Les hostilités sont déclenchées. Depuis la publication en avril des deux décrets d'application de la loi Climat et résilience mettant en œuvre l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), les critiques issues des collectivités locales fusent. Et ce 2 août, le Sénat est venu à leur rescousse. Les parlementaires Bruno Retailleau et Hervé Marseille, respectivement chefs des groupes Les Républicains (LR) et de l'Union centriste, ont demandé au gouvernement « d'instaurer rapidement un moratoire sur ces décrets jusqu'au 1er septembre 2023 afin de procéder à leur réécriture ».
Un mois auparavant, Sophie Primas, présidente (LR) de la commission des affaires économiques de la Haute assemblée, annonçait la création d'un groupe de travail transpartisan lors d'une table ronde réunissant les représentants des principales associations d'élus. Avec déjà une « première urgence : retarder les échéances ». Car le calendrier est jugé intenable et l'ambition trop floue. « Le ZAN est-il un objectif ou une contrainte ? » fait mine de questionner Alain Chrétien, vice-président de l'Association des maires de France (AMF). L'AMF a d'ailleurs déposé fin juin un recours devant le Conseil d'Etat contre les deux décrets, « car nous espérons les réécrire et parce qu'il faut prendre du temps pour que le ZAN ne soit pas subi », indique son vice-président.
« Il faut changer d'échelle ». Ce sont les régions qui orchestreront le ZAN. Pour y parvenir, elles s'appuieront sur les recommandations des conférences régionales des Scot - outil introduit par la loi Climat et résilience à la demande du Sénat - pour diviser par deux l'artificialisation des sols d'ici à 2031. Ces propositions doivent être formulées au plus tard en octobre 2022… Une date jugée trop précoce par les élus locaux. Pour travailler à la bonne application de l'objectif ZAN, « il faut changer d'échelle, estime Sébastien Miossec, président délégué d'Intercommunalités de France. Ces conférences mobilisent des experts et, même si les échanges sont construits et argumentés, ils sont éloignés de la réalité du terrain. Un lien plus fort entre régions et intercommunalités doit être trouvé. Bien que complexe, le Sraddet peut être un outil, tout comme les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) qui, malgré leur qualité inégale, peuvent traduire la mise en œuvre du ZAN. » Autre reproche : le coût trop élevé. Rappelons que l'application du ZAN nécessitera de modifier les documents de planification urbaine les uns après les autres : les Sraddet d'ici à 2024, les Scot en 2026 et enfin, les PLU, PLUi et cartes communales d'ici à 2027. « Le ZAN arrive dans un contexte de forte inquiétude financière, entre la recentralisation de la fiscalité, la flambée des matières premières, l'explosion des dépenses de fonctionnement, etc., poursuit Alain Chrétien. Or un Scot coûte au bas mot 500 000 euros ! Quand il faut demander aux élus de mettre cette somme dans la révision des documents d'urbanisme ou dans la rénovation des écoles ou des piscines, le choix est vite fait ! » Enfin, le ZAN doit toujours, selon Sébastien Miossec, intégrer les enjeux macro-économiques émergents : « On continuera probablement de consommer du foncier pour répondre aux impératifs nouveaux, comme la réindustrialisation. » D'autant que l'impact d'un projet ne ruissellera probablement pas uniquement sur le territoire concerné. Annette Laigneau, vice-présidente de Toulouse Métropole et représentante de France Urbaine, l'illustre : sa collectivité dispose de 650 ha de surfaces consommables sur les dix prochaines années. Airbus a besoin de 100 ha pour construire son futur avion décarboné. Si le groupe aéronautique n'obtient pas gain de cause, il menace de le bâtir à Hambourg, en Allemagne. « Or cette production a un impact au-delà de la région, voire au-delà de l'espace national », estime-t-elle, citant aussi les exemples des grands projets consommateurs d'espace, comme la LGV Sud-Ouest ou l'autoroute Toulouse-Castres.
Trouver un modèle économique. L'autre piste de réflexion porte sur le modèle économique du ZAN. « Nous avons besoin d'enveloppes conséquentes pour continuer à reconquérir les friches », avance Sébastien Miossec. La pérennisation du fonds dédié annoncée en 2021 est donc une bonne nouvelle… mais cela ne suffira pas à répondre aux demandes locales. « Il doit être alimenté au niveau national, via la taxe d'aménagement, par exemple. Enfin, il ne doit plus fonctionner avec un système d'appel à projets, mais plutôt être géré par une agence, comme l'ANCT, qui pourrait “protocoliser” le financement des projets d'urbanisme en fonction des contraintes locales », complète-t-il.
En parallèle, « il faut repenser complètement le modèle de la fiscalité locale en se demandant ce qui vaut de l'argent et sur quoi il est pertinent de la bâtir, estime Sébastien Miossec. Historiquement, la croissance de nos recettes était corrélée à la croissance du patrimoine. » Selon l'élu, le ZAN questionne ce paradigme.
Pour Sébastien Gouttebel, de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), la sobriété foncière passera également par l'appui des particuliers. « Il faut créer un fonds dédié à la ruralité pour la rénovation du bâti ancien afin que les ménages disposent d'aides financières au-delà de celles octroyées par l'Anah, qui sont réservées à certains ménages [bien souvent, les plus modestes, NDLR]. » Enfin, il alerte sur l'émergence de comportements spéculatifs. « Les gens ont bien compris que les terrains disponibles à la construction allaient se raréfier : les communes n'auront pas les moyens de préempter, même avec l'appui des EPF. Il faudra les aider. »