Urbanisme littoral : comment les collectivités gèrent les complexités administratives et les risques naturels

La chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine vient de divulguer une synthèse unique sur les collectivités littorales aquitaines. Un travail thématique qui porte sur l’urbanisation et les risques naturels pour des collectivités implantées sur une côte qui s’étire sur 650 km de façade atlantique.

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Le Signal à Soulac-sur-Mer (Gironde) où les propriétaires ont été contraints d’évacuer la résidence par arrêté municipal en 2014.

C’est une étude unique que cette «enquête thématique locale» rendue publique par la chambre régionale des comptes le jeudi 15 juin. Sur le thème «les collectivités littorales aquitaines face aux défis de l’urbanisation et de la montée des risques naturels», elle souligne l’empilement des contraintes qui pèsent sur les communes littorales, confrontées à la fois à une attractivité croissante, un contexte législatif et réglementaire plus complexe chaque année et des risques naturels qui n’ont plus rien d’anecdotique.

Le président de la chambre régionale des comptes, Jean-François Monteils, s’est prêté à l’exercice délicat de décrypter les éléments saillants de la synthèse.

D’abord, les ingrédients de l’étude: «Pour résumer le travail, explique le président, nous sommes partis des contrôles que nous avons effectués depuis 2014, auprès de vingt collectivités dont sept intercommunalités, cinq communautés de communes, deux communautés d’agglomération et treize communes, qui représentent un échantillon particulièrement critique de la bande littorale de 650 km de côtes».

Toutes les collectivités qui présentent un questionnement par rapport à l’urbanisation du littoral sont donc présentes. «S’ajoute un travail sur le GIE Littoral aquitain, qui aborde les rares communes non couvertes par un travail spécifique».

Outre le contrôle organique habituel des comptes communaux, la chambre a ajouté une série de questionnements spécifiques sur l’urbanisme. «Ce questionnement avait vocation à faire une synthèse sur les questions qui se posent, en intégrant les réponses des collectivités et leur appréciation» précise le président.

Surdensité et périurbanisation

La première de ces questions est: comment gérer l’urbanisation ? En effet, la côte attire et le phénomène s’accentue. L’évolution du taux annuel de population est significativement supérieure au national: de 1999 à 2007, la population avait crû de 0,8% en Métropole, 0,9 en Pyrénées-Atlantiques, avec des pointes dans le sud du pays basque (+1,3%), les Landes (+1,5%), +1,1% en Gironde et 1% en Charente-Maritime. Le phénomène se poursuit de 2007 jusqu’à 2012 avec des croissances annuelles doubles ou triples de la moyenne nationale (0,5%) et de pointes à 3,7% à Hendaye, 2,2% dans le sud Landes (Maremme, Capbreton) et 2,6% sur les lacs médocains (Lacanau). Seule la pointe du Médoc connaît un fléchissement de population (-1,1% à Soulac-sur-Mer).

«L’attraction halieutropique (vers la mer) et l’héliotropisme (le soleil) posent des risques de surdensité», explique Jean-François Monteils. «Sur certaines communes, on observe à la fois des surdensités (2 000 habitants au kilomètre carré à Hendaye), alors que sur des secteurs touchés par les dernières tempêtes, des communes comme Charron (Charente-Maritime) subissent à l’inverse une dépopulation. Autre cause d’afflux de population sur toute la zone littorale, la périurbanisation, qui déplace des populations hors des métropoles inaccessibles financièrement: le sud des Pyrénées-Atlantiques et le sud de La Rochelle/Rochefort notamment. Et cette périurbanisation créée des tensions foncières. Conséquence: «Nous avons une traduction immédiate de ces tensions par des stratégies communales d’urbanisation individuelles dans certaines communes qui ressemblent à des échappatoires par rapport à des contraintes légales», euphémise Jean-François Monteils.

Car ces contraintes abondent: «il y a un zonage très contraignant dans la bande littorale néo-aquitaine, qui consiste en une superposition de zonages spécifiques, Snief, Natura 2000, zones de protection paysagère, zones patrimoniales, etc. Cette superposition de zonage enserre la zone dans un certain nombre de protections et rend le travail des élus et de leurs services particulièrement compliqué. Certains même bénéficient du zonage en loi montagne, ce qui fait qu’aucune partie de leur commune n’échappe à ces contraintes. Quand s’y ajoutent la mixité sociale, la loi SRU, cela est encore plus complexe», détaille le président.

Lutte active contre l’érosion ou délocalisation

La deuxième source de contrainte, et non des moindres, est l’exposition aux risques naturels: «c’est une zone de drames, où les derniers épisodes de catastrophes naturelles ayant fait un grand nombre de victimes se sont déroulés. L’impératif de protection contre le risque se vit de manière plus intense. La question du risque prend aussi la forme, particulièrement importante, de l’érosion du littoral, du trait de côte et de la diminution de la surface constructible ou accessible à l’activité humaine. C’est une réalité sur toute cette bande qui, en plus, s’accélère».

Erosion et risque de submersion se croisent donc, selon les sites, sur toute la zone littorale. Ce qui demande une urbanisation spécifique et qui mériterait une politique de gestion particulièrement travaillée.

Quelle gouvernance ?

D’où la question majeure de la gouvernance de l’urbanisme littoral: qui fait quoi, comment ça fonctionne ? «Les deux acteurs majeurs sont le bloc communal et l’Etat. Or l’un des grands sujets nouveaux est la répartition de la gouvernance entre communes et EPCI». La montée en puissance de l’intercommunalité, l’apport de la loi NOTRe, avec le passage au PLU intercommunal à partir du 27 mars 2017, devraient s’imposer. Tout le territoire doit être maillé par des PLU intercommunaux, sauf quand les communes qui composent ces intercommunalités en ont décidé autrement. «Or, précise le président Monteils, on constate que dans ces intercommunalités, il y a plusieurs exemples de collectivités qui ont refusé le PLUI parce qu’elles étaient confrontées à des problématiques littorales. On a un exemple où la totalité des communes d’un EPCI du littoral refusent à l’unanimité le PLUI. Cette contestation n’existe pas partout, c’est un sujet ouvert, une question controversée.»

L’étude souligne de fait, la difficile articulation entre les stratégies urbaines et la mise en œuvre de l’urbanisme. Des intercommunalités agrandies qui correspondent aux schémas de cohérence territoriaux (Scot). «Lorsqu’elles prennent la compétence du PLUI, certaines intercommunalités voient coïncider sur leur territoire à la fois le Scot et le PLUI. Quand on cumule à la fois la stratégie et sa mise en œuvre, la lisibilité de l’articulation des deux dispositifs devient un peu difficile. Notamment s’ils sont pris par les mêmes entités et élus sur un périmètre identique, avec des Scot à orientation stratégique très général, moins prescriptifs et des PLUI qui seront beaucoup plus timides dans la coercition. C’est la question centrale du rapport.»

Stratégie et financement

Quelles sont les stratégies adoptées par les collectivités face aux risques ? Concernant les risques de submersion, le rapport en relève deux principales: le «fil de l’eau» qui entretient sans les développer les ouvrages de protection courants (digues, enrochements) et, à l’inverse, la stratégie de la lutte active – renforcement des ouvrages hydrauliques et rechargement massif des plages.

«Après la tempête Xynthia, l’Etat a arrêté, en février 2011, d’actualiser les PPR dans un délai de trois ans. Beaucoup de PPR restent encre à mettre à jour. La révision à la hausse de l’appréciation du risque par l’Etat a suscité parfois la contestation des acteurs locaux» souligne le rapport.

Concernant l’érosion, les stratégies vont de l’inaction – le littoral est laissé libre d’évoluer naturellement - au «repli stratégique», où l’on déplace les activités et biens en retrait du littoral. Mais cela veut dire pas d’habitat pérenne et signifie concrètement délocalisation et relocalisation. Pour un coût souvent prohibitif.

Se pose alors à nouveau la question de répartition de compétence et d’intervention publique ou pas: «Protéger les populations peut atteindre des sommes extrêmement importantes».

Un texte de 1807

Qui doit payer ? Le président apporte un élément à la réflexion historique: «La loi du 16 septembre 1807 qui porte sur le dessèchement de marais parle de répartition des compétences comme on la concevait au XIXe siècle contre ce type de risque. Elle précise dans son article 33: lorsqu’il s’agira de construire des digues à la mer (…), la nécessité en sera constatée par le gouvernement et la dépense supportée par les propriétés protégées dans la proportion de leur intérêt aux travaux. Sauf dans le cas où le gouvernement croirait utile et juste d’accorder des secours sur les fonds publics». A l’évidence, «c’est magnifique, mais cela ne fonctionne plus».

La question du financement, épineuse, reste donc centrale. Un exemple frappant localement de cette complexité est l’immeuble Le Signal à Soulac-sur-Mer (Gironde), en ruine au bord d’une dune qui s’effondre. Ses propriétaires, contraints d’évacuer la résidence par arrêté municipal en 2014, se sont vus jusqu’ici refuser l’expropriation de leur bien au prix du marché par le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (dit fonds Barnier). «Mais une prise de position du conseil d’Etat est attendue prochainement sur cette affaire» précise le rapport.

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