Au sein du Pôle de compétitivité Fibres-Énergivie, réseau dédié aux matériaux et bâtiments durables, le Groupe de travail sur la qualité de l'enveloppe (GTQE) réunit des industriels, bureaux d’études, assureurs et organismes professionnels*. Il vient de dévoiler la deuxième édition de son livre blanc, intitulé « Pas de neutralité carbone sans une isolation globale et performante ». Actualisé face aux nouveaux enjeux climatiques et énergétiques, le document de 35 pages alerte sur l’urgence à décarboner les bâtiments, un levier d’action incontournable pour espérer atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour rappel, en France, les bâtiments représentent 40 % de l’énergie consommée et 18 % des émissions de gaz à effet de serre.
Des mesures gouvernementales insuffisantes
« Décarboner les bâtiments est d’autant plus urgent que la situation internationale a mis en exergue les limites de notre modèle dépendant des énergies fossiles étrangères et amplifié la précarité énergétique », déclare Philippe Boussemart, directeur général de Sto France et président du Mur Manteau. « Des mesures structurelles fortes sont plus que jamais attendues. Les dernières tentatives législatives et réglementaires n’ont pas enclenché de véritable dynamique. Elles sont insuffisantes pour endiguer la crise climatique, énergétique et sociale. Aujourd’hui, 86% des travaux engagés ne concernent que de simples gestes de rénovation et ne sont pas compatibles avec la performance finale recherchée. »
Le livre blanc 2023 rappelle que le Gouvernement a choisi d’ériger au rang de priorité le remplacement des systèmes de chauffage et le recours aux pompes à chaleur. «Aujourd’hui, il n’y a pas d’objectif global clair avec le dispositif MaPrimRénov, qui privilégie la rénovation par gestes au lieu d’agir sur le bâti : 70 % des aides vont vers le chauffage, seules 21 % sont destinées à l’isolation»regrette Raphaël Kieffer, directeur général de Schöck France. Or une étude Enertech le rappelle, « l’installation de PAC en substitution de chaudière ne peut fonctionner correctement qu’accompagnée d’une rénovation de bâtiment au niveau BBC a minima. » Et si le renforcement de l’isolation représente un coût supplémentaire, l’opération conduit à des retours sur investissements importants, tant en rénovation que dans le neuf.
Des ponts thermiques toujours mal traités avec la RE 2020
Concernant les constructions neuves, le GTQE déplore encore la mauvaise qualité d’isolation. Les exigences réglementaires ne sont pas toujours respectées, l’isolation de l’enveloppe n’est pas homogène et de multiples ponts thermiques subsistent. Raphaël Kieffer insiste sur le mauvais traitement de ces derniers : « La RE 2020 souffre d’une stagnation des niveaux d’exigences sur les ponts thermiques. Il est encore possible de construire des passoires thermiques, des bâtiments avec une isolation thermique par l’extérieur sans traitement des balcons et acrotères, sources des plus grosses déperditions. L’objectif de moyens devrait être transformé en objectif de résultat, en réduisant la valeur psi de 0,6 à 0,4 W/ml.K. »
En conséquence de ces défauts d’isolation, les performances énergétiques réelles des bâtiments neufs ne correspondent pas aux calculs théoriques. « Nous avons mené des études pour mesurer les divergences entre les chiffres des simulations et la réalité. Les écarts sont importants, avec des performances réelles jusqu’à deux fois moindres qu’en simulation » affirme David Corgier, cofondateur du bureau d’ingénierie Manaslu.
Un suivi des opérations inexistant
Le groupe de travail indique par ailleurs que les consommations de chauffage n’auraient pas baissé dans le neuf malgré l’application des RT 2012 et RE 2020. Il pointe les carences en formation, le manque de retours d’expériences et la non-mutualisation des connaissances. Pour David Corgier, « il est nécessaire de faire évoluer les pratiques théoriques, notamment par la mutualisation numérique des outils et des ressources, pour le neuf comme pour la rénovation. Il faut former, informer, partager au niveau national tous les outils existants, de Profeel, de l’AQC, etc. »
Parallèlement, le GTQE milite pour introduire une garantie de résultats grâce au «commissionnement», une démarche de suivi de qualité tout au long du projet, de la conception à l’exploitation. Cela se traduirait par une vérification systématique et complète de la performance thermique de la réalisation, tant en termes d’enveloppe que d’équipements techniques. Un sujet important face aux besoins de massification de la rénovation énergétique du parc de bâtiments français.
Autre problématique pointée par le livre blanc, et pour laquelle l’enveloppe joue un rôle fondamental, la qualité de l’air intérieur. Elle peut être fortement dégradée par l’humidité ou les moisissures, conséquences d’une mauvaise isolation ou de ponts thermiques non traités. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) estime entre 14 et 20 % la part de logements français présentant des moisissures visibles. Un taux qui coïncide avec les 5,2 millions de passoires thermiques étiquetées F ou G, représentant 17 % du parc immobilier.
Quatre axes d’actions pour atteindre la neutralité carbone
En conclusion du livre blanc, le GTQE expose ses propositions de politiques publiques qui permettraient d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Ces recommandations se déploient en quatre axes :
- L’adoption d’un plan choc d’éradication des passoires thermiques avant 2034, avec notamment 500 000 rénovations globales par an, l’arrêt du "saupoudrage" des aides, la mise en place de zones expérimentales prioritaires (ZEP)…
- La création d’une Prime Travaux Combinés (PTC) instaurant des étapes de travaux et un ordre à respecter, pour atteindre le niveau BBC en résidentiel.
- La mise en œuvre d’une filière « Rénovation Énergétique Performante ».
- Le renforcement des exigences réglementaires de la construction neuve : augmenter le Bbio de 10 % par étapes, abaisser le psi de 0,6 à 0,4 W/ml.K, faire évoluer les méthodes de calcul, imposer le commissionnement, réinstaurer un label pour préfigurer la future réglementation.
Le livre blanc 2023 est téléchargeable sur le site du Pôle Fibres-Énergivie, fibres-energivie.eu.
*Sto, Schöck, Manaslu, Pouget Consultants, Le Mur Manteau, SNBVI, Aléarisque et Groupe Roederer
