La spécificité du paiement dans le cadre des marchés de mobiliers urbains donne à nouveau lieu à une jurisprudence innovante. Ce paiement, qui n’émane pas de la collectivité, mais de l’annonceur qui finance par son affichage publicitaire le prix du marché de mobilier, avait donné lieu à une hésitation jurisprudentielle sur la nature des marchés des contrats ainsi conclus, hésitation tranchée depuis l’arrêt Decaux ().
Le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Nice, dans une ordonnance du 22 novembre 2007 (« Société CBS Outdoor c. commune de Toulon », ordonnance n° 0705774-91), vient enrichir la matière quant à la place à accorder au jugement sur le critère du prix dans le cadre de ces marchés atypiques.
Un critère prix pondéré à 50 %pour du mobilier urbain. La Ville de Toulon avait lancé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un marché d’une durée de dix ans, portant « sur la mise à disposition, installation, entretien et maintenance de mobiliers urbains d’information supports ou non de publicité. » L’avis d’appel public à la concurrence précisait que le critère du prix était affecté d’une pondération importante, de 50 %. Dans l’acte d’engagement, le montant du marché que devait renseigner le candidat était défini « comme le montant global forfaitaire par année. » Le cahier des clauses techniques particulières précisait que le candidat devait établir ce montant en fonction d’une redevance domaniale de seulement 208 000 euros, du coût des prestations à réaliser et des recettes publicitaires qu’il encaisserait au titre de l’exploitation commerciale de mobilier urbain.
Au regard du choix d’une telle pondération du prix, on comprend immédiatement le problème qui se pose : dans ce type de marché, le candidat peut ne pas proposer de prix, ou plus exactement comme le précise le juge du référé du tribunal administratif de Nice, il « peut renoncer à demander au titre de ce prix une quelconque somme à la collectivité publique. »
Attribuer un coefficient d’une telle importance au prix, alors que les candidats remettraient une proposition en tout état de cause d’un montant très faible, pouvait surprendre.
Impossible comparaison de la valeur réelle des offres. Le juge du référé précontractuel niçois a considéré « que la mise en œuvre d’un tel critère ne permet pas une comparaison de la valeur réelle des offres et donc la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse ; que ce critère de prix retenu n’est pas pertinent au regard de l’objet du marché et de ses conditions d’exécution ; dès lors, il est de nature à fausser le jeu de la concurrence. » Cette solution inédite ne s’inscrit pas moins dans la ligne jurisprudentielle tracée, tant par la Cour de justice des communautés européennes, que par le Conseil d’Etat.
La première exige que les critères choisis par le pouvoir adjudicateur soient notamment liés à l’objet du marché (CJCE, 17 septembre 2002, « Concordia Bus Finland Oy Ab », aff. C-513/99).
Le second a déjà jugé qu’en matière de marchés de mobilier urbain, pour déterminer quelle offre était économiquement la plus avantageuse, il était pertinent et justifié de ne pas retenir le critère du prix comme critère d’attribution du marché, dans la mesure où « le marché ne se traduisait par aucune dépense effective pour la collectivité publique et que cette dernière avait décidé (...) de fixer elle-même le montant le montant de la redevance d’occupation domaniale (…) » ().
Le juge privilégie le fond sur la forme. Il résulte de cette jurisprudence que, dans les marchés de mobilier urbain, se fonder sur le critère du prix pour attribuer le marché, en lui conférant en plus la valeur la plus importante, rend impossible de déterminer objectivement quelle serait l’offre économiquement la plus avantageuse.
En conclusion, l’ordonnance du tribunal administratif de Nice rassurera ceux qui s’insurgent contre la tendance du juge des référés précontractuels à vouloir trop s’attacher aux arguments faciles tirés des irrégularités formelles.
Cette ordonnance est la preuve qu’en référé, une procédure de passation peut aussi trouver à s’annuler sur de vrais arguments de fond faisant potentiellement grief aux candidats.