Alors que la France compte aujourd'hui plus d'un million de véhicules électriques ou hybrides en circulation et que les estimations font état d'un parc de plus de 15 millions en 2035, l'offre de recharge ouverte, c'est-à-dire via des bornes accessibles sur les grands axes routiers et autoroutiers, en voirie ou dans des centres commerciaux, doit suivre.
Alors qu'elle frôle les 130 000 unités installées fin avril, la filière s'est immédiatement projetée vers un nouvel objectif, annoncé en octobre 2022 par le président de la République lui-même : celui de 400 000 bornes IRVE (infrastructures de recharge de véhicules électriques) accessibles au public d'ici 2030. La répartition et le raccordement d'un nombre aussi important d'installations représentent des enjeux cruciaux pour le gestionnaire du réseau de distribution d'électricité, Enedis.
Premier de ces enjeux : vaincre la « peur de la panne sèche ». « Les automobilistes s'interrogent parfois sur la faisabilité de grands trajets pour un week-end ou des vacances, rappelle Pierre de Firmas, directeur mobilité électrique d'Enedis. La recharge que l'on appelle “en itinérance” doit être rapide, donc puissante. » Pour cela, il faut les bornes adéquates. « Nous proposons des EVlink Pro DC de 180 kW qui permettent de faire le plein en 30 minutes », expose Clara Dance, responsable marketing IRVE France de Schneider Electric. Pourquoi pas plus puissantes ? « Nous avons fait ce choix en nous appuyant sur des études montrant que, pour répondre à l'anxiété liée au temps de recharge, les bornes sont souvent surdimensionnées, indique-t-elle. Ainsi, celles de 300 ou 400 kW ne sont utilisées qu'à la moitié de leur puissance parce que les véhicules n'acceptent pas forcément une charge à la puissance totale, ou que le réseau pour l'alimentation n'est pas toujours disponible. »
Schémas directeurs. Cette disponibilité, c'est justement le deuxième enjeu majeur pour Enedis. Elle dépend d'un maillage efficace. Dans les territoires, d'abord. Pour cela, l'Etat et les collectivités disposent des schémas directeurs des infrastructures de recharge pour véhicules électriques (Sdirve) instaurés par la loi d'orientation des mobilités (LOM) de 2019 (lire aussi p. 19). Ils consistent en premier lieu à élaborer un diagnostic sur les besoins, au regard notamment des caractéristiques locales de l'habitat, du taux d'adoption du véhicule électrique constaté et du parc d'IRVE présents sur le territoire. Ils définissent également les objectifs, le calendrier et les ressources associées et permettent de piloter et de superviser le déploiement des bornes. « Bonne nouvelle, 120 schémas directeurs sont d'ores et déjà établis, souvent à la maille départementale. Nous les avons accompagnés de près, notamment en fournissant des projections et des hypothèses de besoins de charge pour un territoire donné. Parmi elles, 66 étaient validées en préfecture à fin février », se réjouit Pierre de Firmas.
Pour le réseau autoroutier, Enedis a modélisé le trafic et la manière dont il va s'électrifier afin de bien anticiper la puissance nécessaire. « Nous avons évalué, point d'arrêt par point d'arrêt, combien il faudrait raccorder de mégawatts en 2035, non seulement pour accueillir les 18 millions de véhicules électriques légers (40 % du parc), mais aussi les poids lourds », détaille le directeur mobilité électrique du groupe.
Assurer les besoins de tous les types de véhicules. Premier enseignement, les pics maximums d'appel de puissance atteints pour chacune des deux catégories de véhicules (1,1 GW pour les poids lourds, entre 2,5 et 4 GW pour les voitures) ne se produiront pas simultanément. « Pour les véhicules légers, il interviendrait au moment du chassé-croisé des vacances d'été alors que, pour les camions, le pic aurait lieu un jour de semaine, en fin de matinée, au début de la pause méridienne », estime-t-il. Pour Enedis, si la puissance de raccordement des aires de service et de repos est bien dimensionnée pour faire face au pic de la mobilité légère, les besoins de la mobilité lourde seront également couverts.
En 2035, le réseau routier français devrait accueillir 18 millions de véhicules électriques légers, soit 40 % du parc
La facture pour le gestionnaire du réseau de distribution devrait s'élever à 630 M€ d'ici 2035. Cette estimation ne comprend évidemment pas l'investissement des opérateurs dans les stations de recharge et l'aménagement des aires. Il faudrait 12 200 points de recharge pour les seuls poids lourds en itinérance sur les 519 aires de services et de repos du réseau. Au total, 10 000 seraient utilisables lors des pauses de longue durée et 2 200 pour les pauses courtes avec de la recharge rapide.
La nécessité d'un pilotage de la recharge. Troisième et dernier enjeu pour Enedis : s'assurer que le réseau pourra soutenir la puissance maximum appelée, tous usages confondus. En effet, « aujourd'hui, 95 % des recharges se font dans les maisons et les bâtiments collectifs », rappelle Clara Dance. Et d'ajouter que « Schneider Electric a d'ailleurs axé sa stratégie d'offre vers cette application dans un premier temps ».
Pour Pierre de Firmas, il existe deux cas de figure. Dans le premier, rien ne change : les gens s'équipent chez eux, rechargent “naturellement”, sans régulation. Dans le deuxième, on s'organise pour que la recharge soit assurée durant les creux de consommation, c'est-à-dire essentiellement la nuit. « Entre les deux scénarios, on estime qu'en 2035, la différence atteindra 10 GW. Autrement dit, en cas de statu quo, au pic annuel d'appel de puissance, un soir d'hiver vers 20 heures, ce sont 10 GW supplémentaires qu'il faudra trouver, soit l'équivalent de la production de 10 réacteurs nucléaires. En revanche, si on règle la charge sur les heures creuses, il n'y aura aucune augmentation de ce pic de puissance. Cela nécessite donc un pilotage de la recharge. C'est un enjeu d'optimisation, pas de redimensionnement du réseau. Ou alors sporadiquement », conclut le directeur mobilité électrique d'Enedis.