L’application des règles relatives à la passation des marchés publics aux prestations fournies par les avocats aux collectivités publiques a souvent donné lieu à des difficultés. L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat, le 7 mars 2005, sur recours de la communauté urbaine de Lyon offre des enseignements intéressants aux praticiens pour les références que peut légalement demander une collectivité publique dans la procédure de passation de ce type de marchés.
Avant d’examiner l’apport de cette décision, il convient de revenir sur les principes dégagés par le Conseil d’Etat, lors de deux arrêts d’assemblée ayant eu à se prononcer sur ces questions délicates.
Dans la première affaire (, Rec CE p. 125), était contesté le modifiant le Code des marchés publics, aux termes duquel les marchés « ayant pour objet des services juridiques » seraient désormais des marchés négociés intervenant après mise en concurrence. Il s’agissait de la transposition de la directive communautaire n° 92/50 du 18 juin 1992 portant sur les marchés de services. L’arrêt se focalise sur les contrats portant sur la représentation en justice des collectivités publiques. Il relève que cette représentation par les avocats est régie par les principes relatifs, notamment, au respect du secret des relations entre l’avocat et son client et à l’indépendance de l’avocat, dont le respect s’impose au pouvoir réglementaire.
Contrats de représentationen justice. La haute assemblée indique, tout d’abord, que le principe d’une mise en concurrence préalable ne porte pas atteinte à ces principes. Cependant, elle estime que la soumission des contrats de représentation en justice à l’ensemble des dispositions du Code des marchés publics applicables aux marchés négociés n’est compatible avec ces principes que moyennant des adaptations ou des dérogations à certains articles du Code. Aussi, faute pour le pouvoir réglementaire d’avoir édicté les prescriptions nécessaires, la disposition incriminée a été censurée. Parmi les règles générales du Code des marchés, ici mises en cause, figuraient, entre autres, celles permettant de juger des offres en fonction des références produites par les candidats à l’attribution du marché.
La deuxième décision résulte d’un autre arrêt d’assemblée du 5 mars 2003 « Ordre des avocats à la cour d’appel de Paris » (n° 238039, Rec CE p. 90). Etait en cause, dans cette affaire, la légalité des articles du Code des marchés publics, dans leur rédaction issue du . Ces articles, prenant en compte la décision précitée du 9 avril 1999, prenaient soin d’exclure les contrats de représentation en justice de nombre d’obligations.
Documents élaborés lorsde l’exécution du marché. Les requérants invoquaient, à leur encontre, l’ portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans la rédaction issue de la . Selon cet article, les consultations adressées par un avocat à son client, leur correspondance et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. Pour écarter cet argument, le Conseil d’Etat a relevé que cette protection valait seulement pour les documents élaborés au cours de l’exécution du marché de services juridiques et non pour les pièces du marché lui-même.
Dès lors, il y a bien place à l’application de règles applicables aux marchés publics, au moins pour les contrats de consultation juridique, sous réserve que les règles mises en place ne portent pas atteinte aux principes de confidentialité et d’indépendance sus-rappelés. Encore faut-il que les protections mises en œuvre le soient à bon escient, comme le montre la décision du 7 mars dernier. Dans cette affaire, était en cause l’avis de mise en concurrence publié par la communauté urbaine de Lyon en vue de la passation d’un marché à bons de commande, portant sur des prestations de conseil juridique hors contentieux, pour l’année 2005. Ce marché comportait quinze lots, chacun concernant un champ particulier du droit. La SCP, qui s’était portée candidate à l’attribution de plusieurs lots, essuya une décision de rejet de sa candidature. Elle saisit, alors, le juge des référés précontractuels. Celui-ci, par une ordonnance du 28 octobre 2004, a annulé la décision de la communauté urbaine et lui a enjoint de recommencer la procédure pour les lots sur lesquels elle avait fait acte de candidature. La communauté urbaine de Lyon s’est pourvue en cassation.
Critères de sélection des offres. Le litige portait principalement sur les critères de sélection des offres figurant dans l’avis de mise en concurrence. Deux critères étaient prévus : d’une part, le curriculum vitae des candidats, leurs titres d’études, l’expérience professionnelle du ou des responsables ainsi que des exécutants de la prestation ; d’autre part, la liste des ouvrages et écrits publiés dans les revues spécialisées. Enfin, l’avis précisait que, s’agissant des références professionnelles, « les candidats ne sont pas autorisés à produire leurs références, en vertu de la modifiant la ».
Le juge des référés précontractuels a estimé que la fixation de tels critères présentait un caractère discriminatoire, car elle interdisait la présentation de références professionnelles et « survalorisait » la production de publications. De même, l’interdiction de production de références constituait, selon lui, une interprétation erronée des textes.
La première question posée au Conseil d’Etat est celle de savoir si le candidat à l’attribution d’un marché de prestations de conseil juridique peut présenter des références professionnelles à l’appui de sa candidature, et si oui, avec quelles restrictions.
La communauté urbaine justifiait sa position par le caractère absolu du secret professionnel entourant les relations entre l’avocat et son client, encore rappelé par la . Cette conception est celle de la Cour de cassation () qui applique le principe du secret aux correspondances échangées entre les avocats (, Semaine Juridique Ed générale 5 mars 2003 II.10035 avec les conclusions de l’avocat général Sainte-Rose).
En revanche, la jurisprudence antérieure du Conseil d’Etat semblait plus ambiguë : la position nette prise dans l’arrêt « Toubol-Fischer » concerne les contrats de représentation en justice et admet la possibilité de mise en œuvre des mécanismes de mise en concurrence. Quant à la décision « Ordre des avocats à la cour d’appel de Paris », elle distingue les pièces du marché – non soumises au principe de secret – de celles relatives à son exécution qui, elles, le sont. L’arrêt rendu le 7 mars 2005 tranche clairement la question. Après avoir rappelé que chaque candidat à l’attribution d’un marché public doit respecter les règles qui régissent sa profession – celles relatives au respect du secret professionnel – sans que la personne responsable du marché n’ait à le rappeler expressément dans l’avis de mise en concurrence, le Conseil d’Etat indique que cette dernière ne doit pas imposer des prescriptions qui conduiraient les candidats à méconnaître ces règles.
L’arrêt est intéressant car il ne paraît plus faire de distinction entre marchés de représentation en justice et contrats de consultation juridique, même si ce point mérite d’être confirmé. Dès lors, l’interdiction de principe posée par la communauté urbaine de Lyon était entachée d’erreur de droit.
Caractère discriminatoire.La seconde question consiste à savoir si cette interprétation erronée avait eu un caractère discriminatoire, compte tenu de l’existence des autres critères de sélection des offres. C’est, en effet, à cette condition que le juge des référés précontractuels peut exercer son office, du fait des termes de l’.
Le juge doit effectivement vérifier que les règles de la consultation n’ont pas présenté un caractère discriminatoire. Tel peut être le cas de normes ou de spécifications techniques, qui ont pour effet de ne rendre possible que le choix d’un seul candidat (CE Section 3 novembre 1995 « District de l’agglomération nancéienne », Rec. CE p. 391 avec les conclusions de Christophe Chantepy), ou des références ou qualifications que le candidat doit produire (). Cela ne signifie pas que la personne responsable du marché ne puisse exiger de telles références ou spécifications techniques ; cela veut simplement dire que de telles exigences doivent être justifiées par les besoins du marché.
En l’espèce, et compte tenu de l’interdiction de présenter des références professionnelles, le critère déterminant qui demeurait était bien celui des publications effectuées par les candidats à l’attribution du marché. Un tel critère n’était pas en lui-même discriminatoire. Comme l’indiquait le commissaire du gouvernement dans ses conclusions : « il n’est pas manifestement déraisonnable qu’une collectivité publique souhaite choisir son conseiller juridique parmi ceux qui, publiant régulièrement dans les revues spécialisées, pourraient ainsi se prévaloir d’une certaine réputation ». En revanche, ce que censure en l’espèce le Conseil d’Etat, c’est la combinaison de l’interdiction de production de références professionnelles et du critère des publications effectuées qui présentait un caractère discriminatoire en avantageant les avocats ayant beaucoup publié sur ceux qui auraient eu une expérience professionnelle plus étendue.
Cette jurisprudence, qui aboutit à censurer une discrimination en raison de la présence survalorisée d’un critère de sélection, peut apparaître fort subtile. On pourra également considérer que ce seul critère – celui des publications – en vaut bien d’autres, y compris celui des références professionnelles antérieures. Mais il ne faut pas perdre de vue que cette discrimination repose sur une erreur d’interprétation des contraintes que font peser, sur les avocats, les règles de secret professionnel. C’est sans doute pour cette raison fondamentale que la solution retenue est si rigoureuse.