Vue du Japon, la France fait figure de modèle, sur le chemin de la renaissance. Directeur de l’association des Artisans bâtisseurs en pierre sèche (ABPS), Benjamin Deceuninck en témoigne : « L’an dernier à la demande de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages du ministère de la Transition écologique, nous avons reçu une délégation issue de ce pays. La sauvegarde de son patrimoine de temples dépend de sa capacité à relancer ses compétences artisanales ».
Lauziers et bâtisseurs
De 2016 à 2022, deux premiers programmes pluriannuels soutenus par l’Etat, via le commissariat du Massif Central, ont nourri la notoriété de l’ABPS, comme cheville ouvrière de la renaissance de la filière française. L’association basée à Ventalon-en-Cévennes (Lozère) a coordonné plusieurs dizaines d’actions au service de deux métiers : le sien propre, centré sur la construction de murs, et celui que porte l’association sœur des Artisans lauziers couvreurs (ALC), également établie en Lozère, à Chastel-Nouvel.

Toiture en lauze remise à neuf dans un hameau proche de Florac (@LM)
Le tandem associatif a inspiré l’acronyme des deux premiers programmes, puis du troisième, engagé en 2023 : après Laubamac pour Lauziers et bâtisseurs du Massif central entre 2016 et 2019, Laubapro a pris le relais de 2019 à 2022 pour professionnaliser la filière. Jusqu'en 2026, Laubaéco cherche à donner une assise nationale et une pertinence économique à la renaissance.
Espoir routier
Au service de cet objectif, l’ABPS compte sur la publication, à la fin de cette année, d’une étude sur le marché potentiel. Benjamin Deceuninck en dévoile quelques chiffres clés : « Le réseau national de routes non concédées de l’Etat comprend 185 000 m2 de murs de soutènement en pierre sèche. Pour les départements, on estime qu’il faut multiplier ce chiffre d’un facteur huit à dix. Et nous avons un gisement de 20 km sous nos pieds… ».
L’accès aux marchés d’entretien de ce patrimoine constitue l’enjeu clé de Laubaéco. Le frein principal se situe du côté des acheteurs publics. Pour le débloquer, l’ABPS a identifié dans le département de Haute-Garonne un allié de poids : « Grâce à une convention renouvelée chaque année par cette collectivité, le choix de la pierre sèche devient de moins en moins expérimental. La mise en place d’un écosystème de bureaux d’études renforce l’efficacité du dispositif », se réjouit Benjamin Deceuninck.

Devant l'école de la pierre sèche, au hameau de L'Espînas, à Ventalon-en-Cévennes (@LM)
Deux chantiers de règles professionnelles
Derrière la Haute-Garonne, l’ambition de l’ABPS se cristallise sur les programmes pluriannuels d’investissement des départements. Pour stimuler leur intérêt, les parties prenantes de Laubaéco ont mis en chantier un guide de la prescription. Elles s’appuient pour cela sur les forces vives de l’ingénierie publique et privée des infrastructures, rassemblées dans le projet national de recherche collaborative Dolmen, acronyme de Développement d’outils et de logiciels pour la maçonnerie existante et neuve. Outre les donneurs d’ordre routiers, ce cadre offre à la pierre sèche l’occasion de retrouvailles historiques avec la SNCF.
La mise en confiance des maîtres d’ouvrage passe par des règles professionnelles. Accompagnés par le centre technique des matériaux naturels de construction pour des essais d’étanchéité, les lauziers couvreurs comptent boucler la première édition des leurs avant la fin de Laubaéco. Alors que depuis 2017, les règles professionnelles « Techniques de construction des murs en pierre sèche » encadrent une partie de leur savoir-faire, les artisans bâtisseurs posent les jalons d’une nouvelle étape.
Neutraliser l'argile
Leur ambition dépasse l’actualisation du premier document, centré sur les terrasses et les clôtures : « Nous étendrons les règles aux murs clavés et courbes, ainsi qu’aux soutènements routiers », annonce Benjamin Deceuninck. Comme la première édition, la seconde se nourrira de travaux de recherche appliquée. L’Ecole nationale des ponts-et-chaussées encadre une thèse et définit le protocole d’essais susceptible de ramener la pierre sèche vers les marchés de ponts.
Mais l’espoir d’une extension du domaine de l’assurabilité ne s’arrête pas aux infrastructures visibles : pour prouver les atouts de ses techniques dans la lutte contre les retraits et gonflements d’argile, l’ABPS négocie le financement d’un projet de recherche par le ministère de la Transition écologique, en partenariat avec l’Université Gustave Eiffel. La pierre sèche a déjà démontré les vertus de régulation hydraulique de ses terrasses. Ses promoteurs espèrent étendre la démonstration aux fondations.
Pour résumer l’enjeu global de Laubaéco, Benjamin Deceuninck prend du recul : « Il a fallu environ 80 ans pour oublier la culture de la pierre sèche. J’espère qu’il en faudra moins pour la relancer, mais je n’ai pas d’inquiétude : nous sommes sur une trajectoire de croissance, au moins jusqu’en 2050 ».