Plongée dans le cambouis de l’adaptation climatique

« Le sujet, maintenant, c’est mettre la main dans le cambouis ».Vice-président de la région Ile-de-France en charge de la transition écologique, Yann Wehrling a trouvé la formule qui fédère les acteurs de l’adaptation au changement climatique, réunis le 8 octobre à Paris par la Fabrique de la cité et Leonard, le think-tank et la plateforme de prospective du groupe Vinci.

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Bidonville Katmandou
Bidonvilles de Katmandou (Népal) submergés par des inondations, fin septembre 2024

« J’observe une prise de conscience forte. Les choses se mettent en marche ». Ce 8 octobre, le directeur du centre d’études et d’expertises sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) arrive du Pouliguen (Loire-Atlantique) avec des nouvelles réconfortantes récoltées au cours d’un séminaire co-organisé par son organisme et l’association nationale des élus du littoral (Anel).

Prise de conscience générale

« Une trentaine de collectivités riveraines des côtes ont restitué les acquis d’un appel à projets sur l’adaptation au changement climatique. Sur certains sites, elles choisissent de conforter leurs défenses. Ailleurs, elles laissent filer le recul du trait de côte », développe Pascal Berteaud. Mais à l’Anel, nul ne se laisse tenter par la procrastination et la remise des décisions urgentes à des jours meilleurs.

Au binôme formé par les ouvrages en dur et les solutions souples fondées sur la nature, le colloque du 8 octobre en a ajouté plusieurs autres, énumérées d’entrée de jeu par Céline Acharian, directrice générale de la Fabrique de la Cité et philosophe de formation : « Sciences dures et sciences molles, acteurs de terrain et théoriciens, décisions immédiates en vue d’un engagement durable »…

Une arlésienne nommée Pnacc 3

Directeur de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, Antony Briant enfonce le clou : « L’adaptation nous oblige à changer notre manière de faire de la recherche, en vue de sa transformation en action ». Il identifie l’émergence d’une nouvelle génération d’ingénieurs : « Personne ne peut plus décider seul dans son coin. Les solutions doivent résulter de débats contradictoires ».

L’élan des ingénieurs et des philosophes se heurte pourtant à l’inertie symbolisée par un sigle : le Pnacc 3, arlésienne présente dans tous les esprits rassemblés par la Fabrique de la Cité, de même que sa déclinaison dans la Tracc. La dissolution de l’assemblée nationale a privé l’ancien ministre de l’écologie Christophe Béchu de l’opportunité de lancer et de conduire le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc 3), ainsi que la trajectoire de réchauffement de référence (Tracc).

Une sidération mobilisatrice

Mais Pascal Berteaud n’en doute pas : « Le gouvernement va le sortir, vite, et c’est tant mieux ». Parmi les effets immédiats, son espoir se concentre sur le guichet unique qui donnera aux collectivités un accès direct aux acteurs clés de l’ingénierie nationale de l'adaptation, à commencer par l’Ademe et le Cerema. Mais la vitrine institutionnelle, à elle seule, ne suffira pas à donner corps à la formule proposée par Adèle Tanguy, chercheuse spécialisée dans l’adaptation à l’institut du développement durable et des relations internationales : « Opérationnaliser le Pnacc 3 ».

Pour Johan Ransquin, directeur de l’adaptation, de l’aménagement et de la trajectoire à l’Agence de la transition écologique (Ademe), les travaux préparatoires du premier semestre de cette année facilitent la propagation de l’élan : « La perspective d’un réchauffement de + 4°C a créé un effet de sidération, une pression pour agir », se réjouit-il.

Le Fonds Erosion à l’épreuve de la loi

Fatalement, le thème de l’opérationnalisation conduit à s’interroger sur les moyens financiers. Là encore, les territoires littoraux ouvrent une voie, incarnée par Sophie Panonacle : députée de la Gironde, présidente du comité national du trait de côte et grand témoin du colloque du 8 octobre, elle propose la création d’un Fonds Erosion côtière, au profit des 343 communes listées dans un décret d’application de la loi Climat & Résilience sur les littoraux

Trois sources l’alimenteraient : les droits de mutation à titre onéreux, un quota de la taxe éolienne en mer et une surtaxe prélevée sur les plateformes d’hébergement touristique. La députée espère l’inscription de ces dispositions dans la prochaine loi de finances.

Les limites de la monétarisation

Cette proposition ne suffit évidemment pas à clore le débat financier ouvert par l’adaptation au changement climatique. L’économiste Patrice Geoffron laisse sur leur faim les 36 000 communes de France, soucieuses d’adapter leur patrimoine : « Il est difficile de monétariser les bienfaits liés aux investissements dans ce domaine. Alors que les infrastructures de transport bénéficient des péages, le patrimoine communal ne peut que s’appuyer sur une orientation des fonds publics qui privilégierait les cibles que le secteur privé ne peut pas financer », analyse le professeur à l’université Paris-Dauphine.

Ce raisonnement a présidé à la création du Fonds Vert, dont la diminution annoncée entretient l’inquiétude des collectivités. « Sans stabilité dans les outils financiers, on n’y arrivera pas », prédit Yann Wehrling, vice-président de la région Ile-de-France.

Un chaînon manquant, entre projet et plan

Plus que sur l’obstacle financier, les gestionnaires d’autoroutes buttent sur les effets de bord. Dans les Alpes-Maritimes, le franchissement du ruisseau de la Brague par l’A 8 en offre un exemple frappant, depuis les deux crues trentennales qui sont survenues en huit jours, entre la fin novembre et le début décembre 2019 : « Pour restaurer la transparence hydraulique, l’extraction des embâcles offre une solution non durable à 2000 €, tandis que la reconstruction du tronçon résoudrait le problème pour une facture de 200 M€, y compris l’infrastructure provisoire à mettre en place durant le chantier », calcule Blaise Rapior, directeur général adjoint de Vinci Autoroutes.

Mais quel effet ce retour durable à la transparence hydraulique produirait-il sur les quartiers situés à l’aval ? Les études en cours n’ont pas encore apporté de réponse satisfaisante pour toutes les parties prenantes. « La complexité de l’adaptation se trouve dans ce chaînon manquant entre l’échelle du micro-projet et celle de la planification locale », conclut Blaise Rapior. Son analyse spatiale complète l'équation temporelle du secrétariat général à la planification écologique : « L’adaptation consiste à la fois à répondre aux crises et à se projeter dans le très long terme », expose son directeur du programme énergie et climat, Joseph Hajjar.

Le retour de l’humain

Dans l'espace comme dans le temps, le chaînon manquant porte un nom : la coordination, troisième et dernière clé de l’adaptation, selon le directeur Adaptation, aménagement et territoire de l’Ademe. Johan Ransquin place cette exigence après celles de l’anticipation et de l’adossement aux réalités locales. La coordination révèle la part finalement prépondérante de l’humain, dissimulée au fonds du Pnacc 3 et de ceux qui suivront.

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