Comment l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle dessine un nouveau chemin pour ses eaux pluviales

En Seine-et-Marne, l'un des plus grands chantiers de canalisations du moment se faufile en milieu contraint sur près de 10 km.

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Les tranchées ouvertes avancent en moyenne de 18 à 24 m par jour, terrassement et remblaiement compris.

Sur le chantier Canamarne, contraction de canalisation et Marne, les travaux de tranchée ouverte redémarrent après la pause hivernale tandis que ceux menés au micro tunnelier s'achèvent. « Ce projet consiste à prolonger la canalisation des eaux pluviales de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, aujourd'hui rejetées dans le milieu naturel sur la commune de Gressy (Seine-et-Marne), à 5 km du chantier, pour les amener jusqu'à la Marne », décrit Marc Donnart, chef du projet Canamarne chez Groupe ADP.

Actuellement, près de 90 % des eaux pluviales de l'aéroport sont d'abord recueillies par le bassin des Renardières, situé le long des pistes, avant d'être dirigées vers le fleuve. Avec près de 10 km de canalisations supplémentaires, Canamarne permettra de mieux gérer ce bassin en portant son débit de vidange à 1 300 l/s contre un maximum - atteignable seulement sur dérogation - de 1 000 l/s aujourd'hui, évitant ainsi des débordements susceptibles de toucher les communes de Mitry-Mory et Claye-Souilly à l'aval. Une nécessité qui s'accentue : « Parmi les événements pluvieux les plus importants enregistrés au niveau de notre plateforme, la moitié ont eu lieu ces dix dernières années », rappelle Marc Donnart.

Canalisation gravitaire

La nouvelle réalisation s'étend sur 9,4 km, dont 3 km réalisés au microtunnelier et 6 km en tranchée ouverte, avec une alternance des deux techniques tout au long du tracé. Elle comprend aussi un ouvrage de bifurcation pour amener les eaux vers la nouvelle canalisation, un autre de rejet dans la Marne, deux stations de mesure, cinq siphons et 90 regards d'accès. Pour ce projet en conception-réalisation, ADP a souhaité une canalisation entièrement gravitaire. « Nous voulions nous affranchir de la nécessité d'avoir des pompes susceptibles de tomber en panne », explique Marc Donnart.

Le dénivelé entre le point de départ et le point d'arrivée est de 15 m seulement, soit une pente moyenne de l'ouvrage de 0,1 %.

« Tout au long du tracé, nous devons adapter les dimensions de creusement aux variations du terrain naturel du fait du paysage et de l'urbanisme », indique Louis Delanef, directeur de travaux chez Sade Travaux spéciaux, mandataire du groupement d'entreprises.

Certaines tranchées atteignent ainsi 7,50 m de profondeur - « la limite de cette technique », selon Louis Delanef.

Les cinq microtunneliers qui ont opéré sur le chantier ont permis de descendre plus bas et de franchir de nombreux obstacles : le canal de l'Ourcq, une rivière, un rond-point, une route départementale et une nationale, le tout en quatre diamètres, de 1 000 à 1 800 mm. Parmi les tronçons, de longueurs variables, le plus grand atteint 830 m. Depuis le puits de travail R49 qui descend à 24 m de profondeur, la machine Magali, de diamètre 1 800, réa lise un tir de 500 m. « Les tuyaux de béton qui sont posés à la suite du microtunnelier sont dimensionnés pour une poussée maximale de 800 t », précise Rémi Lamoureux, ingénieur travaux chez Sade Travaux spéciaux.

Pour réduire les efforts de friction dans le terrain et ainsi minimiser les efforts de poussée, l'équipe injecte de la bentonite dans le vide annulaire. « Grâce à cette lubrification, nous avons réussi, sur le tir précédent de plus de 800 m, à déployer une force de seulement 250 t au niveau du banc pour pousser 2 000 t de tuyaux béton », précise Rémi Lamoureux. A l'intérieur de la galerie, tous les 100 m, des stations de poussée intermédiaires, dont les vérins s'appuient sur les anneaux déjà posés, servent de relais au banc de poussée. « C'est un dispositif particulièrement utile après le week-end, lorsque le terrain commence à se resserrer autour des creusements, souligne l'ingénieur travaux. Cette station intermédiaire permet de “décoller” la galerie avant de recommencer à pousser uniquement depuis le banc. »

Atelier de découpe

Si les galeries de micro tunnelier accueillent des tuyaux de béton ou de polyester renforcé de fibres de verre (PRV), les tranchées ouvertes, elles, en reçoivent en fonte fabriqués par Saint-Gobain PAM. Ces derniers, de diamètre 1 400 mm, affichant 8 m de long et pesant près de 6 t, nécessitaient de procéder à de nombreuses coupes. « Au lieu de le faire sur site, nous avons préféré installer un atelier de plain-pied à proximité du stock de tuyaux, afin que les compagnons travaillent dans de meilleures conditions, explique Arnaud Raillot, conducteur de travaux tranchée ouverte chez EHTP. Le tuyau est déposé à 1 m de hauteur sur des chevalets amovibles et une ligatureuse automatique le sectionne en moins de deux heures. » Un moyen de gagner en sécurité et en efficacité sur un chantier où les points d'attention se superposent : « Seize tirs de microtunnelier, des travaux en tranchée ouverte parfois de grande profondeur, en zones humides, le tout avec une pente très faible, sur un linéaire important et avec des contraintes environnementales fortes », liste Louis Delanef. Ces dernières (lire ci-contre) ont d'ailleurs eu raison du calendrier, le chantier s'achevant fin 2025 au lieu de fin 2024.

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Informations techniques

Maîtrise d'ouvrage : Groupe ADP. AMO : Artelia Choisy (technique), Setec (pilotage financier et de l'AMO foncier), Geofit (foncier), Artelia Grenoble (hydrogéologique), Iris-Egis (environnement), VIE (insertion sociale). Novicap (CSPS), Apave (contrôle technique).

Groupement d'entreprises en conception-réalisation : Sade (mandataire) et EHTP (tous deux issus du groupe NGE) avec Setec Hydratec et Cabinet Merlin en maîtrise d'œuvre intégrée.

Calendrier du chantier : septembre 2022 à fin 2025.

Economie circulaire : du déblai au remblai… ou au champ

Le chantier nécessite de réaliser 93 000 m3 de terrassements, un volume élevé de terres qui pourraient finir en centre de traitement mais qui, ici, sont en grande partie réutilisées pour remblayer les tranchées. Pas toutes : seules celles qui accueillent des tuyaux en fonte sont à même de recevoir des terres issues du site ; les autres (polyester renforcé de fibre de verre, béton), plus sensibles aux mouvements du terrain, nécessitent un remblai technique à base de grave compactée. Au total, 68 % des déblais ont été réutilisés sur site. « Cela représente 60 000 m3 qui n'ont pas à être évacués et autant d'apports de matériaux évités », calcule le directeur de travaux de Sade Travaux spéciaux, Louis Delanef. Et 4 500 rotations de semi-remorques en moins. Une solution vertueuse et économique qui a constitué l'un des critères de l'attribution du marché à Sade Travaux spéciaux, mandataire du groupement d'entreprises.

Des terres très riches.

Mais ce n'est pas tout car il reste des terres correspondant au volume du tuyau et à son lit de pose que l'entreprise ne peut remettre en place.

Or celles-ci sont très riches. « Nous avons passé un contrat avec Veolia Agriculture France pour les revaloriser sur des sites agricoles », indique Louis Delanef. En 2024, Canamarne a ainsi pu apporter 5 000 m3 de terres à un exploitant voisin qui avait besoin de niveler une parcelle.

Une fois livrées sur place, Veolia Agriculture France se charge de les répartir sur les parcelles. Les partenaires espèrent renouveler l'opération cette année.

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Biodiversité : quand le chantier déménage grenouilles et plantes

L'opération se déroule pour moitié sur des zones humides qui abritent des espèces protégées d'amphibiens et de chiroptères, ce qui implique des contraintes environnementales fortes. « Il nous est interdit de réaliser des pompages pour rabattre la nappe en période humide. Les travaux de tranchées ouvertes ne peuvent donc se dérouler qu'entre les mois de mai et septembre », explique Arnaud Raillot, conducteur de travaux tranchée ouverte chez EHTP. Pendant ce court laps de temps, l'effectif grimpe fortement : à l'été 2024, près de 100 personnes s'activaient sur le chantier.

« Patienter trois mois »

Mais le nombre ne peut rien contre les éléments : cette période a connu des précipitations exceptionnelles, trois fois supérieures à la normale, et le tracé du projet a été inondé. « Malgré la mise en place de 6 km d'un grillage très fin pour tenir les amphibiens à l'écart du site, les têtards d'une espèce protégée ont pu s'y développer, se souvient Arnaud Raillot. Nous avons dû cesser le travail et patienter trois mois, le temps qu'ils deviennent grenouilles. » Les amphibiens ont été ensuite emmenés hors des emprises chantier.

Dernière découverte en date : le sphinx de l'épilobe, un papillon de nuit protégé qui apprécie particulièrement de nicher dans cette plante à fleurs. C'est pourquoi une entreprise spécialisée s'emploie actuellement à en déplacer 1 500 m2 avant la reprise des travaux de tranchées ouvertes, en mai. En espérant que la météo estivale sera, cette fois, clémente.

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