La rédaction des clauses d'un contrat est déterminante pour l'allocation des risques entre les parties, son économie générale, et, in fine, le niveau de prix auquel les parties sont susceptibles de s'engager. C'est dans cette perspective que se situe l'objectif de rééquilibrage des relations contractuelles visé par les nouveaux CCAG (1), qui doivent également permettre un meilleur accès des PME à la commande publique.
Sans prétendre à l'exhaustivité, on peut tenter d'apprécier l'ampleur du rééquilibrage à l'aune des clauses d'avances, de pénalités pour retard, de suspension ou de résiliation au bénéfice du titulaire, et de circonstances imprévues du CCAG travaux.
Le régime des avances
S'agissant des avances, le nouveau CCAG introduit, par défaut, une option favorable aux PME, leur accordant 20 % d'avance (article 10.1, option A). On notera en effet qu'aux termes du Code de la commande publique (), ces entreprises ne bénéficient de ce pourcentage minimal d'avance que pour les marchés passés par l'Etat (10 % dans les autres cas).
Pour rappel, les conditions de remboursement des avances prévues par ce code (art. R. 2191-11) sont en outre assez favorables au titulaire. Pour les avances inférieures ou égales à 30 % du montant du marché, sauf clause contraire, le remboursement débute quand le montant des prestations exécutées atteint 65 % du montant total - alors que le Code des marchés publics était silencieux sur ce seuil, et que la pratique tendait à faire démarrer le remboursement plus tôt, à partir de 50 %, voir 20 % d'avancement.
Il ressort de l'ensemble de ces règles un régime souple et plutôt favorable au titulaire en matière d'avances, dans la lignée non seulement du CCP, mais également des textes adoptés pour répondre à l'urgence sanitaire (voir , autorisant le paiement d'avances sans plafond, et sans constitution obligatoire de garantie de restitution quel que soit leur montant). Là comme ailleurs, les circonstances particulières liées à la pandémie avaient entraîné des mesures fortes et fait « bouger les lignes ».
Les pénalités pour retard
C'est une nouveauté majeure des CCAG, notamment travaux (art. 19.2.2) : le montant maximum des pénalités pour retard est désormais limité à 10 % du montant du marché (ou de la tranche, ou du bon de commande). L'obligation de solliciter les observations du titulaire au moins quinze jours avant l'application des pénalités est aussi introduite, même si ce formalisme ne semble pas devoir bouleverser le mécanisme. En pratique, des échanges préalables, au moins avec la maîtrise d'œuvre, ont souvent lieu.
Moduler les clauses pénales. Des pénalités pour retard plafonnées correspondent à un usage plus que fréquent dans tous les types de contrats, en particulier dans les marchés de travaux privés et/ou internationaux. Cette évolution est donc bienvenue, et pas seulement du point de vue des PME.
Reste à savoir comment la jurisprudence administrative appréciera ce plafond : s'agissant d'une limitation de la responsabilité du titulaire, le Conseil d'Etat l'écartera-t-il en cas de faute caractérisée (lourde ou dolosive) ? Quelle articulation, par ailleurs, avec la faculté qu'a le juge de moduler les clauses pénales lorsque leur application s'avère disproportionnée par rapport au préjudice réellement subi (2) ? Même plafonnées à 10 % du montant du marché, des pénalités pour retard pourraient encore, en théorie, s'avérer disproportionnées ; mais la jurisprudence, bien que rare, ne semble pas orientée en ce sens.
Limites au rééquilibrage. Au passage, on peut observer qu'il n'existe pas d'autre clause du CCAG encadrant la responsabilité des parties et leur droit à indemnisation. On peut s'en étonner, dans la mesure où, tout autant que les plafonds de pénalités, les clauses limitatives de responsabilité sont en pratique courantes, qu'elles fixent un plafond (par exemple, le montant du marché) ou excluent une classe de dommages (le plus souvent, des dommages immatériels). A nouveau, tout ceci participe de l'économie générale du contrat, et, in fine, de son prix.
Une autre limite au rééquilibrage des obligations contractuelles liée à la responsabilité provient de la jurisprudence administrative en matière de responsabilité du maître d'ouvrage. On sait les difficultés soulevées par la jurisprudence « Région Haute-Normandie » (3) limitant la responsabilité de ce dernier à ses fautes propres - en dépit des précisions qu'a pu apporter, notamment, l'arrêt « Société Tonin » (4) sur ce que pouvait recouvrir cette notion de faute propre. Il n'en demeure pas moins que, pour le titulaire du marché, l'une des contreparties traditionnelles des prérogatives fortes de l'administration à son encontre était la responsabilité de celle-ci du fait des autres constructeurs intervenant dans le projet. Cette situation présentait le double avantage d'avoir la garantie d'un débiteur solvable et une simplicité procédurale en cas de différend. Tel n'est plus le cas aujourd'hui, et cette rupture au détriment du titulaire de l'équilibre qui préexistait en matière de responsabilité risque d'être perçue comme insuffisamment compensée par les avancées du CCAG.
Les cas de suspension ou de résiliation au bénéfice du titulaire
Comme l'a rappelé le Conseil d'Etat dans sa décision « Société Grenke Location » (5), le titulaire d'un contrat administratif ne peut, en principe, ni en suspendre l'exécution, ni le résilier.
Ces sujétions peuvent être particulièrement lourdes pour des PME. D'autant que - et cette remarque est valable pour n'importe quel titulaire - le CCP (art. R. 2142-7) limite désormais le chiffre d'affaires minimal exigé pour admettre la capacité financière des candidats à exécuter un marché à deux fois le montant estimé du marché (ou du lot), sauf justifications liées à son objet ou à ses conditions d'exécution. Dans ces conditions, un dérapage des coûts sans possibilités de suspendre, encore moins de résilier, peut avoir des conséquences rédhibitoires. D'où l'intérêt de renforcer les clauses permettant au titulaire, dans quelques cas bien identifiés et notamment en cas de défaut de paiement persistant, de suspendre, voire de résilier le marché (art. 53.2).
Interruption… sans indemnisation. Ce cas d'interruption des travaux pour retard de paiement pourrait cependant tourner au dilemme pour le titulaire. L'article 53.2.1. du CCAG l'autorise en effet à notifier sa décision d'interrompre les travaux en cas de non-paiement de deux acomptes successifs. Mais dans ce cas, soit le maître d'ouvrage ordonne la poursuite - certes, au prix d'intérêts de retard majorés de 50 %, mais sans avoir à le justifier (art. 53.2.2) -, et alors le droit à suspendre se trouve neutralisé ; soit, à défaut d'un tel ordre, le titulaire peut interrompre les travaux, mais la clause ne prévoit alors aucun droit à indemnisation des frais d'immobilisation (art. 53.2.3. ; le droit à résiliation qui lui est ouvert au bout de six mois d'une telle situation ne semble d'ailleurs pas davantage ouvrir droit à indemnité).
C'est surprenant, puisque dans le cas d'un ajournement décidé par la maîtrise d'ouvrage, le CCAG (art. 53.1.1) prévoit expressément son indemnisation pour les frais de garde de chantier et, le cas échéant, une indemnité d'attente de reprise des travaux. En somme, lorsque l'administration ajourne, le titulaire a droit à être indemnisé, mais lorsque c'est lui qui interrompt, du fait d'un manquement caractérisé de la maîtrise d'ouvrage à son obligation de payer les travaux, il ne peut prétendre à l'être. Il sera intéressant de voir si, sur le terrain de la responsabilité pour faute, le titulaire serait néanmoins en mesure d'obtenir une indemnisation de ses frais liés à une telle interruption.
Mise en demeure. Enfin, qu'il s'agisse de résiliation ou de suspension acquise au bénéfice du titulaire au titre du CCAG, on doit se poser la question de son articulation avec la jurisprudence « Société Grenke » précitée. Il résulte de cette dernière, en substance, que même lorsque le titulaire est contractuellement en droit de résilier, il doit permettre à l'administration de s'y opposer pour un motif d'intérêt général, tiré notamment des exigences du service. On espère que, lorsque le contrat prévoit déjà, comme c'est le cas pour le CCAG travaux, une notification expresse de l'intention de suspendre ou de résilier, la condition posée par cette jurisprudence sera jugée remplie.
Circonstances imprévisibles
Jusqu'ici, les circonstances imprévisibles étaient très peu abordées par les CCAG, puisque seul était prévu le cas de force majeure, sous l'angle des pertes et avaries causées sur le chantier (art. 18.3 du CCAG 2009), ouvrant droit à indemnisation pour le préjudice subi, et sans doute aussi à prolongation de délai au titre de l'article 19.2.2. Pour l'essentiel, ces circonstances étaient traitées par le Code de la commande publique (CCP), reprenant la théorie de l'imprévision (telle que codifiée à l'article L. 6, 3° : l'événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l'équilibre du contrat, ouvrant droit à indemnité) ou par la jurisprudence relative aux sujétions techniques imprévues.
Les surcoûts pris en charge en raison de circonstances imprévisibles peuvent faire l'objet d'une avance
« Tirant les enseignements des difficultés rencontrées par les parties aux marchés publics lors de la crise sanitaire », comme le souligne la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy dans sa notice de présentation des nouveaux CCAG, ceux-ci prévoient désormais : un droit à suspension des travaux en cas de circonstances imprévisibles rendant temporairement impossible la poursuite de l'exécution du marché (art. 53.3) ; et une clause de réexamen, lorsque ces circonstances modifient de manière significative les conditions d'exécution du marché (art. 54). La survenance de circonstances imprévues au cours du chantier figure par ailleurs plus expressément au nombre des faits justificatifs de prolongation des délais d'exécution (art. 18.2.2). La mention du cas de force majeure reste, elle, inchangée, toujours traitée sous l'angle des pertes et avaries sur les chantiers (art. 17.3).
Toute la question est ici de savoir si ces circonstances ouvrent droit à indemnisation du titulaire, et, dans l'affirmative, pour quels postes. Sur ce point, les nouvelles clauses des CCAG sont assez peu contraignantes. Elles contiennent néanmoins quelques précisions capitales.
Clause de réexamen. La clause de réexamen, si elle n'impose pas directement un droit à indemnisation, oblige les parties à examiner de bonne foi les conséquences, notamment financières, de cette circonstance. Cela rend difficilement justifiable tout refus d'indemnisation face à des préjudices avérés…
Quant aux surcoûts indemnisés, ou pris en charge, on notera que la prise en charge des conséquences, notamment financières, peut être « totale ou partielle », ce qui tranche, ici, avec les règles usuelles d'indemnisation de l'imprévision, laissant à la charge du titulaire une part de risque. D'autre part, la clause précise qu'il est tenu compte notamment des surcoûts « liés aux modifications d'exécution des prestations » et « des conséquences liées à la prolongation des délais », ce qui donne des indications quant aux demandes qui seront les mieux fondées.
Les surcoûts éventuellement pris en charge peuvent faire l'objet d'une avance si les parties en conviennent, ce qui est une souplesse potentiellement fort utile (dérogeant à la règle du service fait, reprise par l').
Clause de suspension. La clause de suspension en cas de circonstances imprévisibles pose, quant à elle, un principe clair : si une telle circonstance est caractérisée, y compris si elle résulte de l'édiction par les autorités publiques de mesures venant restreindre, interdire ou modifier de manière importante l'exercice de certaines activités en raison de cette circonstance, la suspension est prononcée. Le retour d'expérience de la crise sanitaire est ici manifeste ; le titulaire ne devrait plus avoir à alléguer d'un cas de force majeure, la suspension est de droit.
Quant à ses conséquences financières, la clause est moins précise ; néanmoins les parties conviennent « des modalités de reprise » et, « le cas échéant, des modifications à apporter au marché du fait de la suspension et des modalités de répartition des surcoûts directement induits par cette suspension ».
Cette clause n'est pas sans faire écho à la note du Premier ministre du 9 juin 2020 ayant pour objet la prise en charge des surcoûts liés à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre du redémarrage des chantiers de BTP. Elle en reprend, en condensé, l'incitation au dialogue et à la recherche d'une prise en charge équilibrée, tout en n'imposant aucun engagement a priori aux maîtres d'ouvrage.
Changement de loi. Par ailleurs, le changement de loi est traité par le nouveau CCAG comme un cas particulier d'imprévision, puisqu'est visé le cas de « modification imprévisible de la législation ou réglementation applicable en cours d'exécution du marché ayant un impact sur les coûts » (article 9.1.1). A l'instar des autres cas d'imprévision introduits dans le CCAG, celui-ci n'est pas assorti de mesures trop précises ou automatiques, mais prévoit que « les parties conviennent de se rencontrer pour évaluer l'impact financier de cette modification et le cas échéant formaliser par voie d'avenant la modification rendue nécessaire ».