Interview

« Simplifions l’entretien des cours d’eau torrentiels », Jeanine Dubié, présidente de l’Anem

L’Association nationale des élus de montagne (Anem) attend « avec impatience » la présentation du « plan Montagne », annoncé par l’Agence nationale pour la cohésion des territoires. Elue pour deux ans à sa présidence lors du congrès de Corte les 15 et 16 octobre, Jeanine Dubié, députée des Hautes-Pyrénées, détaille les positions de la structure née en 1985 à la faveur de la première loi Montagne, avec des élus de tous les échelons territoriaux : communes, intercommunalités, départements, régions et parlement.

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Jeanine Dubié
Députée des Hautes Pyrénées, Jeanine Dubié préside deux ans l'Association nationale des élus de montagne

Quelles leçons retenez-vous de la tempête Alex, dans le domaine de l’aménagement de la montagne ?

Cet événement ne nous a pas surpris. Ce qui s’est passé dans les Alpes-Maritimes, y compris les routes emportées et les ponts effondrés, la vallée de Barèges l’a connu en 2013. La différence, c’est que dans les Hautes-Pyrénées, l’événement s’est produit la nuit, dans un territoire inhabité.

Ces épisodes rappellent la nécessité de simplifier les formalités nécessaires à l’entretien des cours d’eau torrentiels. Les embâcles et les troncs qui s’accumulent forment des barrages. Quand ils cèdent, ils libèrent une violence inimaginable, dans des cours d’eau qui se développent normalement sur quelques mètres de large, et sur lesquels on voit affleurer les cailloux.

La solution passe-t-elle par la voie réglementaire ?

La première chose à faire, c’est d’assouplir la loi sur l’eau. Aujourd’hui, même le régime déclaratif se révèle décourageant. Durant les deux ans de mon mandat, je souhaite que l'Anem s’empare de ce sujet, comme je l'ai annoncé lors du congrès de Corte qui m’a porté à sa présidence.

Bien sûr, l’épisode des Alpes-Maritimes incite également à réfléchir aux autorisations d’urbanisme à proximité des cours d’eau. Dans ces espaces sensibles, l’histoire rappelle les lieux où les crues sont passées il y a 50 ou 100 ans. Eviter la reproduction des erreurs passe par des voies réglementaires et législatives.

Le projet de loi « Décentralisation, différenciation, déconcentration »  pourrait-il faciliter la prise en compte des spécificités des territoires que vous représentez ?

Le premier texte législatif à avoir intégré la notion de différenciation, c’est la loi montagne de 1985, et son titre II sur « le droit à la prise en compte des différences et la nécessaire application de la solidarité nationale » ; la seconde loi Montagne de 2016 a repris et renforcé ces acquis fondamentaux.

Mais l’application des principes nécessite toujours des combats : quand les emplois saisonniers entraînent une diminution passagère de la fréquentation des écoles, les inspecteurs d’académie continuent à raisonner avec leurs indicateurs. L’administration a du mal à entendre que les pentes, le climat et la distance doivent influer sur les décisions. J’ose espérer que la loi 3D parviendra à débloquer ces freins…

Partagez-vous l’objectif d’un « tourisme des quatre saisons », face aux perspectives d’épuisement de l’or blanc ?

Certes, nous ne pourrons pas faire l’économie de cette réflexion, mais attention : derrière l’économie du ski, se cache toute une filière. A un euro dépensé en forfait de remontées mécaniques, correspondent sept euros en restauration, logements, loisirs ou achats en magasins de sport. L’économie du ski n’est pas condamnée, comme l’a démontré une chercheuse de l’université de Strasbourg lors de notre congrès de Corte, dans une intervention sur le thème du changement climatique et de ses effets sur la montagne. A côté des pistes, d’autres activités liées à la neige continuent à se développer.

Mais la redécouverte de la montagne en été fait partie des effets induits de la crise sanitaire. Nous devons capitaliser sur cet acquis.

Comment ?

Il faut retravailler sur l’immobilier de loisirs construit voici 30 ans, avec les formes juridiques de l’époque, à la faveur d’aides fiscales. Aujourd’hui, les volets fermés se multiplient, dans des copropriétés en voie d’abandon. Plutôt que de construire du neuf, réhabilitons ces lits froids ! Cela suppose un travail de repérage, une estimation du parc et un soutien en ingénierie.

Les réhabilitations peuvent aussi concerner les centres de vacances vieillissants, ce qui implique un travail avec l’Education nationale, pour inciter à la remise en place de classes de neige ou de découverte de la nature. Les enfants offrent un gage d’avenir : après 15 jours, ils deviennent des porte-paroles de la montagne. Ce phénomène s’est étiolé. Certes, la crise du Covid n’arrange rien dans l’immédiat, mais ne désespérons pas !

Vos territoires souffrent-ils également de problèmes d’accessibilité ?

En effet, les besoins d’infrastructure ne concernent pas que les urbains ! Depuis 30 ans, la politique du tout TGV a conduit à l’abandon de nombreuses lignes ferroviaires secondaires. Cela touche notamment des stations thermales qui ont particulièrement souffert de la crise du Covid. Nous devons sensibiliser l’Etat pour trouver des moyens et des technologies nouvelles, y compris peut-être le train à hydrogène.

Espérez-vous que le plan Montagne de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires puisse donner le signal d’une mobilisation de l’Etat ?

Le congrès de Corte devait servir de cadre à une présentation de ce plan. Finalement, le Premier ministre n’a pas pu se déplacer. Mais dans son message vidéo, il a confirmé une présentation prochaine. Nous l’attendons avec impatience, et j’espère pouvoir vous en dire plus avant la fin de l’année.

En plus des difficultés que la montagne partage avec le monde rural comme la faible densité démographique, le déclin des services publics et la désertification médicale, la topographie impose des efforts particuliers, pour vaincre les handicaps et valoriser les atouts.

L’impact de la crise sanitaire sur les recettes des communes et des intercommunalités concernées renforce ces besoins : en 2018, la taxe de séjour rapportait 232 millions d’euros aux premières, et 193 millions aux secondes. Cette année, la saison de ski s’est arrêtée en mars, et pour la prochaine, les réservations ne viennent pas. La poursuite des efforts de l’Anem suppose un regard particulier de l’Etat, pour que la montagne reste vivante.

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