Quand la nature empêche la démolition d’une construction illégale

Une cour d’appel a récemment refusé d’ordonner la démolition d’une construction illégale située dans un espace naturel remarquable du littoral corse. Motif des juges : le projet est désormais parfaitement intégré au site et ne nuit aucunement à l’environnement qui l’entoure...

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Corse - plage
La démolition d'une construction illégale dans un espace naturel remarquable du littoral corse n'est pas automatique.

Quand la nature reprend ses droits, le préjudice environnemental disparaît. Ainsi pourrait-on résumer l’arrêt de la cour d’appel (CA) d’Aix-en-Provence du 12 octobre 2020 par laquelle la juridiction maintient une jurisprudence restrictive en matière de démolition de constructions érigées au mépris des règles d’urbanisme. La cour affirme avec force que le juge reste libre d’apprécier le périmètre de la réparation intégrale du préjudice, loin des demandes de remise en état formulées par les requérants et alors que le site impacté est un espace naturel remarquable du littoral corse surplombant une plage considérée « comme l’une des plus belles d’Europe ».

Démolition à titre de réparation

Les faits constituent pourtant un modèle de violation flagrante des règles d’urbanisme. Par un permis tacite obtenu après annulation d’un refus, une société civile immobilière (SCI) a réalisé un projet de cinq villas avec piscine. A la suite d’un contrôle de l’administration sur le chantier, un procès-verbal de plusieurs infractions (construction en zone naturelle identifiée comme espace remarquable [zone NR], non-respect des plans initiaux prévus par le permis de construire...), a été dressé.

Deux associations se sont constituées parties civiles en vue de la démolition de l’ouvrage à titre de réparation. Le 8 février 2016, le tribunal correctionnel a condamné la SCI à une amende d’un million d’euros et à indemniser les parties civiles sans toutefois prononcer de mesure de destruction.

Par un arrêt du 5 juillet 2017, la cour d’appel a confirmé ce jugement et il faudra attendre un arrêt de cassation du 19 mars 2019 pour que la chambre criminelle juge que « ni l'adhésion des autorités publiques à la remise en état lorsqu'elle doit être ordonnée au titre de l'action civile, ni la sanction pénale prononcée au titre de l'action publique, n'étaient légalement de nature à limiter le droit des parties civiles à la réparation intégrale, sans perte ni profit, de leur préjudice » et que « la cour d'appel, qui ne pouvait en outre refuser de statuer sur le préjudice environnemental au seul motif que subsistant, il avait diminué, n'a pas justifié sa décision » (Cass. crim., 19 mars 2019, n° 18-80869). L’affaire fut renvoyée devant la CA d’Aix-en-Provence.

Définir les modalités les plus appropriées à la réparation

Cette dernière, articulant les principes de la réparation intégrale du préjudice, de l’appréciation souveraine et de l’exigence de proportionnalité des mesures prononcées, a considéré « que le principe d’une réparation intégrale du dommage n’impose pas au juge, de facto par un automatisme qui n’aurait aucune justification, d’ordonner la démolition que réclame une partie civile, mais de définir les modalités les plus appropriées à la réparation de celui-ci. ».

Ainsi, pour rejeter la demande de démolition, elle relève que les constructions réalisées en méconnaissance du permis étaient de moindre importance que celles autorisées initialement. Se fondant sur la déclaration du maire de la commune et sur le rapport d’un bureau d’études écologiques, elle estime qu’elles sont beaucoup moins visibles depuis les côtes et s’intègrent mieux dans le paysage.

Elle considère que le projet est désormais parfaitement intégré au site et ne nuit aucunement à l’environnement qui l’entoure. Plus encore, ordonner une démolition « entraînerait de nouvelles et graves atteintes à l’environnement sans certitude sur l’effet bénéfique escompté ».

Ainsi, si l’article L. 480-5 du Code de l’urbanisme prévoit bien la démolition des ouvrages ou la remise en état en cas d’infraction et si le juge a l’obligation de se prononcer sur la réparation intégrale du préjudice, ce n’est qu’en fonction de l’appréciation qu’il porte sur les faits et l’attitude de l’administration compétente (Cass. crim., 5 février 1985, n° 84-92609, publié ; Cass. crim.17 octobre 2000, n° 00-81434 ; Cass. crim. 3 novembre 2010, n° 10-80752, publié). La Cour de cassation a même censuré une cour d’appel qui énonçait qu’une mesure de démolition était impérative (Cass. crim., 19 octobre 2004, n° 04-82038). 

Travaux disproportionnés

Dans l’affaire ici commentée, le fait que la commune ne soit pas partie civile a certainement été déterminant. Les juges d’appel n’ont plus eu qu'à considérer que l’intégration paysagère de la construction illégale était réelle et, qu’au prix d’un effort substantiel d’aménagement, la végétation avait repris ses droits.

Mieux encore, ils ont estimé que le déplacement des constructions était plus judicieux au regard de la protection de la faune et qu’enfin, la remise en état supposerait des travaux disproportionnés au coût exorbitant et entraînant des nuisances nouvelles et graves encore plus préjudiciables au milieu. La cour d’appel considère donc le préjudice environnemental réparé par la reconquête du site par la végétation, laquelle tend à faire disparaître l’ensemble immobilier. Quant au retour à l’état initial, il est péremptoirement jugé illusoire.

L’atteinte à l’environnement jugée secondaire

La formulation rejetant tout automatisme de la démolition n’est pas nouvelle, la Cour de cassation ayant déjà jugé le caractère non nécessaire de la remise en état des lieux dès lors que la construction respectait le style d’origine et n’était pas en désaccord avec l’environnement (Cass. crim., 12 juin 2019, n° 18-81.874 publié ; Cass. crim., 23 juin 2020, n° 19-81.106). Le juge est libre de prendre la mesure la plus adéquate permettant la réparation et n’est nullement contraint d’imposer une démolition. La jurisprudence est donc confirmée mais manifestement hermétique à toute réflexion sur la nature du préjudice environnemental.

La remise en état reste ainsi marginalisée par les juridictions. Sous couvert de l’application de principes juridiques indiscutables, cet arrêt, qui concerne pourtant une infraction pénale franche sur des espaces naturels protégés et exceptionnels illustre parfaitement que l’atteinte à l’environnement n’est encore considérée que comme secondaire.

CA Aix-en-Provence, 12 octobre 2020, n° 2020/260

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