil d'Etat lie explicitement le risque d'exploitation et la rémunération du délégataire ; une « part significative » de ce risque doit demeurer à la charge de ce dernier (, tables du Recueil). En droit européen, le risque d'exploitation était, de longue date, érigé comme critère pour distinguer les contrats de concession des marchés publics.
- En 2016, l'ordonnance et le décret relatifs aux contrats de concession, aujourd'hui codifiés, ont créé, en droit interne, la catégorie des contrats de concessions, consacrant le critère du risque d'exploitation. Ainsi, selon l' (CCP), le concessionnaire se voit nécessairement transférer « un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service ». Ce texte pose ensuite une définition dudit risque, inspirée de la directive Concessions de 2014, laquelle synthétise la jurisprudence de la Cour de justice de l'UE.
En matière d'eau, la réalité du risque supporté par un opérateur peut s'avérer compliquée à identifier car le nombre d'usagers est peu susceptible de varier. Une difficulté encore accentuée par la réduction, à cinq ans en principe, de la durée maximale des contrats (). Pour le juge européen, l'existence d'un risque limité dans ce secteur ne fait pas obstacle à la conclusion de contrats de concession, pour autant que ce risque puisse être transféré intégralement ou significativement à l'exploitant (). Le droit interne, lui, exige désormais que le concessionnaire se voie transférer un risque économique, qui doit être réel et apprécié au regard des caractéristiques de l'exploitation (, Tables).
Un juge interne plus sensible au risque de résultat qu'au risque de dépense
En s'appuyant sur la classification retenue par le professeur Thomas Pez (« Le risque, les concessions et les marchés», RFDA, 2016, p. 237) qui identifie les « risques de dépense » et les « risques de résultat », on constate que, pour le juge interne, les éléments caractérisant les premiers semblent minoritaires par rapport aux seconds pour identifier un transfert du risque d'exploitation dans un contrat d'eau.
- Le risque de dépense peut être caractérisé lorsqu'il existe une incertitude sur les charges, sur les investissements et les coûts, qui ne doit pas être compensée intégralement par le cocontractant public. La jurisprudence révèle qu'en matière d'eau, les clauses prises en compte pour déterminer la nature du contrat sont relatives aux travaux d'entretien, de réparation et de gros renouvellement mis à la charge du cocontractant. Les dépenses d'investissement sont peu abordées par le juge administratif, car il s'agit majoritairement de contrats de gestion dépourvus de travaux de premier établissement (affermage ou marché de service). Dans l'une des rares décisions antérieures à 2008 où il était fait explicitement référence au risque d'exploitation, le juge a considéré que le contrat n'était pas concessif lorsque le gestionnaire était chargé des seuls travaux d'entretien courant et de réparation, et non de ceux de renouvellement et de gros œuvre ().
La jurisprudence tient ainsi compte des clauses portant sur la modification de la rémunération du gestionnaire si les dépenses réelles de renouvellement devaient s'avérer supérieures à celles estimées contractuellement ( ; ). Ces stipulations caractérisent l'absence de lien entre la rémunération du cocontractant et les résultats de l'exploitation. Elles réduisent le risque d'exploitation lié aux dépenses mises à sa charge. Le versement, par l'exploitant, d'une surtaxe correspondant au coût d'utilisation des ouvrages ne permet pas de considérer que le risque lui est transféré, puisqu'elle est intégrée à l'économie globale du contrat et répercutée sur l'usager.
Une clause de révision de la rémunération pour tenir compte des surcoûts liés au renouvellement pourrait cependant révéler le transfert d'un risque d'exploitation si, par exemple, elle prévoyait une compensation à partir d'un certain montant et laissait un déficit potentiel à la charge de l'exploitant.
- Le risque de résultat est composé du risque affectant les recettes et du risque de pertes. Selon Thomas Pez, « le risque de pertes est le critère ultime de la concession ». Le risque de résultat s'avère central dans la qualification des contrats d'eau. Le juge s'attache systématiquement à l'analyse du mode de rémunération du cocontractant pour déterminer si un risque d'exploitation lui est effectivement transféré.
Cette rémunération peut être à risque pour l'exploitant même si elle est d'origine publique, dès lors qu'elle est fonction des résultats de l'exploitation. Il en va ainsi de l'achat d'eau en gros par les communes gestionnaires du service de distribution lorsque le prix comporte une part variable en fonction de la consommation réelle (, Tables). Les contrats conclus dans le secteur de l'eau comportent en effet classiquement une rémunération composée d'une part fixe et d'une part variable (généralement assise sur les volumes livrés).
Pour identifier l'existence d'un transfert réel d'un risque d'exploitation, le juge se livre à une analyse fine de ces composantes : part forfaitaire, part variable, dégressivité, couverture par la collectivité. Il exclut le risque lorsque la part assumée par le concédant est trop importante pour considérer que le gestionnaire est réellement exposé aux aléas du marché ( ; à l'inverse, voir , Tables). Dans un autre arrêt, le juge a établi que la part fixe de rémunération est suffisamment faible pour caractériser un lien substantiel entre rémunération et résultats ; le gestionnaire est donc susceptible de supporter une perte ca-ractérisant le transfert d'un risque d'exploitation ().
Le rapport entre la tarification du service et les résultats de l'exploitation constitue un indice fort du lien entre ces résultats et la rémunération de l'opérateur. La fixation du tarif par les collectivités, sans lien avec la réalité de l'exploitation, est, à l'inverse, un indice d'absence de transfert de risque (). Le juge tient également compte des clauses de performance telles que la majoration ou la minoration de la rémunération au regard de l'obligation de limiter les pertes et fuites sur le réseau () ou suivant le rendement du service (). Enfin, l'appréciation du risque de perte assumé par l'opérateur doit tenir compte de la structuration particulière des services de l'eau, qui sont des services essentiels et, par conséquent, peu exposés à d'importantes variations de la demande ().
En conclusion, le secteur de l'eau potable, de par sa spécificité, polarise le risque d'exploitation transféré aux opérateurs autour du risque de résultat. Il convient de porter une attention particulière aux clauses liant rémunération et résultats de l'exploitation en tenant compte du réalisme de la jurisprudence, qui exige une réelle prise en compte de ces résultats, dans la détermination des conditions économiques du contrat et, notamment, du tarif. Les clauses de composition de la rémunération du délégataire, d'indexation et de réexamen de celle-ci ou encore de recouvrement des impayés sont donc essentielles pour l'identification du risque concessif.