Simplification de l'acte de construire ?
La promotion de la préfabrication
Les modes alternatifs de construction s'inscrivent de plus en plus dans notre paysage.
Les constructions en bois en sont la meilleure illustration. Si les projets de grande ampleur (à l'instar du centre commercial tout en bois livré au printemps 1 ) sont restés jusqu'à présent confidentiels, un nouvel essor se profile désormais avec, notamment, l'annonce de 36 immeubles de moyenne et grande hauteur en bois (qui seront les premiers IGH bois) un peu partout en France.
Un autre procédé apparaît aujourd'hui, aussi révolutionnaire qu'expérimental : les constructions numériques, en « 3D », avec pour uniques exemples, dans les travaux publics, la pose d'un regard d'assainissement à Roubaix 2 et, dans le logement à ce jour en France, la première maison d'habitat social construite au début de cette année pour Nantes Métropole Habitat3 .
Mais c'est à un troisième procédé, qui n'en est plus à ses balbutiements, que s'intéresse le projet de loi ELAN : la préfabrication appréhendée sous le prisme des maisons individuelles, dont les avantages sont indéniables : empreinte carbone réduite du fait de l'économie de béton, absence de troubles anormaux de voisinage liés au chantier et, surtout, rapidité de construction. Outre-Atlantique, les maisons préfabriquées sont vendues sur catalogue aux termes duquel est proposée la livraison de maison de style, au choix, champêtre, classique ou contemporain, en 100 jours.
En dernier état, le projet de loi a hélas réduit ses ambitions en supprimant la définition de la préfabrication prévue à son article 19 qui devait inscrire un nouvel article L. 111-1-2 au Code de la construction et de l'habitation (CCH) 4 pour la remplacer par une ligne directrice pour le gouvernement qui est habilité à légiférer, par voie d'ordonnance, pour définir à la fois la maison préfabriquée mais aussi le régime juridique lui étant applicable.
La préfabrication est donc actée, mais son régime reporté.
Pour l'heure, au regard des travaux de la conférence de consensus sur le logement 5, il semble que l'adaptation envisagée portera sur les échéanciers de paiement afin de les adapter à la construction en préfabrication qui nécessite des financements plus tôt dans le processus de construction.
Le développement de la préfabrication reste néanmoins assuré pour les maisons individuelles et son champ a vocation à s'élargir : une tour de 57 étages « J57 » 6 a été érigée en Chine en 2015, par un assemblage de modules préfabriqués, en 19 jours.
La définition de la préfabrication a donc vocation à revenir sur le devant de la scène législative et, dans cette optique, l'analyse de feu l', qui consistait en une redite de l'article 1792-27, appliqué aux éléments préfabriqués. En effet, le dernier alinéa de l'article susvisé reprenait exactement le dernier alinéa de cet article 1792-2 en remplaçant les « éléments d'équipements » par les « éléments préfabriqués ».
Des désordres affectant des bâtiments préfabriqués pourraient donc conduire à la mobilisation de la responsabilité décennale des constructeurs. Toutefois, le fabricant n'étant pas un constructeur 8, sa responsabilité pourrait être mise en œuvre sur le fondement de l'exception législative consacrée par l' relatif aux « équipements pouvant entraîner la responsabilité solidaire » qui dispose que le fabricant d'EPERS est tenu des responsabilités légales des constructeurs. Le déploiement de la préfabrication laisse ainsi présager une recrudescence de l'application de cet article.
L'adaptabilité de l'habitat
Si l'accessibilité à tous à un logement est un objectif rassembleur et primordial, les moyens d'y parvenir mis en œuvre jusqu'à présent sont en revanche décriés. Le projet de loi ELAN semble tirer les conséquences des multiples critiques portées aux précédents législatifs et réglementaires relatifs à l'accessibilité des logements aux handicapés, ainsi résumées par Emmanuelle Colboc : « la bienveillance d'une règle qui fabrique des logements inadaptés pour tout le monde et qui ne donne pas satisfaction aux handicapés» 9 .
Il ne s'agirait plus de figer et de généraliser. Il s'agirait de s'adapter à la vie et donc au vieillissement afin d'éviter que les appartements deviennent obsolètes mais, au contraire, qu'ils vieillissent avec leurs occupants.
L'article 18 du projet de loi ELAN prévoit en conséquence de modifier l' pour porter le quota de logements accessibles aux personnes handicapées à 10 % des constructions neuves. En parallèle, les logements devront être « évolutifs ». Pour l'heure, cette nouvelle catégorie de logements est ainsi définie : les logements évolutifs sont ceux qui pourront être rendus accessibles à l'issue de « travaux simples », qui ne sont pas définis. En pratique, l'idée consiste à éviter ce type de situations : un appartement respectant les règles pour les personnes à mobilité réduite bénéficie de place pour la giration des fauteuils, qui est autant d'espace sans rampe, dont aura besoin une personne âgée.
Cette évolution ouvre le champ des possibles à l'imagination des architectes.
Mais elle se heurte également à une mobilisation contestataire forte, sur laquelle le Conseil d'État 10 a attiré l'attention du gouvernement. Selon lui, il y a « nécessité d'une clarification des dispositions de la section III du chapitre Ier du titre Ier du CCH (…) dont la rédaction actuelle ne s'avère pas, au regard de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, satisfaisante ». Cette critique est relayée par la forte mobilisation des associations de personnes handicapées et notamment l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs (ANPIHM) qui craint une pénurie de logements accessibles : « la possible réalité cruelle à laquelle les personnes dites handicapées, et bien au-delà, devront faire face si d'aventure le pouvoir va au bout de ses intentions en matière de révision des normes d'accessibilité du cadre bâti d'habitation ».
Aussi, un recours sur l'actuel article 18 de la loi Elan apparaît très vraisemblable.
À noter que la dynamique de cet article, qui consiste également en un allègement des règles et normes, n'est pas sans rappeler le projet de loi « confiance » dont un des deux objectifs rejoint celui de la loi ELAN, à savoir « faire simple » en allégeant les démarches et les normes.
Régénération et sécurisation de la VEFA
L'article 22 du projet de loi ELAN, qui traite de la modernisation de la vente en l'état futur d'achèvement (VEFA), emporte à ce stade des critiques unanimes à la fois négatives sur l'invention de la faculté offerte à l'acquéreur de devenir maître d'ouvrage de certains travaux et positives sur les compléments du régime de la garantie d'achèvement.
L 'achèvement « sur mesure » : simplification ou complexification ?
Le projet de loi ELAN propose une nouvelle variante de VEFA, qualifiée de « vente en l'état futur d'inachèvement », à inscrire à l'. L'innovation ne réside pas dans le principe de ce nouveau type de vente qui s'inspire de la proposition de loi de l'automne 2011, qui avait fait long feu, mais dans ses modalités. Il ne s'agit plus désormais de vente d'appartements « prêts à aménager » bruts de décoffrage (comprenant hors d'eau/hors d'air, avec arrivée des fluides) mais plutôt d'appartements « prêts à parachever/fignoler ». L'idée directrice reste toutefois la même : faciliter l'accession à la propriété en offrant ici une liberté à l'acquéreur qui pourra moduler le prix de vente en intervenant sur le standing plus ou moins élevé de « certains travaux de finition ou d'installation d'équipements qu'il se procure par lui-même ».
Ce spectre d'intervention, défini et réduit, interroge sur l'ampleur des économies potentielles et, en conséquence, sur la pertinence de la mesure.
Mais peut-il en être autrement ?
Laisser la main à l'acquéreur sur des travaux plus lourds entraînerait en cascade des coûts plus lourds à sa charge (travaux en eux-mêmes mais aussi frais d'architecte, souscription d'assurances, etc. ) et pourrait être un obstacle à la mobilisation de la responsabilité légale des constructeurs, qui n'est d'ailleurs pas totalement écartée en l'occurrence.
En effet, l'intervention d'un tiers sur un ouvrage constitue la cause étrangère la plus fréquemment opposée par les constructeurs pour éviter la responsabilité de plein droit qui leur incombe aux termes de l'. Par ailleurs, la ligne de partage entre les garanties de bon fonctionnement des biens d'équipement ainsi que de parfait achèvement (articles et du Code civil) dues par les entreprises du maître d'ouvrage « général » (vendeur) et du maître d'ouvrage « particulier » (acquéreur) risque d'être difficile à tracer. Quant à l'assureur dommages-ouvrage, quels travaux lui seront décrits pour définir le champ de sa garantie ?
Des difficultés pratiques pourraient également poindre. Les travaux de l'acquéreur devront pouvoir s'inscrire dans le planning général des travaux du vendeur, ce qui suggère un phasage précis à déterminer avec le maître d'œuvre de l'opération, en sachant que d'un point de vue juridique, ces interventions nécessiteront de prévoir éventuellement une mise à disposition anticipée et en tout état de cause une définition de l'achèvement, qui variera pour chaque lot, en fonction du choix de chaque acquéreur sur ses travaux, qui doit en outre être précoce. L'article 22 dispose en effet que l'acquéreur opère son choix dès le contrat préliminaire.
Si la nécessité d'avoir cette information au plus tôt est compréhensible afin de fixer le prix du logement, il est toutefois complexe de demander à un acquéreur de se positionner sur des travaux de second œuvre dans leur nature et leur quantum alors que le maître d'ouvrage ignore le plus souvent à ce stade les modalités concrètes de l'opération, qui peut, au surplus, ne pas voir le jour 11!
Un mécanisme en plusieurs temps serait plus réaliste : engagement sur un principe de travaux, puis affinage des caractéristiques des travaux et de leur quantum. En outre et en tout état de cause, cette nouvelle possibilité impose une obligation d'information réciproque entre le vendeur maître d'ouvrage et l'acquéreur.
Enfin, cette possibilité appelle une réflexion plus générale : à l'heure de la maison connectée et des règlementations thermiques, n'est-il pas contre-productif de laisser à l'acquéreur des travaux sur des biens d'équipement qui pourraient remettre en cause la cohérence domotique et l'équilibre thermique de l'immeuble ou tout au moins décrédibiliser ses performances ? N'y a-t-il pas un risque de remise en cause de l'obtention de labels et in fine de création d'appartements à deux vitesses pouvant disqualifier l'ouvrage général ?
L'achèvement mieux garanti
Le projet de loi ELAN propose de poser une nouvelle pierre à l'édifice de la garantie financière attachée à la VEFA (désormais exclusivement extrinsèque 12, pouvant être une garantie soit de remboursement soit d'achèvement) en comblant le vide juridique auquel les garants sont confrontés jusqu'à présent.
C'est à la garantie d'achèvement que le projet de loi consacre un nouvel qui répond, dans un premier temps, aux deux questions essentielles suivantes : qui peut mobiliser la garantie d'achèvement et quand ?
Les réponses étaient attendues au regard des errements jurisprudentiels intervenus 13: c'est à l'acquéreur de l'immeuble qu'il appartient de mobiliser cette garantie « en cas de défaillance financière du vendeur caractérisée par une absence de disposition des fonds nécessaires à l'achèvement de l'immeuble » ; le garant est par ailleurs le seul fondé à exiger des acquéreurs le paiement du prix de vente.
Après cette clarification heureuse, une innovation non moins heureuse.
Un nouveau mécanisme « d'administrateur ad hoc » est créé, qui devrait permettre de construire mieux : le garant, dépourvu de compétence de maîtrise d'ouvrage, pourra se faire assister d'un professionnel, disposant de toutes les compétences nécessaires pour prendre le relai du maître d'ouvrage défaillant. Si l'article ne prévoit pas les compétences que devra présenter cet « administrateur ad hoc », il le qualifie toutefois indirectement de constructeur, en l'obligeant à souscrire une police d'assurance de responsabilité civile décennale dite « CNR » 14, sa qualification « ad hoc » renvoyant quant à elle au nécessaire recours à un professionnel de l'immobilier. Un décret d'application sera néanmoins bienvenu pour encadrer cette nouvelle catégorie de constructeur.
Bien qu'il s'agisse d'une faculté de recours à sa charge, le garant choisira probablement le plus souvent cette désignation, qui interviendra par ordonnance sur requête.
À noter que ces avancées textuelles (issues de la réflexion d'un groupe de travail pour la Fédération bancaire française) sont complétées par deux modèles l'une pour les ventes d'immeuble dans sa globalité l'autre pour les , que les fédérations incitent à utiliser, également dressés par ce groupe de travail.
Reste toutefois une incertitude instillée par un autre alinéa de l'article 22 lui-même, relative à la fin de la garantie matérialisée par l'achèvement de l'immeuble. Si jusqu'à présent la référence à l'achèvement, défini à l' 17, permettait d'éviter toute difficulté sur la fin de la garantie, comment l'achèvement sera-t-il géré avec de multiples achèvements différents ?
En conclusion, si l'impact du projet de loi ELAN sur le droit de la construction est faible, les sujets abordés auront des retentissements plus larges, car construire plus, mieux et moins cher, n'est pas le seul apanage du logement.
1 Centre commercial Marques Avenue dans les Yvelines, livré en mai 2015.
2 Travaux menés par Point.P Travaux Publics, la Sade et XtreeE pour la Métropole Européenne de Lille (MEL)
3 Projet Yhnova, lancé dans le cadre de Nantes City Lab.
4 « La préfabrication consiste à concevoir et à réaliser un ouvrage à partir d'éléments préfabriqués sur un site de production distinct du chantier sur lequel il sont assemblés, installés et mis en œuvre. Ces éléments préfabriqués font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos et de couvert de la construction et peuvent intégrer l'isolation et les réserves pour les réseaux divers »
5 Instance de dialogue proposée par Gérard Larcher et acceptée par le Président de la République le 23 novembre 2017, afin d'éclairer le débat public et de recueillir les contributions des acteurs, en vue de l'enrichissement du futur projet de loi et du débat parlementaire.
6 Maître d'ouvrage : Broad Sustainable Building
7 « (…) Un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage ».
8 Au sens de l' et comme l'a rappelé récemment la Cour de cassation : .
9 Emmanuelle Colboc, architecte DPLG in Lettre ouverte à Benoist Apparu, Le Courrier de l'Architecte, 23 mars 2011 10 Avis du Conseil d'État du 29 mars 2018.
11 .
12 Ces garanties n'ont cessé d'évoluer depuis leur création en 1967 ; ainsi la garantie intrinsèque a été supprimée par l' issue de la (pour un point complet sur les garanties d'achèvement et de remboursement dans les VEFA : Opérations immobilières n°98, septembre 2017) 13 Sur le garant qui doit mobiliser la garantie : .
14 Constructeur Non Réalisateur, .
15 Téléchargeables sur le site : www.lemoniteur.fr/GFA.
16 Groupe de travail mené par Jean-Michel Berly.
17 « L'immeuble vendu à terme ou en l'état futur d'achèvement est réputé achevé au sens de l', reproduit à l'article L. 261-2 du présent code, et de l'article L. 261-11 du présent code lorsque sont exécutés les ouvrages et sont installés les éléments d'équipement qui sont indispensables à l'utilisation, conformément à sa destination, de l'immeuble faisant l'objet du contrat. Pour l'appréciation de cet achèvement, les défauts de conformité avec les prévisions du contrat ne sont pas pris en considération lorsqu'ils n'ont pas un caractère substantiel, ni les malfaçons qui ne rendent pas les ouvrages ou éléments ci-dessus précisés impropres à leur utilisation. La constatation de l'achèvement n'emporte par elle-même ni reconnaissance de la conformité aux prévisions du contrat, ni renonciation aux droits que l'acquéreur tient de l', reproduit à l'article L. 261-5 du présent code, et de l›. »
