Marchés publics - Comment éviter que le dialogue compétitif ne devienne un dialogue de sourds

Examen des pratiques et de leurs résultats pour aboutir à un contrat équilibré.

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Les auteurs de la directive marchés publics 2014/24 notaient en préambule (point 42) « qu'en termes de volume des marchés, le recours au dialogue compétitif s'est considérablement accru au cours des dernières années ». Certes, il ne représentait encore que 0,2 % des marchés publics conclus en 2021 en France, selon les chiffres du recensement publiés en novembre dernier par l'Observatoire économique de la commande publique. Ce qui est logique car ce sont, par définition, des marchés d'une complexité particulière (1), au moins pour les pouvoirs adjudicateurs, les entités adjudicatrices pouvant, elles, y recourir librement (2).

Opérations complexes

En matière de travaux, cette procédure sera ainsi presque toujours utilisée pour conclure des marchés de conception-réalisation, que leur définition légale réserve là aussi en principe à des opérations particulièrement complexes ( - CCP). C'est ce que relève également le préambule de la directive 2014/24 (point 43) : « Pour les marchés de travaux, il s'agit notamment de travaux qui ne concernent pas des bâtiments standards ou qui comportent une conception ou des solutions innovantes. »

Dérogation aux principes de la commande publique. Or, qui dit complexité, innovation, dit aussi risques. Et de fait, les marchés conclus au terme d'une procédure de dialogue compétitif sont le plus souvent des marchés à risques et enjeux importants. D'où l'intérêt d'une procédure dérogeant aux principes traditionnels de la commande publique en offrant un espace d'échange entre acheteurs publics et opérateurs privés.

Le préambule de la directive précitée encourage d'ailleurs les pouvoirs adjudicateurs « à désigner un chef de projet afin d'assurer une bonne coopération [avec les] opérateurs économiques durant la procédure d'attribution ». Cette coopération devrait, si le dialogue est complet et constructif, conduire, précisément, à évoquer les risques liés au projet et leur allocation entre les parties. Le code ne précise cependant pas quelle forme doit prendre concrètement le dialogue pour atteindre cet objectif de coopération. Il est dès lors intéressant d'observer la pratique et de s'interroger sur ses résultats.

Une seule offre, des propositions

La définition légale du dialogue compétitif apporte à cet égard une précision importante : c'est « la procédure par laquelle l'acheteur dialogue avec les candidats admis à y participer en vue de définir ou développer les solutions de nature à répondre à ses besoins et sur la base desquelles ces candidats sont invités à remettre une offre » (). Il s'en déduit que les candidats ne remettent en principe qu'une seule offre. A l'inverse, par exemple, d'une procédure avec négociation, où celle-ci peut prendre la forme d'offres successives des différents candidats.

D'où la pratique consistant à inviter les candidats admis à participer au dialogue à soumettre à l'acheteur public des propositions, par exemple une proposition sommaire initiale, puis, ultérieurement, une proposition détaillée, afin de matérialiser concrètement l'avancée et les résultats du dialogue.

Réduction du nombre de solutions. Ces propositions ne sont en principe pas engageantes, faute de quoi la procédure méconnaîtrait le code en aboutissant à la remise de plusieurs offres par les candidats. Elles ne sont pas pour autant nécessairement dénuées de portée juridique. Il est en effet loisible à l'acheteur public de prévoir, dans le règlement de la consultation, qu'il pourra « réduire le nombre de solutions à discuter » en cours de dialogue (). Concrètement, les propositions reçues sont alors classées conformément aux critères d'attribution du marché, mais à seule fin d'éliminer, le cas échéant, le participant auteur de la proposition jugée la plus faible.

Ce mécanisme s'explique par l'investissement important que représente pour l'acheteur une telle procédure, justifiant qu'on l'autorise à écarter, au fur et à mesure du dialogue, ceux des participants qui apparaîtraient les moins motivés ou performants.

Allocation des risques optimisée

Quoi qu'il en soit, la procédure s'articule autour de ces propositions : le dialogue va se dérouler sur cette base, dans le cadre d'ateliers animés par les équipes de l'acheteur, qui vont échanger avec celles des candidats.

C'est ainsi que ces derniers pourront évoquer le projet de contrat et l'allocation des risques qui en résulte. Le projet de contrat n'est pas dissocié de l'identification et de la définition des moyens propres à satisfaire au mieux les besoins de l'acheteur, puisque « tous les aspects du marché peuvent être discutés avec les participants sélectionnés » ().

Cet échange, à la fois non engageant (sous la réserve de l'éventuelle réduction en cours de dialogue du nombre de solutions à discuter) et étendu à tous les aspects du marché, permet d'appréhender, in fine, ce que les opérateurs économiques sont prêts à accepter, ou non, en matière de risques et de responsabilités. C'est donc un process potentiellement fructueux : il permet aux pratiques du marché d'infuser le dialogue pour aboutir à une allocation des risques optimisée.

Plafonds de pénalités et risques opérationnels. Ainsi, certaines clauses qui étaient exceptionnelles dans les contrats publics sont désormais évoquées régulièrement dans les phases de dialogue. Par exemple, celles fixant des plafonds de responsabilité, qui correspondent à une pratique très usuelle, en particulier dans les projets internationaux. Sur ce point d'ailleurs, la convergence avec les pratiques du secteur vient aussi de l'administration : l'introduction d'un plafond de pénalités de retard de 10 % dans le a incontestablement appelé l'attention des maîtres d'ouvrage publics sur une limitation à laquelle les entreprises sont très sensibles, et par extension sur la problématique des plafonds de responsabilité.

De même, des risques opérationnels - sol, sous-sol, interfaces… - pourront aussi être mieux distribués à l'issue du dialogue.

Le dialogue compétitif permet d'évoquer les risques liés au projet et leur allocation entre les parties.

« Gage d'efficacité ». En conclusion, la procédure de dialogue compétitif offre une réelle opportunité, faite d'échanges et de confrontation des points de vue, d'optimiser la balance des risques propres à chaque projet. L'enjeu n'est pas mince, comme le rappelait récemment l'Institut de la gestion déléguée. « Quel que soit le mode de réalisation choisi, une allocation optimale est un gage d'efficacité - aussi bien du point de vue opérationnel ou de la performance qu'au regard de la bonne utilisation des ressources financières publiques - tandis que des erreurs ou un manque d'anticipation en cette matière sont générateurs de surcoûts (dans le budget initial ou en cours d'exécution) et/ou de difficultés voire de blocages en cours d'exécution de contrat. »

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