Marchés publics (1/2) Clauses sociales : jusqu’où peut-on aller ?

L’achat « responsable », qui prend en compte les notions de développement durable est en vogue chez tous les acteurs publics, mais cet engouement ne doit pas cacher des difficultés de mise en œuvre. Nous examinons cette semaine les problèmes soulevés par l’introduction des clauses sociales dans les marchés publics et les accords-cadres. La semaine prochaine, nous aborderons la question du critère social et du recours aux marchés réservés.

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Une clause sociale, au sens de l’article 14 du Code des marchés publics (CMP), est une obligation faite au candidat de respecter un engagement social dans l’exécution d’un marché ou d’un accord-cadre : promotion de l’emploi de personnes rencontrant des difficultés particulières d’insertion, lutte contre le chômage…

Des conditions juridiques incertaines

Trois conditions s’imposent pour pouvoir insérer une clause sociale dans un marché public ou un accord-cadre :

l la clause sociale doit être prévue dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation ;

l l’insertion de la clause ne doit pas avoir d’effet discriminatoire entre les candidats ;

l la clause doit être compatible avec le droit communautaire, c’est-à-dire avec les « principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, ainsi que les principes qui en découlent, comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence » (Directive 2004/18/CE, considérant n° 2).

En dehors du respect de ces conditions, le Code et la directive européenne du 31 mars 2004 n’apportent aucune précision sur les moyens de rédiger et de mettre en œuvre une clause sociale. En outre, si la mise en œuvre de la première condition paraît évidente, il en va autrement des deux dernières, qui sont d’ailleurs liées. Les pouvoirs adjudicateurs se retrouvent donc démunis pour insérer une clause sociale dans leurs marchés et accords-cadres (1).

En effet, si le manuel d’application du nouveau Code des marchés publics comporte un article relatif à l’intégration des préoccupations environnementales (article 12.2) et un article relatif aux marchés réservés aux entreprises adaptées ou centres d’aide par le travail (article 12.3), il ne comporte aucune mention sur l’introduction d’une clause sociale dans les pièces du marché ou de l’accord-cadre, à la différence de l’article 14 de l’instruction du 28 août 2001, prise pour l’application du Code des marchés publics 2001, à laquelle les pouvoirs adjudicateurs pourront utilement se reporter (NOR : ECOM0110565J, JO n° 208 du 8 septembre 2001).

Le problème de la discrimination Position du juge

Dans le passé, le juge administratif a limité la possibilité de réserver, par le biais d’un critère de sélection, un marché public aux entreprises locales dès lors que l’implantation locale de l’entreprise chargée d’exécuter les travaux n’est pas une des conditions de bonne exécution du marché ().

S’agissant de la clause sociale, son insertion dans un marché en vue de favoriser le seul emploi local nous paraît de même difficilement compatible avec le principe de libre concurrence. Le juge pourrait considérer que la clause sociale décourage des entreprises, par exemple étrangères, de répondre, car elles ne possèdent pas localement de bureau ou d’usine pour recruter du personnel ou pour procurer du travail aux personnes recrutées après la fin du chantier.

Points de vue controversés

A la question de savoir quand une clause sociale est discriminante, on notera l’avis très négatif d’une partie de la doctrine, estimant que les clauses sociales portent en elles-mêmes un effet discriminatoire (2). Cependant, certains auteurs, reprenant en cela les propositions de la Commission européenne dans sa communication interprétative du 15 octobre 2001, citent une solution permettant d’éviter dans une certaine mesure la discrimination, laquelle consiste à faire embaucher, par le titulaire, des chômeurs choisis par l’agence d’emploi locale. Ainsi, souligne L. Dubin (3), la Commission propose-t-elle « que les pouvoirs adjudicateurs désirant imposer aux adjudicataires l’obligation de recruter un nombre ou un pourcentage de chômeurs inscrits au bureau local de l’emploi, (…) s’engagent à offrir la main-d’œuvre appropriée, par exemple par l’intermédiaire d’une agence de l’emploi. Dans ce cas, les conditions d’exécution ne produiraient aucun effet discriminatoire à l’égard des entreprises étrangères ». C’est sur le fondement de cette même position que l’Association des acheteurs des collectivités territoriales (AACT), présidée par Marc Falize, se prononce pour la mise en place d’une clause sociale (4).

Des risques réels

Toutefois, les risques de discrimination ne semblent pas totalement vaincus par la proposition de la Commission européenne. Si celle-ci permet de résoudre les difficultés de l’accès du titulaire aux chômeurs locaux, cette solution nous paraît toujours discriminatoire à l’encontre des entreprises étrangères non implantées en France ou à l’encontre des entreprises françaises non implantées localement qui pourraient être dissuadées de proposer leur candidature, dès lors que ces entreprises ne pourront pas fournir de débouchés aux employés locaux à l’issue de l’exécution du marché.

L’introduction d’une clause sociale locale dans les documents constitutifs d’un marché peut donc être mise en œuvre par les pouvoirs adjudicateurs, à condition de veiller à réduire au maximum les sources de discrimination.

Conditions concrètes de mise en œuvre

Concrètement, l’insertion d’une clause sociale au sens de l’art. 14 du Code concerne trois documents : l’avis d’appel public à la concurrence, le règlement de la consultation et le cahier des clauses administratives particulières (CCAP).

l Dans l’avis d’appel public à la concurrence et le règlement de la consultation, le pouvoir adjudicateur mentionnera, au visa de l’art. 14 du CMP, que le marché ou l’accord-cadre comporte une clause sociale. Il expliquera l’objet de cette clause sociale.

l Dans le CCAP, le pouvoir adjudicateur définira l’étendue des obligations du titulaire en matière de développement social.

Fixer des objectifs oudes pourcentages à réaliser

Selon la doctrine, la clause sociale ne doit pas être trop précise mais doit être formulée en termes d’objectifs et/ou de pourcentages (5). Cette position paraît logique. En effet, si le pouvoir adjudicateur impose de recruter un nombre précis de chômeurs de longue durée pour l’exécution des prestations, les entreprises venant d’embaucher de tels chômeurs ne souhaiteront pas se voir imposer à nouveau de tels recrutements. Pour éviter tout risque de discrimination, il faut formuler la clause sociale de manière à ce qu’aucun candidat ne soit découragé de présenter une offre.

Mais, en formulant la clause sociale comme faisant obligation au futur titulaire de faire réaliser tout ou partie des prestations par des personnes en insertion ou handicapées, le pouvoir adjudicateur n’impose pas au titulaire l’embauche de salariés. Il tend seulement à l’orienter vers « une démarche éthique ». A cet égard, les pouvoirs adjudicateurs pourront utilement s’inspirer des formulations générales comprises dans le modèle de clause sociale élaboré par le Réseau 21 de l’Université de Valenciennes, qui milite pour la prise en compte du développement social dans les marchés publics (6).

Limiter les risques de rupture d’égalité

Pour limiter les risques de rupture d’égalité, notamment entre candidats français et étrangers, il nous semble indispensable que le pouvoir adjudicateur respecte les conseils de la Commission européenne et s’engage à proposer « la main-d’œuvre appropriée, par exemple par l’intermédiaire d’une agence de l’emploi », en prenant contact avec l’Agence nationale pour l’emploi la plus proche ou avec des entreprises de travail temporaire d’insertion. Enfin, il paraît également souhaitable que la clause sociale du CCAP précise les coordonnées des agences ou entreprises d’insertion partenaires et décrive les relations entre les différents acteurs.

Une telle démarche demande, de la part des pouvoirs adjudicateurs, un investissement important ainsi qu’une contractualisation préalable entre l’acheteur public et les acteurs de l’insertion au plan local. Elle suppose aussi, pour chaque marché ou accord-cadre, une réflexion au regard de l’objet du marché sur la pertinence de l’insertion d’une clause sociale et sur les objectifs de développement social qui seront, le cas échéant, assignés au titulaire.

Rôle des PLIE

Le pouvoir adjudicateur peut s’appuyer, pour la mise en œuvre de clauses sociales, sur les gestionnaires des plans locaux pour l’insertion et l’emploi (PLIE), susceptibles d’être créés par les communes ou les groupements de communes pour faciliter l’accès à l’emploi des personnes en grande difficulté d’insertion sociale et professionnelle, conformément à l’art. L. 322-4-16-6 du Code du travail (7).

Si le pouvoir adjudicateur n’est pas à l’origine du PLIE, il lui appartiendra de contractualiser avec la commune ou l’établissement public gestionnaire du PLIE qui, dans cette hypothèse, peut se charger de rédiger la clause et de suivre sa mise en œuvre au cours de l’exécution du marché ou de l’accord-cadre. Dans ce cas, c’est le gestionnaire du PLIE qui proposera au titulaire du marché de recourir aux services d’une entreprise d’insertion en tant que sous-traitant ou d’avoir recours à du personnel mis à disposition par une entreprise de travail temporaire d’insertion. Bien entendu, le CCAP ne détaillera pas toutes ces conditions de mise en œuvre. Il se contentera de formuler des objectifs.

Quel contrôle ?

La question du rejet de l’offre

L’instruction d’application du Code 2001 affirmait que le défaut de respect de l’obligation en matière de développement social entraîne l’irrecevabilité de l’offre. Le guide du Minefi affirme, quant à lui, que l’offre qui ne répond pas au cahier des charges d’un marché public en matière d’insertion « est irrégulière et doit être écartée » (art. 2.7.1). On observera toutefois qu’étant donné que tout candidat à un marché public ou à un accord-cadre s’engage à exécuter les prestations après avoir pris connaissance des documents constitutifs du marché ou de l’accord cadre et que le règlement de la consultation impose généralement aux candidats de parapher le CCAP, on peut se demander comment une offre pourrait ne pas respecter la clause sociale.

Le Réseau 21 de l’université de Valenciennes précité propose de joindre à l’acte d’engagement une annexe que le candidat devrait signer, au terme de laquelle il s’engage à respecter la clause sociale définie dans le CCAP. Dans l’hypothèse où le candidat ne signerait pas cette annexe, l’offre pourrait effectivement être qualifiée d’irrégulière. Cependant, outre le caractère superfétatoire d’une telle annexe, celle-ci peut apparaître de surcroît dangereuse au regard de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes. En effet, dans sa décision « Commission c/France » (Aff. C-225/98, Rec. p. I-07445) du 26 septembre 2000, la CJCE a affirmé qu’éliminer une entreprise au motif qu’elle ne respecte pas une condition sociale est un critère de sélection des offres et non une condition d’exécution du marché. Il y a là une divergence entre le droit national et le droit communautaire qu’il conviendrait de résoudre au plus vite.

Sanctions contractuelles pour non-respect de la clause sociale

A notre sens, le contrôle de la mise en œuvre de la clause sociale doit être identique au contrôle de la mise en œuvre de toute autre condition d’exécution du marché ou de l’accord-cadre. A savoir, le pouvoir adjudicateur devra prévoir, dans le CCAP, des pénalités pour absence de mise en œuvre de la clause et, éventuellement, intégrer ce non-respect comme clause résolutoire du marché ou d’exécution des prestations à ses frais et risques. La définition de ces sanctions demandera aussi un travail de réflexion préalable, de la part du pouvoir adjudicateur, afin que ces sanctions soient adaptées aux objectifs fixés au titulaire.

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