Marchés publics : les professionnels réagissent à la loi Asap

 

L’ajout de nombreux amendements « marchés publics » dans le projet de loi Asap lors de son passage à l’Assemblée nationale n’a pas manqué de faire réagir l’ensemble des acteurs.

<

Réservé aux abonnés
Asap
Les professionnels ont vivement réagi au projet de loi Asap.

Le 6 octobre, les députés ont adopté le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap), qui doit maintenant être discuté en commission mixte paritaire (CMP) le 20 ou 21 octobre. Il contient de nombreuses mesures relatives aux marchés publics, notamment la hausse temporaire, jusqu’à fin 2022, du plafond de dispense de procédure de passation pour les marchés de travaux à 100 000 € ainsi que la possibilité de passer un marché de gré à gré au motif de « l’intérêt général ». Des dispositions diversement appréciées.

Seuil à 100 000 euros pour les marchés de travaux

La première mesure issue du projet de loi Asap qui impacte directement le BTP concerne le relèvement temporaire du seuil de dispense de procédure de passation et de mise en concurrence à 100 000 euros pour les marchés de travaux. Pour Henry Brin, vice-président en charge de l’artisanat à la FFB, « il s’agit d’une réponse concrète aux conséquences de la crise ». D’ailleurs, cela fait partie des propositions faites par la FFB dans le cadre du plan de relance de l’économie, précise ce dernier. « Il faut en effet bien comprendre que nos entreprises, et en particulier les plus petites, ont eu un trou d’air important dans leurs carnets de commandes, car les permis de construire n’ont pas pu être instruits pendant plusieurs mois. Et maintenant, si on peut espérer que la crise à proprement parler va s’arrêter bientôt, les effets collatéraux, à l’image des surcoûts liés aux mesures barrière imposées sur les chantiers, risquent eux de perdurer ».

Du côté de l’ingénierie, c’est la déception qui prime. « Le relèvement de seuil est une bonne nouvelle puisque c’est une mesure qui permet d’accélérer les effets du plan de relance. Mais, nous sommes évidemment déçus, car le seuil des marchés de prestations intellectuelles reste scotché à 40 000 euros malgré nos multiples démarches », commente Christophe Longepierre, délégué général de Syntec-Ingénierie. « Ce manque de cohérence est, à notre sens, d’autant plus difficile à comprendre que le rôle de la maîtrise d’œuvre, en plus de la conception, est de préparer les consultations pour les marchés de travaux. Or, en nous permettant de décrocher plus rapidement nos marchés, c’est toute la chaîne qui en aurait profité ». Ce dernier assure vouloir continuer à porter ce qui peut l’être auprès de la CMP, « puis si par malheur nous ne sommes toujours pas entendus, on ne désespère pas d’exploiter avec plus de succès la voie réglementaire. »

D’un point de vue juridique, beaucoup se demandent pourquoi ce rehaussement de seuil ne fait pas l’objet d’un décret, comme il s’agit d’une mesure d’ordre réglementaire. À cette remarque, Tanguy Mocaer, avocat-associé du cabinet Coudray explique que « par principe, le législateur peut toujours intervenir dans le domaine réglementaire (Conseil constitutionnel, 30 juillet 1982, n° 82-143 DC). En l’espèce, c’est ce qu’il a fait, et le Conseil constitutionnel, s’il venait à être saisi, ne pourra donc pas annuler cette mesure pour ce motif. »

Marchés de gré à gré pour « motif d’intérêt général »

L’introduction par amendement gouvernemental du motif d’intérêt général permettant de dispenser les acheteurs de publicité et de mise en concurrence a créé la confusion quant à son interprétation. Selon Tanguy Mocaer, « cette mesure n’a pas la portée aussi générale que peut le laisser entrevoir l’exposé sommaire de l’amendement. En réalité, il signifie que l’achat public peut s’exonérer de la procédure de publicité et de mise en concurrence lorsque le respect de celle-ci est manifestement contraire à un motif d’intérêt général – dont la liste devrait être arrêtée par décret en Conseil d’Etat.La Direction des affaires juridiques de Bercy (DAJ) a en effet précisé récemment que ces motifs d’intérêt général seront limitativement énumérés dans un texte de valeur réglementaire, ce qui signifie que le juge administratif pourra annuler tel ou tel motif s’il l’estime contraire à une norme supérieure. On pense bien entendu aux directives communautaires. »

Peu rassuré par les explications de la DAJ, Kévin Gernier, chargé de mission pour l’association Transparency France dénonce notamment le flou concernant l’introduction de cette mesure dans la Code de la commande publique. « Le cas ponctuel des denrées alimentaires qui allait périmer est évoqué dans un premier temps et pourrait être convaincant, mais juste après est également évoqué le motif excessivement large de soutien à la relance économique ». Ce dernier estime « qu’est introduit dans le Code de la commande publique un point potentiellement énorme en termes de conséquences ». 

Mesures exceptionnelles intégrées dans le Code de la commande publique

Parmi les autres mesures fortes du projet de loi Asap se trouve la création d’un nouveau livre (composé de 23 articles) dans le Code de la commande publique, contenant des dispositions relatives aux circonstances exceptionnelles (guerre, pandémie, catastrophe naturelle, crise économique majeure…).  À ce sujet, Olivier Fraissinet, responsable du service juridique – commande publique de l’Établissement français du Sang de la région Paca-Corse, trouve l’idée bonne sur le papier. « En temps de gros bouleversement (pandémie, problèmes climatiques, etc.) il est important de pouvoir accélérer les choses et d’éviter des mises en concurrence. Néanmoins, cela signifie plus de responsabilités entre les mains des acheteurs publics et des décideurs. À eux de se professionnaliser rapidement pour monter en compétence. Ce point est important et mérite d’être également porté. L’absence totale de mise en concurrence impose un sourcing précis, pointu afin de connaître les opérateurs économiques capables de répondre de manière performante et efficiente aux besoins des entités publiques. »

De son côté, Kévin Gernier considère qu’« il semblait important de ne pas confondre le contexte ponctuel de la crise sanitaire - qui nécessitait à bon escient des aménagements techniques via notamment l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 -, et la crise économique qui va s’installer pendant quelques années. Ce sont deux enjeux différents et pourtant la confusion est entretenue par ces modifications durables de l’encadrement des marchés publics. Si ce recul de la transparence se pérennise, nous n'aurons d'autres choix que d'espérer que les pratiques et les usages resteront tout à fait éthiques, car plus on dérégule et plus la responsabilité des acheteurs publics et la prévention des potentiels conflits d’intérêts sont importantes. »

Marchés réservés

Le projet de loi Asap s’attaque, par ailleurs, aux mécanismes d’insertion et plus particulièrement aux marchés réservés. Si, aujourd’hui encore, l’article L. 2113-14 du Code de la commande publique interdit expressément qu’une même procédure soit réservée à la fois aux entreprises adaptées (EA) et établissements et services d'aide par le travail (Esat) d’une part et aux structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) d’autre part, un amendement adopté par les députés supprime ce caractère exclusif.

Patrick Loquet, maître de conférence et spécialiste de l’achat public durable, souscrit pleinement à l’idée de permettre à des structures d’insertion par l’activité économique et à des structures du travail protégé et adapté (STPA) de répondre ensemble, au moyen du groupement d’entreprises, à un marché public. « Quand on répond ensemble par le biais de la co-traitance, on est à égalité et on est dans une stratégie de coopération dans l’intérêt des personnes qui travaillent dans ces structures. Mais la rédaction proposée ne semble pas exempte d’autres interprétations plus malveillantes ». Ce dernier estime en effet que cela pourrait aussi signifier que cet acheteur puisse mettre ces structures en concurrence avec la volonté de trouver le meilleur opérateur, ce qui peut vouloir dire le moins cher. Or, « il faut clairement proscrire, comme elle l’est aujourd’hui, la possibilité pour un acheteur, de mettre en concurrence sur un même marché réservé ou sur un même lot de ce marché, les SIAE et les STPA. De même, je pense qu’il serait malsain de tolérer la sous-traitance, quelle qu’elle soit, entre les deux catégories de structures ».

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires