Liban : sur les ruines avec Catherine Deneuve

Catherine Deneuve et le comédien Rabih Mroué parcourent le sud du Liban, en ruines, juste après la guerre de 2006. Voici en substance le pitch du film "Je veux voir", docu-fiction tourné en HD par les cinéastes-photographes libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige que nous avons rencontrés et interrogés.
L'intégrale de l'interview dans le dernier numéro d'amc, sorti le 5 février.

Image d'illustration de l'article
Catherine Deneuve et le comédien Rabih Mroué sur des ruines, juste après la guerre de 2006. © Patrick Swirc

Comment vivre avec les ruines et les transformer en matière à projets ?

Joana Hadjithomas : La guerre conduit à réfléchir à la manière dont on regarde une ruine et dont on la photographie. Ce qui soulève la question de la mémoire. Une ruine étant très vite remplacée par un projet économique de reconstruction. Il faut savoir sortir du pouvoir émotif, traumatique de la ruine et la problématiser. En effet, souvent la ruine possède l’autorité des vestiges, il faut toutefois ne pas céder à son esthétisation mais conserver notre aptitude à l’interroger, à la politiser.

Khalil Joreige : Au lendemain des guerres civiles libanaises, les ruines étaient le point de départ de notre travail : comment accepter la ruine, vivre avec ses fantômes ? Nous avons passé des années à filmer les ruines, à nous demander comment les problématiser sans se laisser fasciner par elles. Il s’agissait d’interroger l’inscription de la ruine, son existence dans la ville, comment vivre avec et surtout que faire après? .

Quel regard portez-vous sur l’architecture ?

J.H. : Au Liban, la question de l’architecture est rarement posée. Très peu d’architectes se demandent ce qui peut contenir la ruine, comment traduire le présent que nous vivons.

K. J. : La question du développée par Rem Koolhaas nous intéresse beaucoup car elle rejoint nos questionnements sur la latence. Etre en des lieux où l’on n’est pas vu. Exister même si l’on ne nous voit pas. Demeurer en des endroits où les images ne sont plus indexées, où elles ne sont pas prises en compte au même titre que ces junkspaces, des micros niches où précisément nous voulons rester.

Que pensez-vous de la reconstitution de Solidere, le "centre historique" de Beyrouth ?

K. J. : Il ne s’agit par à proprement parler de reconstitution mais de promotion et reconstruction partielle selon un scénario programme et non selon un dispositif. A l’époque, on s’étonnait qu’une société privée pilote la reconstruction, gère ce morceau de ville. La privatisation de l’espace publique n’était alors pas aussi "banale". Le fait de mettre l’économie comme principal vecteur de réconciliation après la guerre était aussi un choix qui nous paraissait problématique, même si aujourd’hui cela devient un phénomène de la mondialisation.

J.H. : Au Liban, de manière générale, l’intégration du passé ne s’est pas opérée. Au niveau architectural, passé et tradition sont juste saupoudrés dans un souci économique. Suivant cette logique, les ruines sont gommées pour ne pas que l’on s’y attarde. Ce sont nous les artistes, les ressasseurs comme disaient Deleuze, nous qui nous y attardons ! Et nous nous y attardons car nous pensons qu’il est essentiel de reconstituer un "vivre ensemble" après des guerres.

KJ : Derrière la question de la reconstitution se pose la question pour nous du monument. Comment reconstruire une ville après guerre ? Faut-il garder des traces ? Est-ce cela un lieu de mémoire ? Est-ce un emblème, un symbole qui compte ou faut-il tenter de reconstituer le corps social à travers des monuments qui lui sont communs. Cela renvoie à l’écriture de l’Histoire des guerres civiles en l’absence d’un vainqueur.

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