La chose est désormais entendue par les sages de la rue de Montpensier (décision n°2014-441/442/443 QPC du 23 janvier 2015 ), le bailleur social peut récupérer auprès de son locataire le montant total de la facture d’approvisionnement d’énergie distribuée par réseaux, appelés communément « réseaux de chaleur » ou « réseaux de chauffage urbain », sans distinguer l’origine des coûts. Cette décision intervient après un feuilleton à rebondissements alimenté par une abondante jurisprudence judiciaire et par la loi « Nome » du 7 décembre 2010, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité. Mais pourquoi un tel désordre juridique ?
L’épineuse question de la détermination des charges récupérables de chauffage
Rappelons que les charges récupérables sont définies à l'article L. 442-3 du Code de la construction et de l'habitation (CCH) pour le parc locatif social et à l'article 23 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 pour le parc locatif privé, comme étant des sommes accessoires au loyer principal. S’agissant des charges de chauffage, le bailleur doit distinguer les dépenses liées à la consommation effective de l’énergie, récupérables auprès du locataire, de celles correspondant aux frais d’investissement et d'amortissement des installations de chauffage qui demeurent à sa charge. Mais la loi Nome prévoit que dans le cas d'un contrat d'achat d'électricité, d'énergie calorifique ou de gaz naturel combustible, distribués par réseaux, le bailleur peut récupérer auprès du locataire, le prix de l'énergie qu'il achète à une entité juridique indépendante, sans distinguer les éléments constitutifs de ce prix. C’est cette différence de traitement, selon le mode de chauffage collectif auquel il est recouru par le bailleur, qui a permis à la Cour de cassation de rouvrir le débat des charges récupérables de chauffage par le biais de trois QPC.
Relevons subsidiairement, comme le souligne un parlementaire à l’occasion d’une récente réponse ministérielle, que le paradoxe n'est pas mince de constater que des habitants de logements raccordés à un réseau de chaleur pourraient être confrontés à des factures supérieures à celles des locataires de logements énergivores mais ayant un chauffage individuel…
Des règles de récupération des charges différentes jugées conformes à la Constitution
Les sages écartent néanmoins le grief tiré d'une atteinte au principe d'égalité soulevé par les locataires et relayé par la Cour de cassation. Le Conseil constitutionnel juge en effet que le principe d'égalité devant la loi n'impose pas que les règles de récupération des charges locatives pour les dépenses liées au chauffage soient identiques quel que soit le mode de chauffage retenu. Par ailleurs, les dispositions contestées tendent à encourager le recours aux énergies de réseau dans un but de protection de l'environnement. La différence de traitement qui en résulte, s'agissant des charges que l'organisme d'habitations à loyer modéré peut récupérer auprès de ses locataires, est en lien direct tant avec une différence de situation qu'avec l'objectif d'intérêt général que le législateur s'est assigné.
De la nécessité d’actualiser le cadre juridique des charges locatives d’habitation
Pour Philippe Pelletier, avocat, associé, et président du plan bâtiment durable : « ce nouvel épisode judiciaire des charges récupérables de chauffage interroge plus généralement sur le dispositif juridique des charges locatives d’habitation, devenu bancal, instable et pour tout dire, obsolète. Voilà, en effet, un corps de règles né d’une concertation locative menée en septembre 1974, qui perdure 40 ans après, alors que les services rendus aux locataires, comme les techniques de maintenance des installations de l’immeuble, se sont transformés durant toutes ces années sans que la liste des charges locatives récupérables par le bailleur sur le locataire ne soit adaptée. Il en résulte un grand désordre dans les relations locatives, qu’il est désormais impératif de voir traiter par les pouvoirs publics ». À bon entendeur…