Marchés publics (2/2) Le nouveau référé contractuel en dix-sept questions

Le nouveau référé contractuel entre en vigueur pour toutes les procédures engagées à partir du 1er décembre 2009. « Le Moniteur » répond aux dix-sept questions qu'il faut se poser pour tout savoir (ou presque) sur ce nouveau recours. Cette semaine,les sept dernières questions.

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Sur quoi portent les délais de 10 jours, 11 jours, 16 jours et 48 jours ?

Le délai de 10 jours s'applique aux procédures formalisées. Il impose à l'acheteur public de respecter un délai de 10 jours entre la notification à tous les candidats du rejet de leur offre et la signature du marché avec l'attributaire.

Le délai de 11 jours est propre au nouveau référé contractuel. Ce délai est celui qui doit séparer la date de publication effective de l'avis d'intention de conclure et la conclusion du marché (c'est-à-dire sa signature). Comme la publication d'un avis d'intention de conclure ne s'impose pas lorsque la procédure prévoit l'information de tous les candidats sur le sort réservé à leur offre puis l'observation d'un délai de 10 jours, les deux délais ne s'appliquent donc jamais en même temps.

Le délai de 16 jours s'applique, lui, aux marchés fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique (SAD). L'exercice du référé contractuel est impossible dès lors que l'acheteur public a envoyé aux titulaires la décision d'attribution du contrat, puis observé un délai de 16 jours entre cet envoi et la conclusion du contrat, sauf si la décision d'attribution a fait l'objet d'un envoi électronique, auquel cas le délai est ramené à 11 jours.

Après la notification du marché signé, pour les marchés conclus à l'issue d'une procédure communautaire, l'acheteur disposera d'un délai de 48 jours pour publier un avis d'attribution.

L'avis de conclusion du contrat imposé par la jurisprudence « Tropic » est en principe obligatoire dans tous les cas où un contrat administratif est soumis à une procédure quelconque de passation, mais la jurisprudence n'a pas totalement éclairci ce point. Sa publication n'est pas enfermée dans un délai comme l'avis d'attribution, mais l'acheteur public a naturellement intérêt à y procéder rapidement, afin de faire courir le délai de 2 mois au-delà duquel le recours « Tropic » devient irrecevable.

Il doit être observé que les délais sont francs dans la procédure administrative et dans la procédure communautaire (1), mais qu'ils ne le sont plus dans la procédure civile depuis 1972.

Cela peut avoir quelques incidences pour le calcul des délais devant le juge civil, lorsque celui-ci est compétent en référé contractuel en application des articles 2 à 21 de l'ordonnance.

Peut-on demander des dommages intérêts ?

Non. Aucune demande indemnitaire ne peut être sollicitée dans le cadre de ce recours.

Que signifie l'hypothèse de demande reconventionnelle prévue à l'article L. 551-16 ?

L'article L. 551-16 dispose qu'aucune demande en référé contractuel ne peut tendre à l'octroi de dommages intérêts, sauf dans le cas de demandes reconventionnelles fondées exclusivement sur la demande initiale.

Le principe de la demande reconventionnelle est connu, spécialement dans les litiges de pleine juridiction (2), mais sa formulation ici est plutôt inhabituelle. En effet, le respect des droits de la défense impose de permettre à l'acheteur public de faire valoir tous les moyens de défense qu'il estime appropriés, même s'ils sont dépourvus de lien de connexité avec la demande principale, à la seule condition que ces moyens aient pour unique but de faire rejeter tout ou partie de la demande initiale formée par l'entreprise. Or, puisque la requête initiale ne peut conclure à l'octroi de dommages intérêts, on ne voit pas bien comment une demande reconventionnelle pourrait y parvenir, surtout si, comme l'indique cette disposition, elle doit être fondée « exclusivement sur la demande initiale » (3).

Des explications seraient sans doute utiles pour éclairer la portée d'une telle disposition.

Quels seront les pouvoirs du juge ?

Dans le cadre du référé contractuel, le juge disposera de larges pouvoirs, de même nature que ceux dont il dispose dans le cadre de la jurisprudence « Tropic ».

En application de l'article L. 551-18, le juge devra prononcer la nullité du contrat (ce qui est exceptionnel si l'on considère qu'il s'agit d'un juge statuant en la forme des référés), si aucune mesure de publicité requise pour la passation du marché n'a été prise, ou bien si la publication au JOUE a été omise. Dans ces deux cas, le juge ne semble pas avoir le choix. Il n'aura pas le choix non plus si les délais de « stand still » ou si la suspension n'ont pas été respectés : dans ces deux cas également, il devra prononcer la nullité du contrat.

Toutefois, il faut alors que deux conditions soient remplies : il faut tout d'abord que la méconnaissance de ses obligations par l'acheteur public ait « privé » l'entreprise de recours précontractuel.

Le fait que des irrégularités de la procédure aient rendu l'exercice du recours plus difficile ne suffira pas pour obliger le juge à prononcer la nullité : il faudra que l'entreprise ait été privée de la possibilité d'effectuer tout recours. Et il faut ensuite que l'irrégularité ait été telle qu'elle ait affecté « les chances de l'auteur (de la requête) d'obtenir le contrat ».

Ces deux conditions ne seront pas faciles à remplir, surtout en référé, mais si elles le sont, le juge ne pourra que prononcer la nullité du contrat. Si elles ne le sont pas, il recouvrera la plénitude de ses pouvoirs de modulation.

En tout état de cause, l'article L. 551-19 prévoit une importante exception à l'obligation de prononcer la nullité du contrat ci-dessus évoquée. Le juge peut en effet éviter de prononcer la nullité du contrat et en ordonner la résiliation, en abréger la durée, ou même infliger une pénalité financière.

Mais cela n'est possible que dans le cas où le prononcé de la nullité se heurterait « à une raison impérieuse d'intérêt général ». Il restera à la jurisprudence à définir cette notion, mais l'on peut d'ores et déjà envisager que l'approvisionnement d'un hôpital en médicaments de première nécessité puisse être regardé comme une raison impérieuse d'intérêt général.

Une disposition vient préciser que cette raison impérieuse d'intérêt général ne saurait être constituée par « la prise en compte d'un intérêt économique », sauf « si la nullité du contrat entraîne des conséquences disproportionnées et que l'intérêt économique atteint n'est pas directement lié au contrat ou si le contrat porte sur une délégation de service public ».

Le luxe de précautions prises et l'enchaînement de ces exceptions ne va pas faciliter la motivation des décisions.

Lorsque le contrat a été signé trop vite, c'est-à-dire avant que le délai de « stand still » ait expiré, l'article L. 551-20 prévoit que le juge puisse prononcer, avec plénitude de juridiction, la nullité, la résiliation, la réduction de la durée du contrat ou une pénalité financière.

La pénalité financière pourra atteindre 20 % du montant HT du marché, ce qui est très élevé.

Il va de soi que le montant de cette pénalité ne sera pas versé au demandeur mais aux services du Trésor public.

La décision est-elle susceptible d'appel ?

Non. L'ordonnance de référé contractuel est rendue en premier et dernier ressort, comme en référé précontractuel. Et, comme pour ce dernier, elle est uniquement susceptible d'un recours en cassation devant le Conseil d'Etat.

Que va devenir la jurisprudence « Tropic » ?

La coexistence du recours « Tropic » et de ce nouveau référé contractuel va naturellement se poser. L'arrêt « Tropic » a en effet été rendu le 16 juillet 2007 afin de rendre la procédure du droit interne compatible avec les exigences de la future directive « recours » et d'un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 18 juillet 2007 (4).

Il convient de préciser que le référé contractuel est un recours de pleine juridiction rendu « en la forme des référés », mais ce n'est pas un référé au sens strict.

En d'autres termes, le tribunal statue à juge unique, sans conclusions du rapporteur public, et le caractère contradictoire de la procédure peut être adapté à l'urgence. Mais la décision rendue est bien une décision au fond.

En pratique, si le juge du référé a prononcé la nullité du marché, et si aucun recours en cassation contre l'ordonnance n'a été formé (ou s'il a été rejeté), le litige devant le tribunal administratif, saisi au titre de la jurisprudence « Tropic », ne pourra pas se poursuivre comme si aucune décision n'avait été rendue. Le tribunal ne pourra que prendre acte de la nullité du contrat prononcée par le juge du référé contractuel, et éventuellement en tirer des conséquences financières.

Cette considération pourrait d'ailleurs justifier le maintien du recours « Tropic », puisque le référé contractuel ne permet pas, lui, de formuler de demande indemnitaire.

L'acheteur public peut-il ne rien faire ?

Oui bien sûr ! Les dispositions de l' instaurant le référé contractuel (avis d'intention de conclure et délai de 11 jours) ne sont pas prescrites à peine d'irrégularité de la procédure de passation du marché proprement dite. Pour le dire autrement, elles ne sont pas une condition de la légalité de la passation du marché (sauf si le juge venait à en décider autrement). Cela signifie que si l'acheteur public ne publie pas d'avis d'intention de conclure lorsque cela est prévu et/ou s'il ne respecte pas le délai de 11 jours (ou celui de 16 jours pour les marchés fondés sur un accord-cadre par ex.), la procédure de passation ne sera pas nécessairement irrégulière.

En revanche, l'acheteur ne fermera pas les portes du référé contractuel, et il devra attendre 6 mois (sous réserve du décret à intervenir) pour purger sa procédure de tout risque de recours. C'est un risque à prendre. Attention toutefois! La notification aux candidats du sort réservé à leurs candidatures ou à leurs offres, et le respect du délai de 10 jours imposés dans le Code des marchés publics pour les procédures formalisées sont - eux - d'ordre public.

Tout manquement à cette obligation, lorsqu'elle s'impose, entraînera l'irrégularité de la procédure de passation.

Le dispositif mis en œuvre avec l' s'avère, on le voit, d'une grande complexité et d'un grand raffinement. Il entrera en vigueur pour toutes les procédures de passation engagées à partir du 1er décembre 2009. Cela laisse quelques semaines pour en appréhender toute la richesse, mais aussi toutes les incertitudes.

Référé contractuel impossibleRéféré contractuel possible
Hypothèses visées dans l'ordonnanceProcédure sans publicité préalableProcédure avec publicité préalable sans notification aux candidats du rejet de leurs offresAccord-cadre (AC)Système d'acquisition dynamique (SAD)Autres procédures
Procédures visées1° Procédure négociée sans publicité préalable et sans concurrence (article 35 II).2° Mapa (1) sans publicité préalable et sans concurrence.3° Marché de services visé à l'article 30 (si aucune mesure de publicité préalable n'a été prise).4° Marché inférieur à 20 000 euros HT.1° Mapa supérieur à 20 000 euros HT.2° Marché de services visé à l'article 30 (si une mesure de publicité préalable a été prise).1° Marché fondé sur un accord-cadre.2° Marché fondé sur un système d'acquisition dynamique.Toutes les autres procédures formalisées.
Conditions à respecter1° Publication d'un avis d'intention de conclure le marché après l'attribution.2° Observation d'un délai de 11 jours à partir de la publication de l'avis avant la signature du marché.1° Envoi de la décision d'attribution du marché aux titulaires de l'AC ou du SAD.2° Observation d'un délai de 16 jours - délai ramené à 11 jours si envoi électronique.1° Notification aux candidats d'une lettre les informant du rejet de leur offre.2° Observation d'un délai de 10 jours à compter de la notification avant la signature du marché.
Conséquence si les conditions sont respectéesRéféré contractuel impossibleRéféré contractuel possible
Avis d'attribution- Obligatoire pour les procédures atteignant les seuils communautaires - à envoyer à la publication sous 48 jours à partir de la notification du marché signé au titulaire.Pour les SAD, voir art. 85-I, alinéa 2.- Obligatoire pour les procédures atteignant les seuils communautaires - à envoyer à la publication sous 48 jours à partir de la notification du marché signé au titulaire.
Avis « Tropic »Oui (2)Oui (2)
Délai pour former un référé contractuel (si les conditions n'ont pas été respectées) (3)- A partir de la signature et jusqu'à 1 mois après la publication de l'avis d'attribution.- Jusqu'à 6 mois après la signature si pas d'avis d'attribution.- A partir de la signature et jusqu'à 1 mois après la publication de l'avis d'attribution (marché de l'article 30 supérieur à 206 000 euros HT).- Jusqu'à 6 mois après la signature si pas d'avis d'attribution.Jusqu'à 6 mois après la signature.- A partir de la signature et jusqu'à 1 mois après la publication de l'avis d'attribution.- Jusqu'à 6 mois après la signature si pas d'avis d'attribution.
(1) Mapa : marché conclu à l'issue d'une procédure adaptée - article 28 du Code des marchés publics.(2) Les mentions rendues nécessaires par l'avis « Tropic » peuvent être insérées sans difficulté dans l'avis d'attribution lorsque cet avis est obligatoire. Dans les autres cas, a priori, l'avis « Tropic » est également obligatoire. Mais la question se pose néanmoins pour les marchés inférieurs à 20 000 euros HT, ainsi que pour les Mapa et les marchés pour lesquels aucune mesure de publicité préalable n'est nécessaire au sens du Code des marchés publics.(3) Sous réserve du décret à intervenir (décret attendu pour novembre 2009).
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