Le retour des algues Cystoseira, dans la rade nord du port de Marseille, offre une démonstration emblématique de la capacité des hommes à réparer en partie les milieux naturels qu’ils ont endommagés. D’abord à cause du végétal concerné : « Vulnérable, peu apte à recoloniser les milieux où elle a disparu en raison de sa faible distance de dispersion, cette espèce fondatrice abrite un cortège de crustacés et poissons », explique Patrick Javel, chef du projet au sein du groupe Engie. Le programme porté par le port maritime de Marseille de 2012 à 2015 a porté ses fruits : « Sur les supports en béton de 30 cm sur 20, les transplants ont poussé et sont devenus fertiles », se réjouit Patrick Javel.
Espèce fondatrice
Pour ramener « l’espèce fondatrice » sur d’autres sites, deux nouvelles opérations se sont inspirées du projet pilote : à Antibes (Alpes-Maritimes), la construction d’une nouvelle digue a intégré en amont l’implantation des algues Cystoseira. Au parc national des Calanques, l’amélioration de la qualité des eaux rejetées dans la mer par la station d’épuration de la métropole de Marseille a justifié le lancement du projet Recyst, qui se déroule de 2014 à 2018 : sous forme de bouquets de zygotes accrochés à des anneaux métalliques, l’algue précieuse, qui avait disparu du site, a bien voulu prendre vie. « Comment passer à la grande échelle sans créer de nouvelles contraintes pour le gestionnaire de la station d’épuration » ? La suite du programme devrait offrir des réponses à la question posée par Patrick Javel.
Regards pluriels
Au-delà de l’espèce concernée par cet exemple de restauration écologique, l’exemplarité tient au porteur du projet : la participation des entreprises fait partie des marques de fabrique des forums des gestionnaires d’espaces naturels. De même, les allers-retours entre l’expérimentation et les laboratoires de recherche, caractéristique de la démarche pilotée par Engie, a servi de fil conducteur à la rencontre du 16 novembre.
La pluralité des regards remet en cause bien des idées reçues : barrières écologiques majeures, les autoroutes servent aussi de zones refuges pour des reptiles et des fleurs malmenés par la monoculture intensive et l’abandon du pastoralisme, comme l’a démontré Vincent Vignon, directeur de l’Office de génie écologique, après la mission qu’il a conduite en Beauce pour Cofiroute, sur plusieurs sites de l’autoroute A10. Les promoteurs du Génie écologique s’interdisent tout dogmatisme : Xavier Dutoit, directeur de recherche à l’institut méditerranéen de biodiversité, analyse avec lucididité la contre-référence associée à la prolifération d’espèces non désirées, lors d’une opération de restauration conduite pendant une saison anormalement humide.
Les connaissances scientifiques et techniques progressent autant que les savoir-faire des entreprises : l’Union nationale des entreprises du paysage a finalisé sa « règle professionnelle » sur le génie végétal, tandis que la fédération nationale des TP et l’union nationale des producteurs de granulat insistent sur les formations engagées par leurs adhérents.
Dynamique citoyenne
Aux visions des chercheurs, des maîtres d’ouvrages et des bureaux d’études, le témoignage du parc national de la Réunion a ajouté la dimension citoyenne de l’ingénierie écologique : « 2000 bénévoles ont participé aux plantations que nous avons menées dans le cadre du projet « Life + Forêt sèche » », témoigne le coordonnateur de ce projet européen, Pascal Truong. Cette dynamique a conforté le lien entre trame verte et bleue et projet de territoire.
Un grand absent mérite néanmoins une mention : malgré le lien maintes fois évoqué entre Paysage et Trame verte et bleue et en dépit des obstacles d’acceptabilité sociale qui peuvent entraver les continuités écologiques, l’émotion et la beauté n’ont pas trouvé de porte-parole au forum, où aucun paysagiste concepteur ne s’est exprimé en tribune. L’objectivation scientifique du sujet a atteint un summum avec la présentation de la théorie des graphes paysagers, par Laurent Bergès : l’ingénieur chercheur a présenté l’outil mathématique qui permet de déterminer où agir avec le maximum d’efficacité et au moindre coût. A ce stade, un écologue a ramené au débat l’autre versant du paysage : « Ne nous contentons pas d’une approche naturaliste. La dimension éco-paysagère manque, depuis le Grenelle, alors que la réussite ne peut reposer que sur le rapprochement des compétences », estime le consultant Philippe Clergeau, professeur au museum national d’histoire naturelle.