« On rêve de singularité, mais la ville courante impose sa logique »

Ce qui me frappe dans les projets actuels d'aménagement, c'est qu'aux deux grandes perspectives qu'on avait connues jusque-là - l'utopie planificatrice, un peu platonicienne, des années 50 et 60, puis celle « réparatrice » des années 70 -, succède un pas à pas qui doit plus à Max Ernst qu'à Le Corbusier ou Neutra. D'où une étrange situation où les élus - maîtres du jeu - doivent élaborer des projets et où il leur faut mélanger deux attitudes contradictoires : l'une civilisatrice et d'inspiration communale (s'ils écoutent Bohigas), l'autre aristocratique, rêvant de métropoles si possibles un peu plus sauvages (s'ils se fient à Koolhaas). On avait, jusque-là, la Ville européenne, on a le rêve d'une singularité totale : Frank Gehry à Bilbao, la « figue » de Peter Cook à Graz, Lille et la tour penchée de Christian de Portzamparc . Là où les choses se gâtent c'est quand la ville courante nous impose sa logique. On voudrait de la densité, mais les projets géographiques sont absents du débat ; on rêve de plans plus libres (Almere aux Pays-Bas et le projet échevelé dessiné par Koolhaas), mais on joue au milieu de secteurs qui les contredisent à chaque pas ; on cherche à faire muter les grands ensembles, mais il n'y a pas depuis vingt ans le plus petit début de réflexion sur les qualités à donner au logement social. Le fantastique que nous souhaitons côtoie donc une métropole fade que l'on cherche à contrer - et c'est une autre piste - par une architecture diaphane. Un nouvel élémentarisme (les containers minimalistes des architectes hollandais....), sans doute plus prometteur, mais qui ne trouve à s'adresser à aucun grand projet territorial. C'est tout le problème que posait, l'an dernier à Bordeaux, l'exposition Mutations : son calvinisme est un peu court et les droits de l'individu n'y dépassent pas celui d'aller de Darty à Conforama. Quant à la Terre, aux espaces qu'il faudrait dessiner, préserver ou bien densifier par endroits, elle n'y est qu'un diagramme.