Décryptage

Loi 3DS et décentralisation des routes nationales : risques et opportunités

Collectivités locales - Le point sur la procédure à suivre pour opérer le transfert des voies, les ressources financières et les contrats mobilisables pour exercer la compétence.

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La décentralisation des voies nationales est déjà largement une réalité, qui s'est matérialisée en deux vagues : en 1972, à hauteur de 55 000 km et, en 2006, pour 18 000 km supplémentaires, confiés aux départements. Le dispositif prévu par les articles 38 à 42, 150 et 151 de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation et la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (dite « 3DS ») a vocation à parachever ce mouvement.

Recul du pilotage de l'Etat. Les routes nationales non concédées, qui restent actuellement à la charge de l'Etat, représentent 1,1 % de l'ensemble du réseau routier français, mais assurent près de 19 % du trafic. La loi 3DS permet le transfert volontaire de la plupart d'entre elles et de quelques tronçons autoroutiers à certaines collectivités territoriales et à leurs groupements. Les objectifs affichés sont de permettre une amélioration du service et une gestion simplifiée et plus efficace, au plus près des usagers.

Si les précédents transferts ont pu conduire à une amélioration sensible de l'état des routes transférées, il est néanmoins permis de s'interroger sur le recul global du pilotage de l'Etat, garant de la cohérence et de l'efficacité de l'ensemble du réseau routier, comme le fait la Cour des comptes dans un rapport publié quasi concomitamment avec la loi 3DS (« L'entretien des routes nationales et départementales », mars 2022). Surtout, une réelle amélioration implique de trouver un financement adéquat et stable, comme l'a également souligné la Cour des comptes dans son rapport ; et ce, quelle que soit la collectivité concernée.

Collectivités pouvant se porter volontaires

Le transfert peut bénéficier aux départements, à la métropole de Lyon et aux métropoles. A titre expérimental, la loi permet également une mise à disposition aux régions. Les bénéficiaires du transfert prévu par la loi sont donc en priorité les personnes publiques qui aujourd'hui disposent d'une assise territoriale suffisante pour accueillir des portions cohérentes de routes et d'une expérience avérée du domaine routier.

Le département est ainsi considéré au niveau local comme l'acteur le plus susceptible d'assurer la qualité du service. Par exemple, il intervient à titre principal pour les opérations de déneigement, informe en temps réel le public sur l'état des routes et commence à investir dans des infrastructures innovantes (1).

Le transfert des routes nationales aux métropoles vise également à répondre à l'enjeu majeur de la gestion de la voirie des grandes villes et de leur périphérie, tant en termes de partage d'usage que d'articulation avec d'autres services publics (développement économique, déchets, eau et assainissement, etc.).

Concernant les régions métropolitaines qui ne sont actuellement pas dotées de compétences techniques ou de services pour entretenir des axes routiers, il a été jugé préférable de recourir dans un premier temps à une expérimentation de huit ans, alors même que leur rôle dans l'organisation des mobilités a été constamment renforcé ces dernières années.

Le réseau routier national qui a vocation à être transféré ou mis à disposition pourrait représenter entre 1 000 et 4 000 km de voies. Les seuls itinéraires dont l'Etat entend conserver la gestion à terme sont ceux qui sont essentiels pour l'exercice de ses prérogatives régaliennes, notamment en matière militaire, de sûreté et de gestion de crise, ceux s'inscrivant dans un maillage reliant la capitale aux territoires et les territoires entre eux et, enfin, ceux constituant un maillon central du réseau transeuropéen.

Voie et ses dépendances. Le domaine public routier ou autoroutier (non concédé) concerné comprend bien sûr la voie elle-même ou une « portion de voie », mais aussi ses dépendances : chaussées, ponts et tunnels, terrains d'assiette, accotements et murs de soutènement, ou encore centres d'entretien et d'intervention… Est prévu le cas des biens utilisés à la fois pour des voies transférées et non transférées, ou susceptibles de concerner plusieurs collectivités bénéficiant d'un transfert de voirie. Ils donnent lieu dans ce cas à des conventions conclues entre les acteurs concernés pour permettre leur utilisation conjointe.

La loi traite aussi du transfert des personnels d'exploitation. Cela concerne, en particulier, les ouvriers des parcs et ateliers, agents de droit public dont le statut spécial a vocation à disparaître à terme.

La dévolution des routes, par transfert ou mise à disposition, est par elle-même sans incidence sur leur statut (voie express ou à grande circulation, autoroute), tandis qu'un pouvoir de police de la circulation et de la conservation est conféré, dans certaines limites, aux autorités locales qui n'en disposent pas déjà (président de région notamment, à qui revient à cette occasion la possibilité de fixer une vitesse maximale autorisée supérieure de 10 km/h à celle prévue par le Code de la route).

Mécanisme de dévolution

Le fixe la liste des autoroutes, des routes ou des portions de voies non concédées concernées. Depuis sa publication le 31 mars et dans les six mois, les collectivités intéressées peuvent accéder aux informations dont l'Etat dispose sur l'état de ces voies et transmettre leur souhait de transfert ou de mise à disposition. Si plusieurs demandes sont soumises pour un même tronçon, le préfet de région organise, pendant une durée maximum de deux mois, une concertation et les collectivités émettent à nouveau leur souhait.

Pouvoir d'appréciation de l'Etat. Dans un délai de neuf mois à compter de la publication du décret, le ministre chargé des Transports notifie la décision déterminant les routes qui sont transférées ou mises à disposition, au regard notamment de la cohérence des itinéraires et des moyens d'exploitation et de maintenance, des conditions de l'exploitation des routes et de l'expertise technique des collectivités territoriales et de leurs groupements. Ainsi, l'Etat n'a pas compétence liée pour prononcer la dévolution. En effet, si la gestion des routes identifiées par le décret a vocation à être décentralisée dès lors que les collectivités l'auront demandé, il reste que l'Etat doit s'assurer que la juxtaposition de leurs souhaits n'aboutisse pas à un mitage du réseau routier national.

Les transferts et cessions des routes, qui prendront effet un 1er janvier, sont réalisés à titre gratuit, sans droits ni taxes. Ils emportent transfert des servitudes et des droits et obligations qui leur sont attachés.

Allocation des ressources financières

S'agissant de la compensation financière relative aux transferts comme aux mises à disposition, la loi 3DS renvoie aux dispositions générales en la matière, prévues par les . Elle apporte toutefois certaines précisions et notamment, d'une part, que le droit à compensation des charges d'investissement est égal à la moyenne des dépenses actualisées et constatées sur une période d'au moins cinq ans précédant le transfert des compétences ; et, d'autre part, que celui relatif aux charges de fonctionnement prend pour référence une période maximale de trois ans.

Attribution d'impositions. La loi précise que la compensation financière doit s'opérer à titre principal par l'attribution d'impositions de toutes natures et notamment d'une fraction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE, ex-TIPP). Si les recettes provenant des impositions attribuées diminuent et s'établissent à un niveau inférieur au montant du droit à compensation, l'Etat compense cette perte. Pour les régions, compte tenu du caractère expérimental, les modalités de la compensation seront fixées par convention avec l'Etat et sur crédits budgétaires.

Le principe constitutionnel de compensation financière énoncé à l'article 72-2 de la Constitution selon lequel « tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice » paraît donc respecté. A cet égard, on observera aussi que, dans le cadre des transferts des routes intervenus en 2006, le Conseil d'Etat a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité visant l'atteinte portée au principe de la libre administration des collectivités territoriales et au principe de la compensation financière des transferts de compétence, en ce que la compensation en litige ne prévoyait pas les charges résultant du développement du domaine routier transféré ().

Pas d'accroissement des ressources. Pour autant, on observera que le transfert des routes dans la perspective d'une amélioration de leur état sans accroissement des ressources peut apparaître, une fois de plus en matière de décentralisation, comme une gageure. Par ailleurs, s'appuyer sur la TICPE dont le rendement a inéluctablement vocation à diminuer, pose la question de la pérennité de cette ressource. D'ailleurs, dans son rapport précité sur l'entretien des routes, la Cour des comptes observe qu'une forme de participation de l'usager (notamment des poids lourds sous pavillon étranger) serait sans doute souhaitable. Sans citer le précédent malheureux de l'écotaxe, la Cour observe cependant que « la question de la faisabilité technique et de l'acceptabilité sociale de ce type d'instruments reste entière ».

Types de contrats envisageables

En l'état, la perception de recettes sur l'usager paraît donc hypothétique. A droit constant, la perception de péages n'est prévue que pour les autoroutes (), marginalement concernées par le dispositif, et certains ouvrages d'art (art. L. 153-1).

Concession. Est-ce à dire que, pour la mise en œuvre de ces nouvelles compétences, le recours au contrat de concession doit être nécessairement exclu ? Si un concessionnaire se rémunère généralement par la perception de recettes directement sur l'usager, ce n'est pas toujours le cas. Comme l'implique la définition même de la concession, il est envisageable que sa rémunération provienne intégralement de la collectivité, si le concessionnaire supporte un risque d'exploitation suffisant, lié au transfert du droit d'exploiter ( [CCP]).

Le type de rémunération ainsi mis en place peut être qualifié de « péage virtuel » (shadow toll), n'impliquant pas le recours à un droit de péage. Reste à déterminer si, financièrement, faire peser un « risque trafic » sur le concessionnaire de ce type de route est tout à fait optimal.

Marché de partenariat. A défaut, il serait possible de se tourner vers un autre type de contrat, permettant là encore d'intégrer des missions de rénovation et d'entretien-maintenance voire d'exploitation, associées à leur financement : le marché de partenariat (). On sait les réticences actuelles, parfois fondées, parfois irrationnelles à l'égard des « partenariats public-privé ». Pour autant, le recours à cet outil, utile dans l'hypothèse d'un rattrapage nécessaire en matière d'investissement - qui sous-tend le dispositif élaboré par la loi 3DS - ne devrait pas être écarté par idéologie mais au contraire sérieusement étudié. Dans son rapport précité, la Cour des comptes a pu relever que « dans les départements, l'entretien et l'exploitation restent encore trop souvent des variables d'ajustement, en fonction de la situation financière mais aussi d'autres priorités d'investissement » et que « certaines dépenses d'entretien préventif permettent également de réaliser, à terme, d'importantes économies, en évitant des réparations beaucoup plus lourdes dans le futur ». Si le marché de partenariat contribue à « rigidifier » la dépense, comme le déplore souvent la même Cour des comptes… il présente inversement cet avantage.

Marché global de performance. Si, toutefois, le levier que présente le financement privé ne paraît pas opportun, il sera possible de se tourner vers un marché global de performance (). Dérogeant au principe d'allotissement, il permet de confier une mission globale associant l'exploitation ou la maintenance à la réalisation ou à la conception- réalisation d'un ouvrage dans le but de remplir des objectifs chiffrés de performance (en termes de niveau d'activité, de qualité de service, d'efficacité énergique, d'incidence écologique, etc.). Une formule spécifique a d'ailleurs été développée par les professionnels, désignée comme un « contrat de gestion patrimoniale à garantie de performance » (2).

En . Enfin, les prestations nécessaires peuvent bien sûr être réalisées dans le cadre d'un schéma de maîtrise d'ouvrage publique (MOP) avec contrats séparés (maîtrise d'œuvre, travaux allotis, exploitation, maintenance à part…). Mais un tel schéma ne présente pas les avantages d'un contrat global prenant en compte des coûts et des performances sur le cycle de vie.

Dans tous les cas, si le recours à un montage contractuel optimisé peut contribuer à résoudre l'équation financière, il ne peut, à lui seul, en constituer la solution.

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