Béton : un matériau sur la voie de la sobriété

Réemploi, formulations innovantes, mixité… Le béton se réinvente pour réduire l'empreinte carbone de la construction.

 

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La structure de Polaris Plot 6, programme réversible de logements et bureaux livré par l’Atelier Stéphane Fernandez en février 2019 sur l’île de Nantes, a été réalisée en béton blanc avec des granulats et du sable de site provenant de la Loire.

Le béton prépare sa mue, et avec lui tout le secteur du BTP. Au 1er janvier 2021, la nouvelle réglementation environnementale RE 2020 imposera le paradigme du stockage de carbone pour supplanter la RT 2012. Parmi les arbitrages décisifs, qui amplifieront le mouvement de transition écologique de la filière, figure la fixation des seuils « carbone » que les BET applicateurs sont en train de tester. « Ces seuils doivent être vertueux, tout en restant atteignables et tenir compte des évolutions réalistes des modes constructifs », estime Lionel Monfront, directeur produits marchés au Centre d'études et de recherches de l'industrie du béton (Cerib).

Des fabricants aux donneurs d'ordres, en passant par les bureaux d'études et les architectes, chaque maillon de la chaîne se met en ordre de bataille. Pour Florent Dubois, responsable construction durable chez Lafarge-Holcim, « l'avenir du béton passe par la métrique, la transparence, l'innovation et la mixité des matériaux ». Une conviction en forme de feuille de route pour cette filière qui se déclare « prête » à se conformer aux futures exigences, notamment européennes - en 2021, l'Union européenne réduira les quotas gratuits d'émissions de CO -, et « s'organise pour faire baisser son bilan carbone », rassure Philippe Gruat, président du Cerib et de la Filière béton.

« Les bons matériaux au bon endroit ». Côté maîtrise d'ouvrage aussi, le mouvement est enclenché. « L'expérimentation Energie-Carbone (E + C -) a changé les mentalités », assure Virginie Gautier du bureau d'études Karibati, qui accompagne des bailleurs sociaux et des majors du BTP dans leur intégration de matériaux biosourcés. « Pour autant, le tout-biosourcé n'est pas forcément la solution. L'important est d'avoir les bons matériaux au bon endroit, et de favoriser les moins transformés et les plus locaux », poursuit la directrice du développement.

En quelques années, l'observatoire E + C - et les labels « bio-sourcé », « PassivHaus » ou « BBCA » ont suscité une forte émulation entre donneurs d'ordre autour de la thématique de l'empreinte carbone. A Lille, par exemple, la métropole récupère 50 000 tonnes de béton de type 1 pour éviter le gaspillage de ressources et travaille sur des bâtiments modulaires dans le cadre du projet Janus. Pas en reste, les promoteurs font désormais de la performance carbone un élément de différenciation à grand renfort de palmarès et de prix. La dynamique est donc bien réelle, même si les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. Dans le cadre d'E + C -, 57 % des 683 bâtiments qui sont parvenus à atteindre le niveau C1 utilisent le béton comme matériau principal, un pourcentage qui tombe à 47 % (65 sur 136) pour le niveau C2 (source : Obec, janvier 2020).

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Ces résultats ne surprennent pas vraiment les bureaux d'études techniques qui mesurent bien l'ampleur de la tâche. « Avec E + C -, on a réappris à compter, reconnaît Rodrigue Leclech, responsable pôle construction chez Pouget Consultants. Beaucoup de BET n'avaient jamais fait d'analyse du cycle de vie (ACV) du bâtiment tenant compte des impacts environnementaux et des émissions de gaz à effet de serre (GES) en phase chantier et en occupation. Avant même de parler des matériaux, la sobriété est d'abord dans la morphologie du bâtiment et dans le dessin de l'architecte. » Le consultant souligne que le lot gros œuvre et superstructure représente en moyenne 40 % des GES du bâtiment. Un poids encore plus important dans le tertiaire, où « les matériaux pèsent pour 80 % de l'empreinte, le reste étant dû à l'exploitation », précise Hélène Genin, déléguée générale de l'association BBCA.

Les promoteurs font désormais de la performance carbone un élément de différenciation à grand renfort de palmarès et de prix

Economie de moyens. Conscients de la situation, certains architectes se lancent dans une quête « de légèreté carbone et d'efficacité dans le process ». C'est le cas de Pascal Gontier qui, depuis 2010, calcule les ACV en phase conception et s'inquiète de l'empreinte de ses réalisations. « J'adore le béton, mais c'est comme la viande, je me raisonne pour en consommer moins et mieux », explique-t-il. Ce précurseur de la construction bois n'est pas pour autant « dans le dogme ». « J'ai parfois préféré augmenter la part de béton, et donc l'empreinte carbone, pour limiter les traitements chimiques antifeu qui aurait été nécessaires sur les parties en bois », note-t-il.

Inconditionnel du béton, son confrère Stéphane Fernandez estime également que « l'architecte doit avoir le réflexe de retrouver une certaine économie de moyens ». Pour ce faire, il a décidé d'explorer différentes pistes. La formulation, d'abord, pour s'assurer de la pertinence des adjuvants. Mais aussi la proximité des carrières afin de pouvoir utiliser un béton de site pour ses réalisations, comme le centre d'hébergement de Banyuls-sur-Mer, dans les Pyrénées-Orientales, à la façade habillée de filaments ocre rappelant les branches de corail. D'autres encore favorisent les bétons de réemploi ou, comme Aldric Beckmann (lire son entretien, p. 48) , les éléments préfabriqués, qui permettent d'économiser 10 à 15 % d'émission de GES.

Le difficile calcul de l'empreinte carbone. « Nous sommes aux portes d'une meilleure compréhension de la nature de nos émissions », estime Julien Hans, responsable du pôle énergie-environnement du CSTB. Les fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) sont devenues une évidence pour tous. « L'industrie, notamment, prend conscience des pollutions qu'elle génère et ne les cache plus. Elle les chiffre via les FDES et essaye de les limiter », ajoute-t-il. Pour preuve, nombre d'innovations dans le domaine du béton bas carbone sont actuellement en phase d'appréciation technique d'expérimentation (Atex), antichambre de l'avis technique. La filière travaille à la fois sur le procédé de fabrication, notamment le malaxage, et sur la formulation.

Parmi les solutions émergentes figurent les ciments qui substituent au sable des laitiers de hauts fourneaux (Ecocem, Solidia Technologies, Hoffmann Green Cement Technology). Mais, outre les temps de séchage plus importants lors de la mise en œuvre, le calcul de l'empreinte carbone des laitiers fait toujours débat. « Il faut faire attention à ce que les baisses d'émission carbone ne soient pas le fruit de gains artificiels entre la filière sidérurgique et la filière béton », avertit le CSTB, qui espère un arbitrage sur ce sujet.

« En laboratoire, on sait diviser par dix le poids carbone d'un béton, mais la complexité du processus renchérit le coût », constate Florent Dubois de Lafarge-Holcim. Le prix des démarches d'Atex notamment alimente la frilosité des maîtres d'ouvrage. « Une Atex augmente le temps de conception et implique parfois de collaborer avec des acteurs inhabituels. Les entreprises sont souvent prises au piège de leurs propres injonc-tions économiques, et laissent peu de marges de manœuvre aux équipes de projet », complète Virginie Gautier du BET Karibati. Mais quel que soit le type de béton (de réemploi, de laitiers… ), « il est difficile de demander à déroger aux règles élémentaires de stabilité et de sécurité du bâtiment. Toute innovation doit prouver son aptitude à l'emploi avec la même rigueur », soutient Julien Hans, du CSTB. Néanmoins, afin d'éviter les surdimen-sionnements, l'organisme suggère de « verdir » les eurocodes, arguant que certains coefficients de sécurité sont probablement optimisables.

Un travail sur la composition du matériau qui ne doit pas faire oublier le potentiel des systèmes « réversibles et démontables », rappelle l'architecte Pascal Gontier. La réutilisation de poteaux, de poutres ou de dalles d'un bâtiment en fin de vie constituerait une alternative au broyage et permettrait du même coup de réduire fortement l'empreinte carbone du béton.

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