Jurisprudence

Prescription et vices cachés : le délai ne court pas si l’action n’est pas née

L’action récursoire contre un vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés ne peut être enfermée dans le délai de prescription courant à compter de la vente initiale, énonce la 3e chambre civile de la Cour de cassation dans sa décision du 8 février 2023.

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Prescription
Délais de prescription
Marchés privés

Des particuliers confient à un entrepreneur le lot « électricité – ventilation » de la maison d’habitation qu’ils font construire. Celui-ci pose une ventilation mécanique contrôlée (VMC), vendue par une deuxième société et fabriquée par une troisième entreprise. La VMC comportait notamment une carte électronique fabriquée par une quatrième entreprise. Après un incendie dans les combles de la maison et des opérations d’expertise, les maîtres d’ouvrage assignent leur assureur « multirisques » ainsi que ces quatre entreprises et leurs assureurs.

Chaîne de contrats

L’intérêt de cet arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de cassation tient à l’analyse du délai de prescription de l’action en garantie des vices cachés en matière de chaîne de contrats.

Concernant une vente conclue avant 2001, et antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, l'action en garantie des vices cachés devait être exercée « dans un bref délai » à compter de la découverte du vice et les actions récursoires de l’entrepreneur, du vendeur et du fabricant, fondées sur la garantie des vices cachés, étaient encadrées par le délai de prescription de droit commun de dix ans courant à compter de la vente initiale. Les auteurs du pourvoi (le vendeur et le fabricant) plaidaient l’irrecevabilité du recours contre eux en raison de l'expiration d'un délai supérieur à dix ans entre la vente et l'assignation délivrée à leur encontre par l’entrepreneur. A tort, selon la troisième chambre, s’appuyant sur le principe selon lequel la prescription ne peut courir si l'action n'est pas née. L'entrepreneur ne peut ainsi pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui-même assigné par le maître d'ouvrage.

Droit d’accès au juge

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle retient que, d’une part, le point de départ du délai de l'article 1648, alinéa 1, du Code civil (garantie des vices cachés) est la date respective de l’assignation du poseur et du vendeur et, d’autre part, que le délai de l'article L.110-4, I (actions entre commerçants), pour lequel le Code de commerce ne donne pas de point de départ, est suspendu jusqu'à ce que la responsabilité ait été recherchée par le maître d'ouvrage. Par effet de cascade, cette dernière règle s’applique également au fabricant du matériel fourni.

Elle cite sa propre jurisprudence (Cass. 3e civ., 16 février 2022, n° 20-19047) pour l’affirmer et justifie sa position au moyen de deux arguments. Primo, l’impossibilité d’exonérer de sa responsabilité un constructeur en raison de vices affectant les matériaux qu’il met en œuvre, et secundo l’atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge.

Pression

En se positionnant de la sorte, la troisième chambre maintient sa pression, notamment à l’encontre de la première chambre civile, laquelle enferme l'action récursoire dans le double délai de prescription, de l’action en vices cachés de l’article 1648 al. 1 du code civil (deux ans de la découverte du vice) et de droit commun de cinq ans, tel que prévu à ce jour par l’article L.110-4 du code de commerce, à compter de la vente initiale (Cass. Civ. 1re, 6 juin 2018, n° 17-17438).

S’agissant de contrats conclus avant l'entrée en vigueur de la réforme de la prescription, la 3e chambre entendrait-elle rechercher un équilibre entre l'impératif de sécurité juridique et le droit d'accès au juge ? Elle donne sans doute une chance de pouvoir agir, au titre des vices cachés, au poseur de la VMC à l’encontre de son propre vendeur, et au fabricant de la VMC contre le constructeur des matériaux mis en œuvre.

Devant la 1re chambre, la solution aurait été différente et l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, cassé. Seul un arrêt de chambre mixte ou d’assemblée plénière pourra dès lors trancher entre les deux interprétations et donner la solution à retenir pour l’avenir. La chambre mixte, programmée le 16 juin prochain, harmonisera-t-elle les choses ? Si oui, dans quel sens ?

Cass. 3e civ., 8 février 2023, n° 21-20271, publié au Bulletin

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