En matière d'aménagement, le lotissement sonne comme un synonyme de médiocrité. Si, juridiquement, le terme correspond à l'une des procédures permettant la division parcellaire, dans l'imaginaire collectif, il renvoie surtout à la banalité des pavillons qui prolifèrent au milieu des champs, aux maisons rangées en « tablette de chocolat » au bord de routes en cul-de-sac, bref à ce qu'il est convenu d'appeler la « France moche ». Mais la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), adoptée au tout début de cet été, va changer la donne.
Pour les lotissements, le texte a revu les modalités d'obtention du permis d'aménager, c'est-à-dire du document qui autorise la création sur un terrain d'au moins deux lots à bâtir - et ce, qu'il s'agisse d'y construire des logements ou des lieux d'activité - et des voiries et autres équipements nécessaires. L'article 81 précise en effet que le porteur du projet devra désormais faire appel « aux compétences nécessaires en matière d'architecture, d'urbanisme et de paysage pour établir le projet architectural, paysager et environnemental dont, pour les lotissements de surface de terrain à aménager supérieure à un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat, celles d'un architecte ».
Un seuil bas
A l'heure de rédiger le décret qui tranchera sur cette surface minimum au-delà de laquelle le recours à l'architecte sera indispensable, la nouvelle obligation est loin de faire l'unanimité, y compris au sein du gouvernement. Au ministère de la Culture, qui a porté la loi LCAP devant le Parlement, on estime que le seuil devra être bas (il le sera probablement) et ce, afin d'englober le plus grand nombre d'aménagements. En effet, si peu de chiffres précis sont disponibles - le ministère parle d'une moyenne annuelle de 5 900 demandes de permis d'aménager -, il est à peu près établi que les lotissements sont souvent de petites tailles. Ainsi, selon le Syndicat des aménageurs lotisseurs (Snal), 34 % des opérations menées par ses adhérents concernent des surfaces de moins de 5 000 m². Et seulement 5 %, des terrains de plus de deux hectares. Mais le ministère du Logement semble bien plus réservé.
Les dissensions se retrouvent dans les rangs des professionnels. D'une part, les concepteurs entendent convaincre que leurs aptitudes seront mises au service du respect du territoire et donc, du bien commun. Mais d'autres, en face d'eux, considèrent que la disposition a été taillée sur mesure pour les architectes alors que ces derniers ne sont pas les seuls à avoir les capacités requises. Taxés de figurer parmi les principaux responsables de la banalité des zones pavillonnaires, les géomètres- experts s'efforcent ainsi de prouver leur savoir-faire. « Nous savons travailler sur le paysage et la forme urbaine », assure Jean- François Dalbin, le président de leur Ordre. Il insiste d'ailleurs sur les efforts consentis ces dernières années par la profession en matière de formation. Comme Les Constructeurs et aménageurs de la FFB (LCA-FFB), il rappelle combien les contraintes sont fortes sur ce type d'opérations. En somme, la réglementation comme les exigences de la maîtrise d'ouvrage laisseraient finalement peu de place à l'imagination et à des conceptions originales.
Au-delà des limites
A ces arguments, les concepteurs, architectes et urbanistes en tête, opposent leurs compétences spatiales, leur sens de l'analyse des lignes de force d'un paysage, qu'elles prennent la forme d'une pente, d'une rivière ou d'un bosquet. Leur rôle sera d'adapter un projet à ce contexte… Et surtout à voir au-delà des limites d'une parcelle. « Il faut en finir avec l'urbanisme d'enclos, plaide l'architecte et urbaniste Christine Leconte. Les lotissements doivent être pensés comme de nouveaux morceaux de la ville, en lien avec le reste du territoire. » Auteure, avec son confrère Frédéric Bonnet, d'un courrier adressé récemment aux deux ministères concernés et signés par plusieurs lauréats du Grand prix de l'urbanisme et du Palmarès des jeunes urbanistes, elle se défend de vouloir là empiéter sur la tâche de quiconque. « Aujourd'hui, c'est un travail que personne n'accomplit », juge-t-elle. Mais elle précise aussi qu'il n'est aucunement question que les architectes se mettent à dessiner tous les pavillons de tous les lotissements. « Ils pourront éventuellement rédiger des prescriptions architecturales sur l'orientation des habitations ou des toitures. Mais les résidents continueront à être libres de choisir leur maison et ce seront sans doute les mêmes types de constructions qu'aujourd'hui. Seulement, elles seront mieux organisées dans l'espace. » Bataillant ferme depuis le début des discussions, la présidente du Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa), Catherine Jacquot, rappelle, elle, combien l'enjeu est devenu crucial « dans un contexte de lutte contre la désertification des centres des communes rurales ». Ainsi, l’outil du lotissement ne doit plus tant servir à bâtir au milieu des champs, qu’il est de toute façon grand temps de préserver, que de permettre la mutation de petites friches dans les cœurs de villages. Olivier Pavy, maire de la commune de Salbris (Loir-etCher) et président de la communauté de communes Sologne des Rivières, est même persuadé que « la revitalisation de ces centres-bourgs passera par le tourisme… et donc par la qualité architecturale ». Lui qui est également membre de la commission aménagement et urbanisme de l’Association des maires de France (AMF) voit donc d’un bon œil ce recours aux architectes, « en particulier en raison de leur capacité à accompagner les élus et à coordonner l’ensemble des intervenants ». Olivier Pavy est bien conscient que certains édiles circonspects seront difficiles à convaincre : « Il faudra faire de la pédagogie, démontrer le réel apport des architectes. Cette mission pourra être assurée par les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE). » L’avocat spécialisé en urbanisme Pierre Pelloquin voit, lui, un autre avantage très net : « De par son expertise, l’architecte saura veiller en amont à la régularité des dossiers et donc sera à même d’apporter la sécurité juridique dont ont besoin les aménageurs. » Dans toutes ces discussions un peu âpres, les interlocuteurs s’accordent au moins sur un point : la nécessaire pluridisciplinarité des intervenants qui, à l’avenir, mettront en œuvre les lotissements. Certes, le texte de la loi LCAP désigne surtout l'architecte, mais c'est aussi parce qu'il s'agissait de s'appuyer sur une profession réglementée. Tout le monde - architectes donc, urbanistes, paysagistes, aménageurs et géomètres - affirme sa volonté de travailler main dans la main avec ses partenaires. Avec le souci, évidemment, de dimensionner les équipes à la taille des projets… Ce qui engendre, de la part des réticents, une franche inquiétude quant au surcoût que cette multiplication des acteurs va, selon eux, assurément entraîner.
Davantage de "matière grise"
Cette supposée dépense supplémentaire liée à l'intervention des architectes, tous l'évoquent en effet, sans que personne ne soit en mesure de l'évaluer. Pour sa part, Pascale Poirot, qui préside le Snal et s'est alliée à l'Ordre des architectes pour réclamer que le recours aux concepteurs soit généralisé, estime que ce surcoût sera inexistant « puisque la loi n'invente pas de nouvelles procédures. Le permis d'aménager existait déjà ». Au bout du compte, seul l'acteur change.
Mais s'il faut mettre un peu d'argent en plus, l'architecte Simon Teyssou, installé au Rouget, dans le Cantal ne trouvera pas choquant « qu'on paie un peu plus la matière grise pour les études… On dépensera alors peut-être un peu moins pour l'enrobé des voiries ». Pour les concepteurs, il est possible d'imaginer des projets plus économiques, sans voiries ou réseaux surdimensionnés ou mettant en œuvre des matériaux moins coûteux. Olivier Pavy, mise, lui, sur une plus-value des biens immobiliers construits dans des lotissements de qualité. Enfin, beaucoup rappellent que le surcoût, sur des aménagements majoritairement de faible ampleur, ne serait de toute façon pas si élevé. C'est d'ailleurs ce qui fait tiquer la paysagiste Laure Planchais. Convaincue, elle aussi, de l'apport évident des concepteurs, elle se demande juste s'ils parviendront réellement à gagner leur vie sur de si petites missions.