Déminéralisation, végétalisation, infiltration : la métamorphose de l’esplanade Saint-Louis, devant le château de Vincennes, actionne ces trois leviers majeurs de l’atténuation des pics de chaleur urbaine. Retardés par la crise du Covid 19, les finitions du modelage de la nouvelle plate-forme fertile attendront la fin de l’année, de même que les semailles de ce futur espace récréatif et événementiel.
Irrigation douce
Mené en bonne intelligence avec l’Architecte des bâtiments de France, le ministère de la Culture et la ville de Vincennes, le chantier de la ville de Paris transforme en prairie 11200 m2 dédiés jusqu’alors au stationnement automobile.
Directeur recherche et développement d’Enviro Conseil et Travaux (ECT), Benjamin Tilliet ramasse une poignée de la terre nivelée et encore nue qui a succédé au bitume : « Avec une granulométrie maximale de 20 mm, les graviers ne dérangent pas les jardiniers, l’argile ralentit l’infiltration et les résidus organiques apportent les nutriments nécessaires à la végétation », détaille-t-il.
Directeur R & D d'ECT, Benjamin Tilliet a animé la démarche Urbafertil qui aboutit à son premier chantier à grande échelle, après sept ans de recherches. © Laurent Miguet
Une très légère pente draine les eaux pluviales, depuis le château jusqu’à l’orée du bois. Cette irrigation douce limitera les consommations nécessaires à l’arrosage du mélange prairial mis au point par la subdivision du bois de Vincennes des espaces verts de Paris. A partir du monument, les deux allées qui suivent la même pente légère retrouvent leur place sur le parvis, après leur disparition au XXe siècle pour les besoins du stationnement automobile. L’ajustement des bordures fait partie des dernières finitions en instance.
Terres rares
Le chantier débloque un obstacle sur lequel bute souvent la végétalisation du Grand Paris : où trouver le substrat fertile ? Envisagée par l’entreprise Lachaux Paysage, titulaire du lot espaces verts, l’importation de terres végétales provenant de régions limitrophes de l’Ile-de-France se heurtait à une double impasse : aberration écologique, coûts prohibitifs. A grand renfort de camions, cette option n’aurait même pas permis de répondre aux exigences de portance et de drainage fixées dans le cahier des charges.
« Nous apportons une solution au moins deux fois moins chère », affirme Jonathan Bryden, directeur des nouveaux services et marchés d’ECT, leader francilien du stockage des déchets inertes du BTP, et sous-traitant de Lachaux Paysage à l’Esplanade Saint-Louis. Avec 2800 m3 à répartir sur 26 à 27 cm d’épaisseur, le chantier offre à cette entreprise la première application à grande échelle des substrats fertiles mis au point sous la houlette de Benjamin Tilliet, dans le cadre du projet Urbafertil d’ECT.
Sept ans de recherche
A l’issue de partenariats noués par l’entreprise en 2013 avec le Museum national d’histoire naturelle et l’Institut national de recherche en agronomie et environnement, la thèse soutenue en décembre 2018 par Charlotte Pruvost, à l’université de Paris Est Créteil, a fourni les clés scientifiques de la fertilisation des technosols. Ces travaux ont démontré le potentiel de biodiversité des mélanges de compost et de terres inertes issues des chantiers du BTP.
La traçabilité de ces dernières, garantie par la réglementation, constitue un autre avantage par rapport aux terres agricoles souvent chargées en pesticides ou engrais de synthèse, quand bien mêmes elles respectent la norme NFU 44-551 relative aux supports de culture.
Un autre déclic a renforcé la confiance du maître d’ouvrage : ECT a figuré parmi les lauréats de l’appel à projets municipal dédié au métabolisme urbain. A partir de mélanges de béton concassé, de terres inertes, de compost de déchets verts et de boues de dragage, le suivi comparatif de différents échantillons aboutit à peaufiner un substrat compatible avec les chantiers de Travaux publics : « Les engins ne s’y enfoncent pas et il ne colle pas aux roues », souligne Benjamin Tilliet.
Cinq couches malaxées
Sur l’esplanade Saint-Louis après l’extraction et l’évacuation des enrobés imbibés d’hydrocarbures par Colas, la mise en œuvre a commencé par la fabrication In Situ d’un millefeuille où se superposent les limons sableux et argileux issus de chantiers d’excavation du Bourget et du nord de la Seine-et-Marne, puis les sables calcaires et graviers achetés aux carrières du Boulonnais. Un tracteur agricole a pris le relais, pour l’épandage de 500 t de compost. Après le malaxage des cinq couches, une niveleuse a donné sa pente à la plate-forme.
Seul écart entre le cahier des charges et le résultat final, le mélange comprend 38 % de carbonate, au lieu de 20. Pour garantir l’adaptation des plantes à ce technosol basique, la ville de Paris a révisé la palette végétale de la prairie. La vie naturelle reprendra ses droits dans le cadre fixé par les agronomes qui ont arrêté la composition du volume avec ses 30 % de matière organique contre 70 % de minéral : suffisamment riche pour nourrir les plantes, mais pas trop, afin de favoriser une compétition entre elles et de garantir ainsi la diversité des espèces.
