Engagé par un candidat évincé, l’effectivité du recours, qui tend à l’annulation d’un marché public, dépend de la possibilité pour le juge d’en suspendre la signature ou l’exécution. A cet égard, on écartera ici d’emblée l’étude du pouvoir de suspension dont dispose le préfet (1) pour se concentrer sur les recours engagés par les candidats évincés ou par les tiers. En cette matière, l’, relative aux procédures de recours, a joué un rôle important, puisqu’elle a complété et renforcé les pouvoirs de suspension des juges administratifs.
Suspension des procédures de passation
Avant la signature du contrat, seul le juge du référé précontractuel dispose du pouvoir de suspendre la procédure de passation d’un marché public ; pouvoir qui a été progressivement renforcé, tant par les textes que par la jurisprudence.
Renforcement des pouvoirs du juge du référé précontractuel
La loi du 4 janvier 1992 a institué la procédure de référé précontractuel, permettant d’obtenir, avant la signature d’un contrat de la commande publique, la suspension ou l’annulation de sa procédure ( - CJA). Puis, la loi du 30 juin 2000 a offert au juge du référé précontractuel la possibilité d’enjoindre aux parties de différer la signature du contrat jusqu’au terme de la procédure, pour une durée maximum de vingt jours. Toutefois, les pouvoirs du juge du référé précontractuel prennent fin à la signature du contrat, celle-ci ayant pour effet de rendre irrecevable le recours ().
En conséquence, le pouvoir d’injonction de différer la signature du contrat, qui était pourtant largement mis en œuvre, n’était pas efficace car il n’empêchait pas la « course à la signature ». L’ a donc modifié l’ qui offre désormais au juge la possibilité de « suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages ». Toutefois, malgré le caractère suspensif du référé précontractuel, la signature du contrat pendant l’instance continuait à rendre sans objet le recours, l’exercice des référés précontractuel et contractuel étant exclusif l’un de l’autre ().
Le juge administratif a, en conséquence, développé une jurisprudence visant à garantir l’effectivité du pouvoir de suspension du juge du référé précontractuel.
Une effectivité garantie par la jurisprudence
L’ admet désormais qu’un requérant puisse engager un référé contractuel à la suite d’un référé précontractuel rendu irrecevable par la signature du contrat, si l’acheteur public n’a pas respecté la suspension prévue par les textes et s’il ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours. Le Conseil d’Etat a jugé en ce sens qu’était recevable un référé contractuel introduit par un concurrent évincé qui avait antérieurement présenté un référé précontractuel alors qu’il ignorait le rejet de son offre et la signature du marché (). La haute assemblée a ainsi admis la succession d’un référé contractuel à un référé précontractuel, dans le cadre d’une même requête, préservant ainsi l’effet utile des procédures.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat reconnaît « en principe » la condition d’urgence, attachée à l’introduction d’un référé suspension, comme remplie lorsque l’acheteur public a signé un contrat en méconnaissance d’une décision du juge du référé précontractuel lui enjoignant de suspendre cette signature ( et ).
Après la signature du contrat, le juge administratif dispose aussi du pouvoir d’enjoindre la suspension de l’exécution du contrat.
Suspension des contrats
Une fois le contrat signé, le juge dispose de deux voies pour suspendre le contrat : le référé suspension, dont le champ d’application a été considérablement étendu depuis l’arrêt « Tropic Travaux Signalisation » du 16 juillet 2007, et le référé contractuel, créé par l’.
Pouvoir du juge du référé suspension
Le juge des référés dispose, depuis la loi du 30 juin 2000, du pouvoir d’ordonner la suspension d’une décision administrative, même de rejet, ayant fait l’objet d’un recours en annulation ou en réformation « lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ().
Avant l’arrêt « Tropic Travaux », tout tiers intéressé était recevable à demander la suspension d’un acte détachable du contrat dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir. Toutefois, la signature du contrat avait pour effet de fermer cette voie de suspension, en rendant « sans objet » les requêtes dirigées contre ses actes détachables (). Depuis l’arrêt « Tropic Travaux », le Conseil d’Etat a ouvert la possibilité à tout candidat évincé de former, accessoirement à son recours en contestation de validité, une demande de suspension du contrat (). Mais, pour que cette demande de suspension soit favorablement accueillie, le requérant doit établir que deux conditions sont satisfaites : urgence et doute sérieux quant à la légalité du contrat. Or, le juge se livre à une appréciation concrète de la condition d’urgence, et rejette, le plus souvent, le recours en référé faute d’urgence. Le Conseil d’Etat, dans son arrêt « Biomérieux » du 6 mars 2009, a toutefois reconnu que l’urgence était « en principe » démontrée lorsque l’acheteur a méconnu l’obligation de suspension du juge du précontractuel. Néanmoins, dans un arrêt récent (TA Nice, 15 mars 2010, « Soc. Ricoh France », n° 100070), les juges ont refusé de suspendre un marché que l’acheteur avait pourtant signé en méconnaissance de l’injonction de surseoir à la signature du contrat, en raison de l’impossibilité pour le service public de l’éducation de fonctionner sans ce marché. En définitive, la condition d’urgence, rarement démontrée dans le cadre d’un référé suspension, privait les candidats évincés de la possibilité d’obtenir la suspension du contrat signé. C’est pourquoi l’ a conféré à un nouveau juge, le juge du référé contractuel, le pouvoir de suspendre l’exécution des contrats.
Pouvoir de suspension du juge du référé contractuel
En vertu de l’, le juge du référé contractuel dispose d’un pouvoir de suspension de l’exécution des contrats pour la durée de l’instance. Toutefois, l’ordonnance de 2009 détermine limitativement les cas dans lesquels l’annulation du contrat peut ou doit être prononcée. Elle détermine ainsi la marge de manœuvre dont dispose le juge. Il apparaît en effet - et c’est du moins à une interprétation stricte du texte que se sont livrés les juges jusqu’à présent () - que le pouvoir de suspension du juge du référé contractuel est limité aux trois hypothèses de nullité énoncées à l’ : absence de publicité ; violation des modalités de remise en concurrence dans un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique ; signature du contrat en violation de la suspension. En outre, l’ apporte une autre restriction à ce pouvoir de suspension en prévoyant que le juge du référé contractuel opère un bilan avantages/inconvénients de la suspension, de manière à trouver un équilibre entre la nécessité d’interrompre l’exécution de certains contrats et l’impératif de stabilité des relations contractuelles.
