Un modèle économique et financier à repenser

Depuis les deux dernières années, le modèle économique des organismes de logement sociaux (OLS) est profondément remis en cause. La loi de finances 2018, en particulier l'article 126 relatif à la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS), conjuguée à la loi Évolution du logement et aménagement numérique dite Elan du 23 novembre 2018 ont profondément modifié les modes de financement des OLS, les obligeant à imaginer de nouvelles ressources.

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Les contraintes budgétaires de l'État ont conduit le gouvernement à prélever des ressources sur les organismes de logement sociaux (OLS). La loi de finances pour 2018 a financé la baisse du budget des aides personnalisées au logement (APL) par la mise en place d'un dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS). En pratique, celle-ci s'est traduite par une ponction graduée sur les loyers conventionnés de 0,8 Md€ soit environ 4 à 4,5 % des loyers pour 2018 et 2019, puis de de 1,3 Md€ pour les années suivantes, soit 6,5 à 7,0 % des loyers. Ainsi, les bailleurs sociaux ont appliqué aux locataires dont les ressources sont inférieures à un plafond, fixé en fonction de la composition du foyer et de la zone géographique une réduction de loyer pour les logements faisant l'objet d'un conventionnement avec l'État afin que la baisse des APL soit indolore pour les locataires. La loi de finances 2018 a également mis à contribution les bailleurs sociaux décidant une hausse de la TVA de 5,5 % à 10 % sur une grande partie des dépenses de fonctionnement et d'investissement, et en gelant l'augmentation des loyers. En contrepartie, des mesures d'allongement de la dette ont été offertes aux OLS. Selon le Moniteur, 360 organismes HLM ont demandé de rallonger la dette qu'ils ont contractée auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Ainsi, sur 30 milliards d'euros d'encours renégociable, un peu plus de la moitié sera effectivement prolongée. En pratique, 85 % des demandes ont porté sur un allongement de 10 ans et représentent 18 600 lignes de prêts sur plus de 60 000 lignes. Autre faculté offerte aux organismes HLM : le renouvellement d'une enveloppe de prêt en haut de bilan (PHBB). Après une première enveloppe distribuée par la Caisse des dépôts et consignation entre 2016 et 2018, le mécanisme est renouvelé. Il permet aux organismes HLM de bénéficier d'un prêt d'une durée de 30 à 40 ans décomposée en deux phases d'amortissement. Durant la première phase, un différé total d'amortissement du capital de 20 ans à 0 % sera appliqué. Il n'y aura aucun remboursement à effectuer. Les remboursements du prêt débuteront à la seconde phase d'amortissement, qui durera 10 ou 20 ans respectivement en cas de réhabilitation ou de construction, avec un taux indexé au livret A + 0,60 %. Le gel du taux du livret A sur 2 ans est également une contrepartie offerte aux organismes de logement sociaux. D'autres mesures, mises en place en 2018, ont vu leur impact réduit avec la clause de revoyure sur le logement social en 2019. En effet, le 24 avril 2019, l'Union sociale pour l'habitat a approuvé les propositions issues de la conclusion de la clause de revoyure négociée avec le gouvernement. Ainsi, cette feuille de route prévoit que les bailleurs sociaux ne devront plus financer « que » 950 millions d'euros de RLS jusqu'en 2022, contre un milliard et demi initialement prévus pour 2020. De même, leur cotisation au Fonds national des aides à la pierre (Fnap) est également réduite à 300 millions d'euros, tandis que la Caisse des dépôts accordera des remises de 50 millions d'euros sur les intérêts des prêts qu'ils octroient pour le logement social.

Création de société de vente HLM, facteur de financement ?

La vente HLM fait également l'objet d'une évolution importante au travers d'un article 97 de la loi Elan (lire également Opérations Immobilières nos 111- 112, p. 45). Ainsi, le législateur autorise la création de sociétés de vente d'habitation à loyer modéré en permettant aux bailleurs sociaux de céder leurs logements à l'unité ou en bloc. Le mécanisme financier est l'une des particularités de loi. Afin de favoriser une cession rapide des logements occupés, les bailleurs peuvent continuer à gérer ce patrimoine par convention de gestion tant que la société de vente n'a pas cédé elle-même ce patrimoine. Ouvert à tous les organismes de logement social, il a pour mission d'acheter « cash » des logements ou immeubles aux bailleurs, puis il se donne 10 ans pour les revendre. Action Logement a été le premier opérateur à créer ce type de structure avec l'organisme national de vente (ONV). Elle a doté l'ONV d'une enveloppe de 1 milliard d'euros pour un total de 4 milliards d'euros d'investissement grâce à des emprunts bancaires. Un appel à manifestation d'intérêt pour acquérir 11 000 logements auprès des bailleurs sociaux a été lancé en deux fois en 2019. Le dernier en date du 25 septembre 2019, est ouvert à l'ensemble des bailleurs sociaux de métropole et des DROM. Les bailleurs de métropole avaient jusqu'au 20 décembre 2019 pour candidater alors que les candidats situés dans les DROM pouvaient déposer leur dossier jusqu'au 28 février 2020. Action Logement s'est félicité du succès rencontré pour ce dispositif qui est en cours de réalisation, mais pour lequel aucun chiffre n'est à ce jour disponible. En revanche, Marianne Louis, secrétaire générale de l'Union sociale pour l'habitat confie à Ouest France que « l'ONV évite les immeubles n'ayant pas une bonne étiquette énergétique, ou ceux situés dans des zones géographiques où la demande est distendue. L'ONV est aussi vigilant à la composition de l'immeuble. Si beaucoup d'occupants ont plus de 65 ans, ce sera plus difficile de revendre ces biens ». Dans ce contexte, les OLS mettent en place des politiques différentes. Ainsi, certains organismes tels qu'Archipel Habitat à Rennes (35) refuse de pratiquer la vente du patrimoine existant. De même à Nantes (44), seuls les immeubles construits depuis plus de 10 ans pourront faire l'objet d'une vente par l'ONV. Or, il n'est pas certains que ces immeubles seront retenus par l'ONV.

Fusion imposée des OLS pour favoriser la circulation de capitaux ?

La deuxième mesure phare de la loi Elan porte sur la restructuration du secteur du logement social (article 81). La loi impose la fusion des offices publics de l'habitat rattachés à un même établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou à un même établissement public territorial (EPT). Par ailleurs, la loi ajoute qu'un bailleur social, dès lors qu'il détient moins de 12 000 logements, a l'obligation de se regrouper avec d'autres bailleurs au plus er janvier 2021 ou d'atteindre ce seuil à cette date. Enfin la loi consacre une nouvelle forme de structure : la société anonyme de coordination (SAC). Les SAC permettent de créer des holdings inversées offrant la possibilité à des bailleurs sociaux de s'y regrouper pour atteindre le seuil critique des 12 000 logements. Il s'agit ici de la première étape devant conduire à une fusion probable par la suite. La SAC conduit, a minima, à mettre en commun un plan stratégique de patrimoine (PSP), un contrat stratégique d'utilité sociale, la mutualisation de ressources financières pour mettre en œuvre le PSP, ou encore la mutualisation des achats. Ainsi l'année 2019 aura été marquée par le début de la restructuration des opérateurs HLM et le renforcement de la consolidation, antérieurement engagée, d'acteurs importants tels qu'Action logement immobilier avec un parc de près d'un million de logements ou CDC Habitat avec environ 500 000 logements. De même dans l'objectif de respecter l'atteinte de la taille critique pour 2021 de multiples projets de SAC sont en cours d'élaboration et quelques-unes ont été créées depuis la publication de l'arrêté des clauses types au journal officiel du 31 août 2019.

Un troisième axe a été de mettre en place des dispositifs visant à favoriser la circulation des capitaux au sein des organismes HLM. Par le passé, des dispositifs contraignants avaient été soit mis en œuvre par la réglementation en organisant par exemple la taxation du potentiel financier, soit organisés par le mouvement HLM lui-même comme le dispositif de mutualisation. La loi Elan élargit et facilite la possibilité de prêts entre organismes (article 84). Désormais, les organismes de logement social du même groupe ou participant au capital d'une société de coordination peuvent s'octroyer des avances et des prêts sans porter atteinte au monopole bancaire. Ainsi, les organismes d'HLM et les SEM de construction et de gestion de logement sociaux membre d'un même groupe d'OLS pourront accorder entre autres, des avances en compte courant à des membres du groupe, des prêts participatifs ou toutes autres opérations de crédit. Le relatif aux possibilités de placement des fonds, accorde, à compter du 30 mai 2019, aux sociétés d'habitations à loyer modéré, aux sociétés coopératives de production, d'intérêt collectif ou de location-attribution d'habitations à loyer modéré la faculté de placer leurs fonds en titres émis, soit par un organisme d'HLM ou par une société d'économie mixte agréée pour la construction et la gestion de logements sociaux lorsque ceux-ci sont membres du même groupe d'organismes de logement social, soit par la société de coordination dont elles sont actionnaires (articles R. 423-75 et R.* 423-75-1 du Code de la construction et de l'habitation).Dès lors, les OLS, y compris les OPH, peuvent émettre des titres participatifs. Ces titres sont assimilables à de à la dette mezzanine1 dont la particularité consiste à consolider la structuration financière. En effet, les créanciers de ces titres ont un rang de privilège inférieur à celui des autres prêteurs puisqu'ils peuvent, entre autres, avoir vocation à entrer au capital de l'entité bénéficiaire. Ces titres peuvent être également souscrits par les collectivités locales et n'ont pas à être ciblés sur des programmes d'investissement. La banque des territoires en association avec Action Logement et les Fédérations ont été les premiers opérateurs à offrir aux OLS la possibilité d'émettre des titres avec une première enveloppe de souscription de 400 M€.

Ce rappel sommaire sur les principales mesures ayant un impact sur la gestion financière des acteurs du monde HLM démontre une forte évolution de la législation applicable aux bailleurs sociaux qui pourrait être résumée à : - ajouter de nouveaux champs d'activité qui contribueraient à accroître la création de valeur de l'ensemble de l'activité ; - favoriser les fusions d'organismes pour atteindre des tailles critiques et obtenir des effets de synergie induisant des baisses de coûts de fonctionnement et de restructuration financière ; - mener des réflexions sur des arbitrages patrimoniaux afin de mettre en place une politique de vente d'actifs en bloc ou à l'unité qui peuvent également concourir à une consolidation des capitaux propres ; - rechercher de nouvelles modalités de financement à l'échelle de l'organisme en favorisant la circulation de capitaux et en ouvrant à d'autres sources de financement à l'instar des titres participatifs.

Un nécessaire pilotage financier au niveau de l'entité

Ces évolutions et les nouveaux outils inhérents font évoluer significativement la gestion financière des organismes. Ils induisent désormais un pilotage financier à l'échelle de l'entité et non plus à l'échelle de l'opération. Autant cette évolution a été mise en œuvre depuis longtemps par les grands opérateurs, elle constitue désormais les enjeux de demain pour l'ensemble des organismes quelle que soit leur taille. À ce titre, il est intéressant d'observer l'évolution de l'agence nationale de contrôle du logement social (Ancols) en matière de posture sur l'aspect financier. Dans son rapport public annuel de contrôle de 2018 (RPAC 2018), l'agence met en avant son évolution en la matière, avec un objectif d'évaluation globale de la situation financière des OLS dans leur modèle économique 2. Il ne s'agit pas d'une révolution en matière d'analyse financière, mais d'une mise en application des méthodologies d'analyse couramment retenues dans les entreprises.

Comme le décrit le rapport, cette analyse financière s'appuie sur 3 axes d'analyse, celle du cycle d'exploitation et de création de valeur, du cycle du financement, et des sources de financement et d'investissement. Dès lors, l'analyse des flux financiers basée sur l'approche classique des agrégats du plan comptable général (PCG) peut se résumer dans le schéma suivant ci-contre : Cette méthode d'analyse financière mise en œuvre sur les périodes rétrospectives et prospectives permet d'abord d'avoir une approche globale d'amélioration et de recherche de création de valeur. La seconde partie consiste à analyser les sources de financement de l'organisme afin d'évaluer son coût, la pertinence de sa maturité, les optimisations possibles tant sur les arbitrages patrimoniaux que sur le besoin éventuel de recapitalisation. Enfin, la dernière partie porte sur l'activité d'investissement dont une partie sur les besoins de travaux de réhabilitation pour maintenir le parc productif et une autre partie sur le développement. Cette analyse conduit à un diagnostic, relatif à la pertinence et à l'efficience du fonctionnement et de la politique financière de l'organisme et permet ainsi de détecter les axes d'amélioration à mettre en œuvre. Cette méthode d'analyse mise en avant par l'Ancols, que les bailleurs sociaux peuvent s'approprier, montre l'évolution en matière de pilotage financier global vers lequel vont devoir tendre tous les bailleurs sociaux.

1 Dette mezzanine : le financement mezzanine est une forme de dette qui accompagne une dette bancaire, prioritaire. Cette dette mezzanine se situe entre la dette bancaire et le capital (les fonds propres).

2 RPAC 2018 - Partie Focus Thématiques : Diagnostic Financier

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