Jurisprudence

Référé précontractuel Un recours plus difficile pour le candidat évincé

L’arrêt du Conseil d’Etat « Smirgeomes » du 3 octobre 2008 a profondément modifié le référé précontractuel, en donnant davantage de latitude au juge administratif. D’un recours objectif dans lequel tout manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence conduisait à l’annulation de la procédure, le référé précontractuel est devenu un recours plus subjectif. Il est désormais difficile d’identifier les manquements susceptibles d’emporter la conviction du juge.

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Marchés publics
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2008/10/03N°305
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2009/03/06N°321
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2008/12/22N°311
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2008/11/05N°310
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2009/03/06N°321
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2009/03/06N°315
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2008/12/22N°311
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2008/12/15N°310
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2009/04/01N°315
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2008/12/15N°310
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2009/04/01N°321
Tribunal administratif (TA)Décision du 2008/12/03N°0818
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2009/03/06N°314

Le référé précontractuel a connu en quelques mois des modifications importantes : celles induites par l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 octobre 2008, « Smirgeomes » (n° 305 420) et celles relevant de l’ relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (contrats pour lesquels une consultation a été engagée à partir du 1er décembre 2009). Cette ordonnance ne remet pas en cause le contrôle opéré par le juge depuis l’arrêt « Smirgeomes », contrôle qui constitue désormais la clef de cette procédure.

Peu de moyens voués au rejet systématique

Depuis cet arrêt, la tâche du requérant est rendue plus complexe. Il doit, en effet, apporter la preuve que le manquement aux obligations de publicité ou de mise en concurrence invoqué est susceptible de l’avoir lésé ou risque de le léser. Or, les moyens dont il dispose n’ont pas été étendus : il ne peut toujours pas accéder aux documents de la procédure de passation ().

Par ailleurs, les chances de succès de ce recours sont devenues beaucoup plus aléatoires. Auparavant, l’issue du référé précontractuel était prévisible lorsque des irrégularités formelles étaient soulevées. Les requérants avertis disposaient de check-lists qui leur permettaient de connaître, dans la majorité des cas, dès le lancement de la procédure, les chances de succès d’un recours ultérieur.

Aujourd’hui, il serait illusoire de penser pouvoir identifier les manquements opérants. En effet, hormis de très rares moyens qui semblent voués à l’échec, le caractère opérant des manquements dépend de plusieurs facteurs qui nécessitent une appréciation au cas par cas. Le commissaire du gouvernement, Bertrand Dacosta, indiquait sur l’arrêt « Smirgeomes » qu’« aucun manquement ne serait, en lui-même neutralisé » (BJCP, 2008, n° 61, p. 451).

Deux moyens relatifs à la publicité semblent toutefois voués à un rejet certain pour absence de lésion potentielle du requérant : l’omission ou l’erreur concernant la mention sur l’accord sur les marchés publics et les mentions relatives à la commission d’appel d’offres (date et heure de la séance) (notamment ). Pour les autres moyens, l’issue dépendra de la réunion de plusieurs facteurs.

Les grandes lignes de la jurisprudence

L’entreprise requérante doit démontrer qu’elle est susceptible d’avoir été lésée ou risque d’être lésée par le manquement qu’elle invoque. Le Conseil d’Etat a fixé deux critères cumulatifs permettant d’apprécier cette lésion potentielle : la portée du manquement et le stade de la procédure.

A partir de ces deux critères, il est possible de fixer les grandes lignes des décisions jurisprudentielles.

Le requérant dont la candidature était irrecevable n’est pas susceptible d’être lésé par les manquements reprochés, hormis ceux directement liés à la contestation de cette irrecevabilité (ordonnance du TA de Versailles, 6 mars 2009, « Société Nouveaux marchés de France », n° 0 901 563 ; ordonnance du TA de Cergy-Pontoise, 10 février 2009, « Société Lombard et Guérin », n° 0 900 737 et 09 001 333).

Les irrégularités formelles au stade de la publicité qui n’ont aucune incidence sur l’objet du contrat, les caractéristiques des prestations ou les critères d’appréciation des offres, ne sont pas a priori susceptibles de léser le candidat évincé si celui-ci a déposé une candidature et présenté une offre conforme à l’objet du marché. Il en va ainsi des mentions concernant les codes CPV (), du non-respect du délai de 52 jours (), d’une contradiction entre les documents de la consultation s’agissant de la date de remise des offres () ou de l’absence de mention de la date d’envoi de l’avis au « JOUE » ().

En outre, des irrégularités affectant la seconde partie de la procédure, au stade de l’analyse des offres, ne sont pas a priori susceptibles de léser une société dont la candidature a été rejetée.

En revanche, les irrégularités qui concernent l’objet du contrat, les caractéristiques des prestations, les critères d’appréciation des offres et l’analyse de la candidature ou de l’offre du candidat évincé ou du candidat choisi sont a priori susceptibles de léser le requérant. Ainsi, une définition imprécise des prestations complémentaires envisagées par la collectivité laissant à celle-ci une marge de choix discrétionnaire pour l’analyse des offres est « de nature à léser » la société requérante au stade de l’examen des offres et justifie l’annulation de la procédure de passation du marché ().

De même, la modification des critères de sélection des offres, après leur dépôt et sans information des candidats, est de nature à léser une entreprise qui a déposé une offre ().

Contrôle du juge déterminant mais variable

Il serait trop réducteur de s’arrêter à cette classification des moyens. La décision du juge des référés dépendra également de deux autres facteurs :

• Le contrôle opéré par le juge sur l’atteinte potentielle ;

• Le comportement du requérant (voir ci-contre), tant au stade de la procédure de passation qu’au stade contentieux.

Le requérant n’a pas à démontrer qu’il est lésé par le manquement allégué mais qu’il est susceptible ou risque de l’être. Dans ses conclusions, Bertrand Dacosta précisait que, « lorsqu’il est manifestement exclu que le manquement allégué ait eu une incidence quelconque sur le sort du requérant, il ne revient pas au juge du référé précontractuel de le sanctionner. » Or le juge apprécie différemment cette lésion potentielle. Les mêmes manquements peuvent être considérés comme susceptibles de léser une entreprise et pas une autre.

Prenons l’exemple d’un sous-critère qui n’aurait pas été annoncé aux candidats. Dans un cas, le juge annule la procédure sans s’interroger sur l’impact de ce sous-critère pour la note finale du candidat évincé, car ce sous-critère n’occupait pas une « place prépondérante dans le jugement des offres » ().

Dans un autre cas, plus récent, la haute assemblée a considéré que cette omission était de nature à léser le candidat évincé en raison du coefficient de pondération et de la note obtenue pour ce sous-critère (). Dès lors, même si ce manquement touche directement à l’analyse des offres, il ne conduira pas nécessairement à l’annulation de la procédure de passation.

De même, la société qui saisit le juge au premier stade de la procédure et qui soutient ne pas avoir pu présenter sa candidature du fait des manquements invoqués, n’obtiendra pas systématiquement satisfaction.

Le tribunal administratif de Paris a considéré que la seule définition irrégulière des critères d’appréciation des offres avait été susceptible de léser les requérants (ordonnance du tribunal administratif de Paris, 30 octobre 2008, « Groupe d’information et de soutien des immigrés et autres », n° 0816312). Au contraire, le juge des référés opère parfois un contrôle très poussé sur les motifs ayant conduit une société à ne pas présenter de candidature, comme le montre une ordonnance du 13 février 2009 (« Société El Ale », n° 0 900 811) rendue par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Les faits étaient les uivants : l’appel d’offres avait été lancé pendant la période des congés de fin d’année durant laquelle les services administratifs de la société requérante étaient fermés. Lors de la réouverture des bureaux, le 5 janvier, une mauvaise manipulation informatique avait empêché la société de prendre connaissance de l’avis d’appel d’offres. Ce n’est que le 15 janvier, après l’expiration du délai de dépôt des candidatures, fixé au 12 janvier, que la société avait découvert cet avis. Or, elle soutenait que le délai de 52 jours n’avait pas été respecté et que s’il l’avait été, elle aurait eu le temps, même en tenant compte de son erreur, de déposer une candidature. Le juge considère que « son défaut de candidature est imputable à son propre fait et non à la durée de 24 jours du délai imparti ; que le manquement qu’elle invoque n’étant pas la cause première et déterminante de son intérêt lésé, elle ne peut pas, compte tenu de l’office du juge des référés (…), s’en prévaloir à l’appui de sa requête. »

Dans cette même ordonnance, la société invoquait la violation de l’article 10 du Code des marchés publics (allotissement). Nous serions tentés de penser que ce manquement est nécessairement susceptible de léser le candidat évincé eu égard à sa portée et au stade de la procédure. Le juge considère pourtant, « qu’afin de justifier que le manquement invoqué risque de la léser, la société requérante fait valoir que plus le nombre de lots est important, plus ses chances de remporter un marché sont importantes ; que, toutefois, elle ne fait valoir aucun élément concret et spécifique qui tendrait à démontrer qu’en raison de ses capacités, elle aurait davantage de chances de se voir attribuer tel lot plutôt que fondu au sein d’un marché global ; qu’en invoquant l’argument abstrait du rapport général à l’aléa qui pourrait être invoqué par tout candidat, elle ne justifie pas d’un intérêt susceptible d’être lésé par le manquement allégué. »

Un choix à opérer entre référé précontractuel et référé contractuel

L’ accroît encore les difficultés évoquées, puisqu’elle introduit un bilan avantages/inconvénients : le juge doit examiner les intérêts en présence et notamment l’intérêt public et refuser de prendre cette mesure si « les conséquences négatives de ces mesures peuvent l’emporter sur leurs avantages ». Sur ce point aussi, le contrôle du juge risque d’être fluctuant.

Le référé précontractuel est devenu un recours beaucoup plus aléatoire qu’auparavant pour le requérant. Aussi, la création par cette ordonnance d’une procédure dite de « référé contractuel » devrait conduire les candidats évincés à s’interroger sur la procédure la mieux adaptée en fonction des manquements reprochés. Ils devront parfois faire le choix entre ces deux juges des référés, choix qui se révélera souvent délicat.

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