La prévention des îlots de chaleur urbaine renouvelle l’argumentaire des industriels de la végétalisation du bâtiment. Locomotive nationale et internationale du secteur, Sopranature illustre la tendance à travers l’application Privilège, développée depuis 2014 avec Météo France.
Place à l’évapotranspiration
Directeur technique, Lionel Sindt résume les trois temps de la recherche : « « D’abord, il s’agissait de quantifier l’abattement pluvial journalier, pour cela nous avons recours à une analyse des pluies sur 12 ans de données dans plusieurs contextes climatiques Français. Nous élaborons les préconisations d’arrosage les plus précises possibles en fonction des besoins réels de la plante, l’arrosage dit « de sauvegarde ». Aujourd’hui, notre attention porte sur la lutte contre les ilots de chaleur urbains ».
Le rayonnement dans 46 pays permet de constater l’universalité de la demande, de plus en plus intense en Europe du sud. « Partout, la gestion et la régulation de l’eau et des températures constitue la clé du développement », constate le directeur technique de la filiale de Soprema, leader mondial de l’étanchéité du bâtiment, basé à Strasbourg.
Champ ouvert
Ses deux principaux concurrents français n’ont pas encore passé le cap de la quantification des aménités climatiques de leur offre : « Une telle étude se heurte à un effet d’échelle. Dès qu’un mouvement d’air provoque un brassage des températures, l’impact thermique de la végétation s’estompe », explique Jean-Christophe Grimard, directeur Recherche & Développement de Le Prieuré (60 salariés), autre pionnier français de la spécialité, issu de l’intégration vers le bâtiment d’une activité de pépinière dans le Loir-et-Cher.
Reste l’appréciation subjective autour d’une référence emblématique : Jean-Christophe Grimard souligne « l’indéniable sensation de fraîcheur que l’on ressent en été dans le potager de la toiture de l’opéra Bastille ». Mais pour l’heure et faute de levier réglementaire, l’atténuation des pics de chaleur urbaine ne vient qu’en complément d’un argumentaire d’abord axé sur la rétention pluviale. La clientèle cherche également à éviter le recours à une climatisation motorisée à l’intérieur des bâtiments.
Paysagiste concepteur de formation avant de se diversifier dans les chantiers de végétalisation de bâtiments et de terrasses à travers sa société Ecovégétal basée près de Chartres (92 salariés), Pierre Georgel confirme : « Nous en sommes au balbutiement. Il y a encore du développement pour les 20 ans qui viennent, autour des questions majeures des maîtres d’ouvrage : quelles temps de retour d’événement pluviaux les toitures végétalisées doivent-elles gérer » ?
Remontées capillaires
Pierre Georgel enfonce le clou qui ramène aux fonctions climatiques de la rétention pluviale : « Stocker l’eau sous les rampes d’accès aux parkings souterrains, cela n’apporte rien à la ville. Interdisons ces systèmes, et stockons pour l’évapotranspiration. Les toitures offrent le support idéal ».
Pour dimensionner des ouvrages capables de retenir 100 % des eaux pluviales, EcoVégétal diffuse le système de son fournisseur allemand Zinco. Sur la toiture du centre de formation aux métiers de bouche le Cordon Bleu, en haut d’une tour du quartier parisien Beaugrenelle, les eaux stockées dans des bacs hermétiques irriguent les plantations par capillarité, à travers des nattes verticales. Une surverse et un drain Aquatech complètent cet équipement qui économise 50 % des frais d'arrosage, par rapport à un potager traditionnel.
Comme EcoVégétal, Le Prieuré propose le stockage et la restitution de l’eau par mèches de capillarité, avec son système breveté Oasis. « Par de fortes journées ensoleillées, le rafraîchissement de la peau du bâtiment peut atteindre 25°C », précise Jean-Christophe Grimard. Fort des résultats des études menées avec les hydrologues de l’institut national des sciences appliquées de Lyon, le fabricant ajoute à ce bilan thermique une maîtrise inégalée des débits de fuite, limitée à 1 litre par seconde et par hectare.
Le choix des bacs
Selon Sopranature, les plantations de toiture sur bac avec rétention d'eau temporaire présentent deux points faibles : « « Un poids de matière plastique et un cout très élevé pour une fonction de rétention d’eau temporaire en toiture qui doit demeurer simple et robuste» », note Lionel Sindt.
Malgré des options techniques diverses, les fabricants se retrouvent dans l’idée de diversifier les palettes végétales, pour renforcer le potentiel d’évapotranspiration qui contribue à atténuer les pics de chaleur. A Sopranature qui a contribué à l’industrialisation des tapis de sedum appréciés pour leur faible besoin d’entretien, les chercheurs s’orientent vers des variétés plus hydrophiles. La diversification repose sur l’association des plantations produites en interne avec des végétaux locaux issus d’un réseau externe de pépiniéristes spécialisés.
Tremplin pour les JO
En revanche, la filiale de Soprema constate les freins qui s'opposent à la croissance du marché des toitures dites intensives, caractérisées par des épaisseurs de substrat supérieures à 30 cm, compatibles avec la plantation d’arbres. « De grandes agences d’architectes nous consultent en ce sens, avant de revenir lorsque les contraintes de charge ou de levage l’imposent vers des solutions semi-intensives, pour lesquelles nous proposons des solutions en phase avec les enjeux actuels de rafraîchissement avec des palettes végétales à fort potentiel d’évapotranspiration », expose Lionel Sindt.
Il n’empêche : il arrive que les plaisirs offerts aux usagers des jardins de toiture l’emportent sur les réticences liées aux coûts d’entretien. Le Prieuré en fait l’heureuse expérience dans le futur siège de la métropole lilloise, construite par Bouygues Bâtiment Nord-Est avec l’agence Henning-Larsen : l’ouvrage n’attend plus que son inauguration, retardée par la crise du Covid 19, pour répondre à sa promesse d’espace de détente et de loisirs, dans un écoquartier neuf, issu de la reconquête de friches. L’ombre s’ajoutera à l’évapotranspiration pour rafraîchir les usagers.
Référencée dans le plan Pluie de la ville de Paris qui s’attaque aux inondations comme aux pics de chaleur, Le Prieuré entend se servir de cette référence comme d’un tremplin, avant de transformer l’essai sur les toits du village des jeux olympiques de 2024.