Marché public de maîtrise d’œuvre : la démat’, un tout ou rien ?

Dans une ordonnance rendue fin septembre, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise juge que si la remise d’une maquette est exigée des candidats à un marché de maîtrise d’œuvre, l’ensemble des pièces devrait être transmis selon les mêmes modalités que la maquette – par voie matérialisée, donc. Une solution qui interroge, voire inquiète.

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Maquette
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Une décision inédite. L’ordonnance rendue le 26 septembre 2023 par le tribunal administratif (TA) de Cergy-Pontoise dans le cadre d’un référé précontractuel, qui n’a pas fait l’objet de recours, a le mérite de poser le débat et d’y donner une première réponse, en attendant que le Conseil d’Etat ait l’occasion de se prononcer un jour. La question soumise au juge francilien se résume ainsi : lorsqu’un candidat remet une offre pour un marché public de maîtrise d’œuvre qui comprend notamment une maquette, son offre doit-elle être remise entièrement de matière non-dématérialisée, ou bien les autres éléments que la maquette doivent-ils être transmis par voie dématérialisée ? Le tribunal a validé le choix par un maître d’ouvrage de la première réponse.

Dépôt chez un commissaire de justice

L’affaire concernait un concours de maîtrise d’œuvre restreint lancé par un département pour la construction d’un collège et d’une halle d’athlétisme. Une agence d’architecture a vu son offre rejetée comme irrégulière car incomplète. Le règlement de concours prévoyait en l’espèce que les prestations à fournir par les concurrents, dont la maquette, devaient être déposées contre récépissé auprès d’une étude de commissaire de justice (1). En outre, en réponse à une question posée par l’un des candidats, le maître d’ouvrage avait rappelé l’obligation de déposer « l’intégralité des prestations » chez le commissaire de justice. Or la candidate évincée, si elle avait bien remis sa maquette au commissaire de justice, avait transmis l’ensemble des autres pièces par voie dématérialisée sur la plateforme Maximilien.

Transmission selon les mêmes modalités que la maquette

Le TA de Cergy-Pontoise, saisi en référé précontractuel, a donné raison au département : l’offre litigieuse était bien incomplète, et devait par suite être écartée. Il estime que le règlement de concours était suffisamment clair sur la nécessité de déposer l’ensemble de l’offre à l’étude du commissaire de justice. Et ajoute : « En outre, les documents de la consultation prescrivant la présentation d'une maquette, qui ne pouvait être transmise par voie électronique, l'ensemble des pièces requises par le règlement de concours devait, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article R. 2132-13 du Code de la commande publique, être transmis selon les mêmes modalités que la maquette, exigence qui n’est pas manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des offres et qui pouvait aisément être satisfaite par tous les candidats. La [requérante] n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que le département aurait écarté à tort son offre ou manqué à l'obligation de clarté du règlement du concours. »

« A l'encontre de l'obligation de dématérialisation des procédures »

Pour l’avocat de l’agence d’architecture requérante, Baptiste Gibert (cabinet Michel Huet Associés), cette décision « est surprenante pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle va à l’encontre de l’obligation de dématérialisation des procédures de passation des marchés publics de maîtrise d’œuvre ».

Celle-ci résulte notamment de l’article R. 2132-7 du Code de la commande publique (CCP) qui énonce que : « Sous réserve des dispositions des articles R. 2132-11 à R. 2132-13,les communications et les échanges d'informations lors de la passation d'un marché en application du présent livre ont lieu par voie électronique. » L’article R. 2132-12 prévoyant, logiquement, que « l'acheteur n'est pas tenu d'utiliser des moyens de communication électronique […] 6° lorsque les documents de la consultation exigent la présentation de maquettes, de modèles réduits, de prototypes ou d'échantillons qui ne peuvent être transmis par voie électronique ».

Une interprétation divergente de celle de la DAJ

Certes, le dernier alinéa de l’article R. 2132-13 du CCP, sur lequel s’est appuyé le TA de Cergy-Pontoise, dispose que « pour chaque étape de la procédure, les candidats et soumissionnaires appliquent le même mode de transmission à l'ensemble des documents qu'ils transmettent à l'acheteur ». Mais « dans les faits, de nombreux pouvoirs adjudicateurs prévoient une remise des éléments écrits par voie dématérialisée, et une remise de la maquette par voie non dématérialisée, rapporte Baptiste Gibert. Et la décision du TA va à l’encontre de l’interprétation des dispositions du CCP par la Direction des affaires juridiques de Bercy ». L’avocat fait ici référence à la fiche technique « La remise d’échantillons, de maquettes et de prototypes dans le cadre de la passation des marchés publics » mise à jour le 18 mai 2020. Celle-ci précise que : « En application du 6° de l’article R. 2132-12 du [CCP], dans l’hypothèse où l’acheteur exige la présentation d’échantillons, maquettes, modèles réduits ou prototypes qui ne peuvent être transmis par voie dématérialisée, il doit accepter la transmission de ces éléments par une autre voie. Néanmoins, les autres éléments de l’offre devront être transmis par voie électronique ».

Selon Baptiste Gibert, la solution retenue par cette ordonnance de référé, si elle devait faire florès, « mettrait en péril de nombreuses procédures de passation de marché public de maîtrise d’œuvre, car de nombreuses personnes publiques prévoient, dans ce cas, une remise de la maquette par voie non dématérialisée et une remise des documents écrits par voie dématérialisée ».

Une exigence qui « s'impose dès lors qu'elle n'est pas manifestement inutile »

Pas forcément de péril, estime, en face, Alexandre Labetoule, avocat associé chez CLL Avocats, qui représentait le département devant le TA. Pour lui, cette décision est surtout « une invitation à bien lire et respecter à la lettre les exigences du règlement de concours ou de consultation. Elle s’inscrit dans la veine de la jurisprudence « Corsica Ferries », selon laquelle une exigence d’un règlement de consultation s’impose dès lors qu’elle n’est pas manifestement inutile ». Le but du jeu d’un règlement de consultation, souligne l’avocat, « c’est de créer une règle claire qui doit être appliquée par tous. En l’espèce, si le maître d’ouvrage avait conservé l’offre litigieuse, cela aurait créé une rupture d’égalité – car les autres candidats avaient bien respecté les consignes de remise des offres ».

Quant à la portée du dernier alinéa de l’article R. 2132-13, Me Labetoule se montre nuancé. « Si un maître d’ouvrage prévoyait deux modalités différentes de remise des éléments de l’offre, en méconnaissance de cet article, il n’est pas évident que cela entraînerait ipso facto l’irrégularité de son règlement de consultation. Tout l’enjeu serait d’apprécier si une telle exigence était manifestement inutile ».

TA Cergy-Pontoise, 26 septembre 2023, n° 2311670

(1) Nouvelle appellation des huissiers.

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