Pour certains marchés, il est acquis que le Code de la commande publique (CCP) impose la présence d'une clause de révision des prix. C'est le cas, s'agissant des marchés publics de travaux (), lorsque la variation du ou des index TP ou BT correspondant à l'objet du marché (lot) « raisonnablement » prévisible à la date de passation du marché, expose « les parties » à des aléas majeurs de surcoûts. Une clause de révision est aussi obligatoire pour les marchés publics de travaux (lot) dont la durée d'exécution est supérieure à trois mois et dont la réalisation mobilise une part importante de matériaux ou matériels dont le prix est directement impacté par la fluctuation des cours mondiaux ().
Les clauses du marché sont alors censées définir les modalités de la révision des prix (formule de calcul de la révision, index ou indices de référence, périodicité…).
Une clause de révision éligible à une modification par avenant
Depuis l'avis (n° 405540) du 15 septembre 2022 rendu par l'assemblée générale du Conseil d'Etat, il est admis que les clauses financières du marché peuvent être modifiées dès lors que l'une des conditions imposées par le CCP permettant d'amender le marché est remplie. Selon les Sages du Palais-Royal, la modification peut alors consister, notamment : - à introduire une clause de révision dans un marché conclu initialement à prix ferme et actualisable ; - à modifier la clause de révision prévue si celle-ci ne produit pas les effets escomptés : suppression du terme fixe, remplacement des index, modification de leur part respective dans la formule de révision…
Le CCP n'impose pas la forme sous laquelle l'acte modificatif doit alors être établi. En principe, il peut s'agir d'un avenant convenu entre les parties ou d'un acte unilatéral de l'acheteur s'imposant à l'entreprise, sans pouvoir cependant bouleverser l'équilibre du contrat (art. L. 6-4° du CCP). Toutefois, le principe d'intangibilité des prix, en vertu duquel le prix et les autres clauses financières convenus dans le marché lient les parties, s'oppose à ce que l'une d'entre elles impose une modification de ces conditions à son cocontractant sans son consentement.
Consentement mutuel. La modification des clauses financières ne semble donc pouvoir être opérée que par voie d'avenant. L'avantage de ce formalisme contractuel constitue aussi sa limite : s'il garantit et scelle l'accord entre les parties sur la nature et la portée des modifications du marché, à défaut de consentement mutuel, point d'amendement du contrat. C'est ce que rappelle le point 8 de l'avis : « Il convient enfin de souligner que si de telles modifications contractuelles sont possibles [...], l'autorité contractante [...] n'est en aucun cas contrainte d'en prendre l'initiative ou de les accepter. » Autrement dit, le titulaire ne dispose d'aucun droit à ce que le marché soit modifié, y compris pour introduire une clause de révision.
Un avenant de régularisation rendu obligatoire par le CCAG travaux ?
A l'aune de l', la négation du droit de l'entreprise à obtenir la modification des clauses financières semble cependant pouvoir être débattue lorsque le CCP impose une révision des prix du marché concerné et que les documents particuliers du marché ne comportent pas de clause en ce sens. Selon cet article, « les prix sont réputés fermes, sauf dans les cas où la réglementation prévoit des prix révisables ou si les documents particuliers du marché prévoient de tels prix et qu'ils comportent une formule de révision des prix ». Il semble en résulter que, lorsque la révision des prix est obligatoire sur le fondement du code, les prix du marché sont réputés révisables.
Silence du CCAP. La question se pose alors de la portée de cette clause du CCAG lorsque les documents particuliers - CCAP en général - ne définissent pas comme ils le devraient les modalités de la révision. Les parties ne seraient-elles pas soumises, implicitement, à une obligation de définir une clause de révision par avenant dès lors que l'une d'elles le demanderait ?
Cette clause pourrait être aisément établie conformément à l'usage, révélé par des marchés équivalents, en choisissant le(s) index BT ou TP les plus adaptés à la nature des travaux concernés. C'est d'ailleurs ce qu'impose expressément l' lorsque les pièces particulières du marché ne définissent pas les index ou indices de référence pour calculer l'actualisation des prix dans les conditions imposées par le CCP.
Quant à la formule de calcul du coefficient de révision, par analogie, celle que le CCAG maîtrise d'œuvre définit par défaut (1) pourrait également s'imposer aux parties faute d'accord sur une autre formule, notamment, sans terme fixe.
Contradiction entre le CCAG et le CCAP. Une difficulté d'interprétation des clauses du marché ne manquerait pas de se poser lorsqu'il se déduirait de l' que les prix sont réputés révisables alors que le CCAP stipulerait que les prix sont fermes et actualisables.
Une première approche pourrait tendre à considérer que, dès lors que la révision des prix du marché s'impose au regard du code, la clause du CCAP qui en stipule autrement mérite d'être réputée non écrite. La doctrine de la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy semble aller dans ce sens. En effet, selon la fiche 1 « Les dérogations aux CCAG » de son « Guide d'utilisation des CCAG », les clauses rappelant les cas dans lesquels le marché doit être conclu à prix révisable traduisent des obligations réglementaires. A ce titre, elles « s'imposent aux marchés concernés [et] il n'est pas possible de faire obstacle à leur application en y dérogeant ». L'un des cocontractants (l'entreprise le plus souvent) serait alors en droit d'exiger qu'un avenant régularise ce manquement originel. Un tel avenant, induit par l', pourrait alors être fondé sur l' qui permet d'apporter des modifications non substantielles au marché ; ou sur l'article R. 2194-8, ce qui imposerait de plafonner le montant de la révision à 15 % du montant initial du marché.
Une autre analyse consisterait à n'y voir qu'une simple contradiction entre le CCAP stipulant que les prix sont fermes et actualisables et l'. Celle-ci se réglerait au regard de l'ordre de priorité des pièces constitutives du marché, ordre qui, en général, fait prévaloir le CCAP sur le CCAG, à l'instar de ce que l'article 4.1 du CCAG travaux prévoit par défaut.
L'affirmation de cette prévalence du CCAP sur le CCAG travaux pourrait susciter quelques hésitations si la dérogation du CCAP à l'article 9.4.1 du CCAG n'était pas présentée conformément à ce qu'impose l'article 1.2 du CCAG. Rappelons, en effet, qu'une dérogation au CCAG doit être exprimée comme telle par l'article dérogatoire du CCAP (lequel doit préciser à quel article du CCAG il déroge). Cette dérogation doit en sus apparaître dans le dernier article du CCAP qui dresse la liste récapitulative de l'ensemble des dérogations apportées au CCAG. Le Conseil d'Etat a certes jugé que l'absence du rappel de la dérogation dans l'article récapitulatif du CCAP n'impliquait pas que ladite dérogation soit réputée non écrite (, publié au recueil Lebon). Toutefois, si la dérogation n'était pas davantage mise en exergue à l'article dérogatoire lui-même, il n'est pas certain que le juge fasse preuve de la même mansuétude.
On le voit, lorsque la révision des prix d'un marché est imposée par le CCP, la tâche n'est pas aisée pour le titulaire d'obtenir que l'acheteur accepte de conclure un avenant de régularisation. Il est sans doute préférable que l'entreprise (ou un tiers représentant anonymement ses intérêts) tente d'obtenir cette mise en conformité lorsqu'elle n'est encore qu'un simple candidat, c'est-à-dire avant la date limite de remise des offres.